Nul doute que les Parisiens qui vivaient dans la capitale au début du 13e siècle se sont enorgueillis en observant la construction de la puissante enceinte édifiée par leur monarque Philippe-Auguste. Long de 5,1 km, ce mur épais, flanqué de 77 tours, avait, il est vrai, fière allure. Ce rempart faisait pourtant bien pâle figure, comparé à l’ouvrage défensif construit près de mille ans plus tôt par l’empereur Aurélien et son successeur Probus pour protéger la Rome antique des assauts barbares. Avec ses 19 km, ses 381 tours et ses 18 portes, cette muraille était en effet le plus imposant dispositif militaire urbain de l’Antiquité…
Lorsqu’il est question de Rome dans les conversations de nature culturelle ou historique, l’on se réfère le plus souvent aux lieux et aux monuments les plus emblématiques de celle que l’on nomme fréquemment « la ville éternelle ». Sont tout naturellement évoqués la cité du Vatican, si chère aux catholiques, la très belle basilique Saint-Jean-de-Latran, le sévère château Saint-Ange, ancienne résidence papale, l’antique et émouvant Forum romain et ses spectaculaires voisins le Palatin et le Colisée, les grandioses thermes de Caracalla, l’élégant Capitole et le monumental Vittoriano, la piazza del Popolo, ou bien encore la somptueuse villa Borghese et son parc, si apprécié des Romains en période de canicule. Sans oublier l’incontournable fontaine de Trevi, immortalisée par Federico Fellini dans La Dolce Vita, la piazza Di Spagna, dominée par sa célèbre « scalinata », et bien sûr la bellissima piazza Navona, si prisée des visiteurs étrangers…
Mais jamais ou presque l’on ne parle du mur d’Aurélien. Une omission d’autant plus étonnante que, malgré les multiples transformations de la ville au cours des siècles, cette formidable enceinte a été préservée par les urbanistes italiens sur une grande partie de son tracé. En l’occurrence, 12,5 km, majoritairement en bon état de conservation, et dont la plupart des sections sont d’autant plus facilement visibles de nos jours qu’elles sont longées par des rues et par quelques cheminements pédestres. Un prodige de conservation dont il y a lieu de se féliciter car il offre, tant aux chercheurs qu’aux passionnés d’histoire ou aux simples promeneurs, un prodigieux témoignage de ce que fut la ville de Rome aux premiers siècles de notre ère.
Il n’est évidemment pas question d’entrer ici dans le détail de l’histoire de la Rome antiqueet moins encore d’étudier les caractéristiques architecturales du mur d’Aurélien (il y a pour cela d’excellent sites spécialisés sur le web). Il n’est toutefois pas inutile d’apporter quelques précisions sur le contexte de construction de cette enceinte monumentale. Auparavant, la ville était protégée par le mur Servien. Bâti par les édiles de la République de Rome au IVe siècle avant JC sur le tracé préexistant d’une levée de terre défensive (un agger) datant de deux siècles plus tôt, ce rempart de 11 km de longueur enserrait cinq des sept collines de Rome (l’Aventin, le Capitole, le Palatin, le Quirinal, le Viminal). Or, à l’arrivée au pouvoir d’Aurélien, la ville s’était considérablement développée à l’extérieur du vieux mur Servien dont la construction datait déjà de… sept siècles*.
En ces temps marqués par les invasions germaniques dans le nord de la péninsule, Aurélien estima qu’il était devenu urgent de mettre à l’abri d’une possible attaque des « barbares » le million d’habitants que comptait désormais la ville de Rome. D’où la décision de construire une puissante enceinte destinée à protéger non seulement la Rome originelle et ses lieux de pouvoir, mais également les nouveaux quartiers situés hors du mur Servien. Ainsi fut fait, et de belle et rapide manière : il ne fallut en effet que cinq années pour construire, sur une longueur de 19 km, les nouvelles murailles de Rome, larges de 3,3 m, hautes de 8 m sur 2 m de fondations et flanquées de 381 tours. Il est vrai que, pour accélérer la construction, plusieurs monuments préexistants ont été intégrés dans le rempart, notamment des tronçons d’aqueducs. Cet ouvrage monumental fut presqu’entièrement réalisé durant le bref règne d’Aurélien, son successeur Probus n’ayant eu en charge que des travaux de finition ou de décoration des portes de la ville.
S’il subsiste environ 12,5 des 19 km d’origine du mur d’Aurélien, ce sont en revanche 14 des 18 portes du tracé initial qui ont traversé les siècles. Toutes ne sont pas identiques, loin s’en faut, entre les plus monumentales d’entre elles – au débouché des principales voies romaines – et les autres, plus modestes en termes d’appareillage. Qui plus est, plusieurs d’entre elles ont fait l’objet de transformations et d’embellissements au fil du temps, ce qui rend encore plus attractive la découverte de ces ouvrages. Parmi les plus imposantes de ces portes figure celle de San Sebastiano. Anciennement dénommé Appia car elle était située au débouché de la plus célèbre des voies romaines, cette porte abrite un intéressant (et gratuit) Musée des Murs de Rome (Museo delle Mura). La visite de ce musée peu connu complète utilement les balades le long des parties les mieux conservées du mur d’Aurélien, notamment entre la porta Metronia et la porta Latina, entre la porta San Sebastiano (ex-porta Appia) et la porta Ardeatina, ou bien encore entre la porta San Paolo (ex-porta Ostiensis) et le Tibre.
Pour terminer, notons que les plus beaux remparts romains ne sont pas visibles à Rome, malgré l’extraordinaire richesse de la capitale italienne en matière de patrimoine antique, ni même ailleurs dans la péninsule. C’est en effet au cœur de notre pays, et plus précisément dans la Sarthe, que l’on peut admirer ces joyaux ! Si vous en doutez, cliquez-donc sur ce lien : Le Mans, ville fortifiée romaine (janvier 2014).
* Il ne subsiste plus que de rares vestiges du mur Servien à Rome. L’un des plus importants est visible à proximité de la gare Termini.