Plus besoin de réfléchir, de justifier, de traquer in petto ses propres incohérences avant de s’exprimer, puisqu’on ne démontre plus : on assène.
Ça doit être sympa, d’être de gauche. D’être du côté des gentils, des bons, du bien, de ceux qui ont toujours raison.
Christine Boutin vient de se retirer de la politique. Beaucoup de remerciements, bien sûr, mais il faut lire, aussi, les injures que cette annonce suscite. Il faut voir les seaux d’immondices que des anonymes, bien planqués derrière les volets occultants des réseaux sociaux, lui déversent sur la tête. Comme à chacune de ses interventions, d’ailleurs. Et elle, stoïque, ne répond rien. Peu ou prou comme Ludovine de La Rochère, et avec le même flegme, elle subit quotidiennement les flèches hargneuses, graveleuses, misogynes, ordurières, insultantes… de ceux-là qui arborent, deux tweets plus bas, le plus sérieusement du monde, le hashtag#BalanceTonPorc. Si Christine Boutin devait balancer tous les porcs qu’elle a, malgré elle, côtoyés, il ne suffirait pas d’une journée.
C’est chouette, d’être de gauche. On peut être schizophrène, de la plus grossière mauvaise foi… et se sentir dans son bon droit.
On dénonce, donc, le harcèlement sexuel, avec des airs douloureux de rosière outragée, mais – on ironise – « faut-il que vous ayez le front bas et l’esprit puritain ! » – on s’indigne avec effroi – « Goebbels, va ! » – si vous suggérez qu’on pourrait commencer par balancer (à la poubelle ou, en tout cas, hors de l’espace public) ces « œuvres d’art » autoproclamées imposant au passant un regard aussi poétique sur la femme et la sexualité que le « vagin de la reine », le plug anal ou, récemment, devant Beaubourg, « Domestikator » (sic).
C’est bien, d’être de gauche. On peut mettre ses neurones sur off, son cerveau en vacances, déserter toute réflexion critique en laissant simplement une alarme qui détecte les effractions dans la maison pensée unique : elle fonctionne avec quelques mots clés, s’appelle réductio ad hitlerum (ou, variante, ad FNum, ad LMPTum, ad SensCommunum) et, quand elle couine, fait un boucan de tous les diables. Aucune chance que le brigand téméraire – suicidaire ? – tente une nouvelle incursion.
C’est commode, d’être de gauche, parce qu’on fait sa propre loi. Robin de La Roche l’évoquait, hier, avec l’éloquence qu’on lui connaît : on peut publier, à l’instar d’Europe 1 sur l’Action française, les plus grossières Fake News – imaginons, mutatis mutandis, un fiché S soupçonné de passer à l’action qui aurait un court moment fréquenté telle mosquée, puis l’aurait quittée ne la trouvant pas assez « radicalisée »… que dirait-on du journal qui oserait titrer : « Enquête sur cette mosquée islamiste qui fomentait un attentat » ? – et continuer à plastronner sans complexe, auréolé du Décodex.
Ça fait rêver, d’être de gauche. Ou pas. Le joker permanent qu’est l’anathème est mère de l’indigence intellectuelle la plus crasse. Plus besoin de réfléchir, de justifier, de traquer in petto ses propres incohérences avant de s’exprimer, puisqu’on ne démontre plus : on assène. On tient les autres licou serré, mais on se laisse aller, pour soi, avec paresse – qui jugerait les juges ? – à la pensée relâchée.
Leur tyrannie intellectuelle aura eu cet effet purificateur de forcer le camp qu’ils exècrent à l’exigence, l’honnêteté, la rigueur, car observé, surveillé, matraqué, celui-ci n’a pas le droit à l’erreur. Et c’est sans doute le meilleur service qu’ils lui auront, involontairement, rendu.