Par André Posokhow, consultant
Encore heureux qu’il existe un contrôle parlementaire des projets de loi des gouvernements et de la confection des budgets annuels grâce aux travaux des commissions ! Cela a été le cas de l’avis présenté par François-Noël Buffet sur l’asile, l’intégration et l’immigration (*) le 23 novembre 2017 au nom de la commission en charge de l’examen du projet de loi de finances pour 2018. Les constats auxquels il procède n’ont rien de rassurant.
Surtout il permet de s’apercevoir que le gouvernement, aidé par l’administration, n’hésite pas à tordre certains chiffres présentés à la représentation nationale alors qu’il est contraint à la transparence envers l’Europe de Bruxelles.
Après avoir entendu les ministres G. Collomb et J. Gourault, la Commission des lois du Sénat, réunie le 22 novembre 2017, a examiné, sur le rapport pour avis de M. François-Noël Buffet, les crédits alloués par le projet de loi de finances pour 2018 à la mission « Immigration, asile et intégration ».
Sur proposition de son rapporteur, la commission a donné un avis défavorable à l’adoption des crédits de cette mission et s’est montrée particulièrement critique à l’égard du gouvernement sur sa politique dans ce domaine. Il est vrai que les constats de la commission n’ont rien de rassurant.
L’immigration régulière : des flux en hausse
En 2016, 227.923 titres de séjour ont été accordés à des étrangers souhaitant résider durablement en France, soit une augmentation de 4,78% par rapport à 2015. L’immigration régulière de longue durée est principalement familiale (38,83% du flux en 2016). L’immigration de travail reste marginale (10%).
La commission constate une hausse substantielle des régularisations d’étrangers en situation : 30.632 en 2016, soit une hausse de 31% par rapport à 2012, notamment sous l’effet de la « circulaire Valls » du 28 novembre 2012.
Au total, 2,83 millions d’étrangers disposent d’un titre de séjour français, 70% d’entre eux bénéficiant d’une carte de résident valable dix ans et renouvelable de plein droit sauf menace pour l’ordre public.
Un dispositif d’intégration en souffrance
Entre le 1er juillet 2016 et le 30 juin 2017, 101.448 contrats d’intégration républicaine (CIR) ont été conclus. Le rapporteur constate que la loi du 7 mars 2016 n’a pas eu les effets escomptés. Ainsi, à l’issue de la formation linguistique du contrat d’intégration républicaine, seuls 61,4% des stagiaires ont acquis le niveau A1.
Par ailleurs, le périmètre des visites médicales de l’OFII a été drastiquement réduit ces dernières années. Le rapporteur déplore que cette réduction ait été réalisée au détriment des enjeux de santé publique, notamment en ce qui concerne les étudiants étrangers.
Dès lors, sans un changement de méthode et un renforcement des moyens, la politique d’intégration se trouve dans une impasse.
* * *
La gestion difficile du droit d’asile et de la crise migratoire
En 2016, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a enregistré 85.696 demandes d’asile, soit une augmentation de 7% par rapport à 2015 et de 62%. La pression est particulièrement forte dans les outre-mer.
D’après les premières estimations du gouvernement, la demande d’asile devrait approcher les 94.300 demandes en 2017, soit une hausse de 10% par rapport à 2016.
Les délais de traitement des demandes d’asile (449 jours) apparaissent largement supérieurs aux objectifs fixés : 240 jours.
La lutte contre l’immigration irrégulière : un échec et une donnée chiffrée mensongère
Des chiffres ignorés ou dissimulés ?
Il n’existe aucune donnée précise concernant le nombre d’étrangers en situation irrégulière présents sur le territoire français.
Seul le nombre de bénéficiaires de l’Aide médicale d’Etat (AME) pourrait donner une indication pertinente : il s’établit à 311.310 personnes au 31 décembre 2016, soit une hausse de près de 49% par rapport au 31 décembre 2011.
Dans les faits, selon le rapport, le nombre d’étrangers en situation irrégulière est probablement nettement supérieur, contrairement à ce qu’a affirmé récemment G. Collomb.
La lutte contre l’immigration clandestine est le parent pauvre de la mission « Immigration, asile, intégration »
Le chef de l’État a annoncé sa volonté d’accroître significativement le nombre de reconduites à la frontière et d’expulser l’ensemble des étrangers en situation irrégulière ayant commis un délit.
Le projet de loi de finances pour 2018 reste toutefois nettement en deçà de l’affichage officiel. Les crédits de la lutte contre l’immigration irrégulière ne représentent en effet que 6% de la mission « Immigration, asile et intégration ». Dans le PLF pour 2018, ces crédits sont d’ailleurs en baisse de 7% par rapport à 2017.
La lutte contre l’immigration irrégulière constitue par conséquent, une nouvelle fois, le parent pauvre de la mission « Immigration, asile et intégration », ce qui met en cause la sincérité des déclarations présidentielles.
L’échec des éloignements forcés
Le gouvernement a créé un nouvel indicateur au sein du programme 303 (« Immigration et asile ») : le nombre de retours forcés exécutés. Il convient de noter que celui-ci a baissé entre 2015 et 2016, passant de 15.458 à 12.961.
Le rapporteur, de son propre chef, a comparé le chiffre des éloignements prononcés en 2016 que le gouvernement renâclait à communiquer (92.076) avec celui des éloignements exécutés (16.489) et avec celui des éloignements forcés exécutés (12.961), soit un ratio de 14%, ce qui apparaît complètement insatisfaisant et permet de comprendre le manque de transparence du gouvernement.
Il faut souligner que l’une des raisons de ces résultats consternants est la mauvaise volonté des pays d’origine à délivrer des laissez-passer consulaires, documents pourtant indispensables aux procédures d’éloignement. Une fois de plus on ne peut que dénoncer la faiblesse sinon la lâcheté des gouvernements français qui ont pourtant entre leurs mains une arme lourde : le blocage des transferts de fonds des immigrés vers leur pays.
Des chiffres insincères
Le décompte des éloignements exécutés d’étrangers en situation irrégulière fait l’objet d’une ventilation selon trois types d’éloignement : les éloignements spontanés, les éloignements aidés et les éloignements forcés. Ceux-ci, dont le total en 2016 s’élève, comme nous l’avons vu, à 12.961, regroupent trois catégories : les réadmissions des ressortissants de pays tiers vers l’UE, les renvois de ressortissants de l’UE dans leur pays et surtout les retours forcés de ressortissants de pays tiers hors UE.
Le nombre de renvois exécutés forcés vers les pays tiers hors UE indiqué par le rapporteur dans son avis s’élève à 6.166 (voy. le tableau en annexe).
Ce chiffre est inexact et de nature à tromper les parlementaires et le public. En effet la politique d’éloignement donne lieu à un financement par l’UE au travers du Fonds asile migration et intégration (le FAMI) auquel l’administration française a adressé, le 16 février 2017, un rapport d’exécution et une demande d’acompte.
Dans ce rapport il est indiqué que :
« Le projet FAMI 2014-2020 conditionne la réalisation du projet sur la base du coût moyen des billets des pays selon la procédure méthodologique jointe et la liste annexée sur la base de l’étude Ernst & Young. A ce titre, le nombre de retours réalisés en 2016 dans le fichier GESTEL transmis par la DCPAF est de 2.429 contre une prévision de 5.800 pour les motifs exposés ci-après. Les données transmises par la Direction des statistiques, des études et de la documentation (DSED) de la DGEF font état de 6.166 retours forcés vers les pays tiers hors UE. »
Ainsi l’administration, qui a manqué de transparence à l’égard des parlementaires, a été contrainte de communiquer les vrais chiffres d’éloignement forcés exécutés à Bruxelles, nettement inférieurs à ceux affichés officiellement.
Un tel constat ne peut que renforcer les soupçons qui pèsent sur les données chiffrées communiquées par les pouvoirs publics français au titre de la problématique de l’immigration.
André Posokhow 27/11/2017
(*) Voir : Sénat – Commission des lois. Avis budgétaire « Immigration, l’asile et intégration » (PDF), François-Noël Buffet, Sénateur du Rhône, novembre 2017.