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Jean-Marie Le Pen : “Chirac ne voulait pas sauver cette France. Il était d’accord avec la gauche pour faire advenir ce qui est advenu”

Jean-Marie Le Pen : “Chirac ne voulait pas sauver cette France. Il était d’accord avec la gauche pour faire advenir ce qui est advenu”

Rédigée avant le décès de Jacques Chiracvoici l’analyse qu’offre Jean-Marie Le Pen dans le 2ème tome de ses mémoires “Tribun du peuple”. Elle a le mérite de ne pas être atténuée par le deuil de circonstance :

“Je voulus pourtant pousser Chirac à tenir le rôle que son étiquette politique commandait. Sa mauvaise réputation plaidait en sa faveur. Le surnom de Facho Chirac que lui avait donné Le Canard enchaîné, celui de Bulldozer qu’il devait à Pompidou, l’appel de Cochin que lui avaient mitonné Pierre Juillet et Marie‐France Garaud, le récit de Mai 68 qui courait, où on le voyait négociant rue de Grenelle avec un pistolet dans la poche. Gagné par cette mythologie qu’il laissait astucieusement répandre, je lui faisais crédit d’être une force de la nature arriviste, peu regardante sur les moyens, mais sans états d’âme quant aux convictions. J’espérais donc que la raison aurait prise sur lui et que, si l’union des droites servait son intérêt, il s’y résoudrait. Je le croyais requin pour les ambitions, méduse pour les idées. Je me trompais. L’histoire allait prouver que derrière ce commode profil de Rastignac se cachait un militant résolu de l’Anti‐France.

Pour l’instant, Bernard Pons, alors secrétaire général du RPR, mit un terme à tout espoir immédiat le 15 juin 1983 en déclarant : Au niveau national, un accord de principe pour une politique commune RPR-UDF est intervenu. Cet accord exclut la participation des représentants de Front national.

Il existait donc de bonnes exclusions, de légitimes discriminations  ! J’en tirai la conséquence. Le bureau politique du FN réuni à Paris le lundi 18 juillet prit acte de la situation créée par la décision de l’UDF et du RPR de présenter chacun sa propre liste aux élections européennes et de la volte‐face de Jacques Chirac sur le problème européen. Il a demandé à son président JMLP de conduire la liste de l’opposition nationale. L’histoire a parfois des ironies délicates : c’est la raideur idéologique de Chirac qui, en refusant toutes mes demandes d’alliance, allait provoquer le raz‐de‐marée du FN aux européennes de 84  ! »

« Les trois ans qui venaient de passer auraient dû voir le triomphe de Chirac. À partir de l’échec du PS aux législatives partielles de 1982, suivi des manifestations pour l’école libre et de la poussée électorale continue contre la gauche, il jouit d’une exceptionnelle conjoncture politique. Le peuple ratifie la position de droite nationale que lui ont tracée Marie‐France Garaud et Pierre Juillet. Il lui suffit de tenir fermement son cap pour ramasser la mise. Le faible poids, à l’époque, de l’électorat immigré et la désaffection de la gauche lui garantissent une marée d’électeurs autour d’une droite décidée. Il ne risque pas de perdre au centre ce qu’il gagne à droite : il peut compter sur une majorité de type juin 68.

Si, donc, il avait persisté dans son discours de droite, je n’avais ni place ni utilité.

Or c’est le moment qu’il choisit pour lancer la stratégie inverse. En fonçant à gauche, il m’ouvrait un boulevard. En refusant avec hauteur et grossièreté toute alliance, il révulsait son aile droite et la poussait dans mes bras. C’est incompréhensible si on le considère comme un homme de droite recherchant le pouvoir. Si l’on accepte au contraire de penser qu’il n’était, ni n’est, de droite, tout s’éclaire. Chirac a sacrifié son destin de président en 1988 à ses convictions de militant politique de gauche. Cela peut surprendre, et pourtant, ses proches lieutenants envoyaient des signes clairs à l’opinion. Ainsi Jacques Toubon avait‐il confié au Monde du 3 février 82 : Jospin, à l’ENA, j’étais plus à gauche que lui  !

Comme si c’était un titre de gloire  ! Sur l’immigration, Chirac était clair dans le néfaste. Dès la fin du mois d’octobre 1977, il avait déclaré : Lier le chômage à la présence des immigrants est une réaction primaireEn 1979, il s’était prononcé aussi pour le vote des immigrés aux élections municipales (donc indirectement aux sénatoriales). À L’Heure de vérité, en juin 1982, il pontifiait sur le registre moral : Il serait inadmissible de renvoyer maintenant les immigrés.

Les petites phrases démagogiques (et vulgaires) qu’il devait lâcher plus tard pour tenter de capter l’électorat populaire relèvent donc du pur théâtre politique.

Il avait aussi voté avec la gauche la loi sécurité et liberté, poussé en avant la loi Veil, il était le premier ministre du regroupement familial. Quand le quotidien britannique de gauche The Guardian l’interrogea sur le Front national, il laissa tomber : L’honneur du gaullisme est d’avoir toujours marginalisé l’extrême droite (…)

Quoi qu’il en soit, étant donné l’idéologie dont Chirac était tissé, et qui n’avait pas varié depuis le temps où il vendait L’Humanité à la criée et signait l’appel de Stockholm, son refus de saisir la main que je lui tendais était logique. Sans doute voulait‐il le pouvoir, mais il ne voulait pas le devoir à une coalition des droites ni se trouver forcé à mettre en œuvre une politique de droite.

Ce qui est extraordinaire, c’est qu’il dirigeait ce que l’on tenait pour le plus grand parti de droite en France, et que les membres de ce parti le gardaient à leur tête. C’est la preuve, d’abord, de la force d’un appareil qui ne s’embarrassait pas de démocratie, ensuite, de l’infiltration gauchisante, sans doute maçonnique, de cet appareil. Si l’on excepte quelques jours après la municipale de Dreux, il m’a toujours exclu avec constance.

En 1985, lors de mon voyage en Nouvelle‐Calédonie et de la préparation des législatives, les militants de droite étaient remontés par la dérive mitterrandienne de la société française. Ils manifestaient des convictions et préconisaient des solutions proches du FN, parfois plus radicales. Cela se traduisit par une plateforme de gouvernement RPR‐UDF en vue des législatives qui pompait littéralement le programme du FN. C’est alors que Bernard‐Henri Lévy jeta dans la presse l’interdit contre le Front national, qui se traduisit par la stratégie du cordon sanitaire menée par Chirac à l’Assemblée nationale, malgré le désir de nombreux élus de droite de se rapprocher de nous.

Qu’est‐ce qui a fait marcher Chirac  ? C’est la grande question non résolue qui a donné forme à trente ans de politique en France. Pourquoi, sous quelle influence Jacques Chirac est‐il volontairement tombé dans le piège de François Mitterrand et a‐t‐il de ce fait sacrifié son élection en 1988  ? Pourquoi a‐t‐il rejeté l’alliance du Front national, grâce à laquelle la droite aurait pu mener une politique de droite et sauver la France que nous avons aimée  ?

Il me semble que la réponse est dans la question. Au‐delà des détails et des manœuvres politiciennes, je crois tout simplement que Chirac ne voulait pas sauver cette France, qu’il était d’accord avec la gauche pour faire advenir ce qui est advenu.

Il était d’accord avec la gauche, nourri de la même idéologie, pour changer la France et remplacer son peuple. Ce n’est pas un hasard s’il allait faire tant de tintouin, plus tard, sur la fracture sociale. Étudiant marxiste vieilli, Chirac n’accorde nulle importance à la lignée ni au territoire, son monde se divise exclusivement en classes. La nation est pour lui une vue de l’esprit qu’il convient de jeter aux poubelles de l’histoire. Je n’ai pas tout de suite mesuré l’irréfragable solidité des convictions antinationales de Chirac, mais j’ai senti sa haine. Si Chirac ne voulut pas d’une majorité de droite nationale qu’essayaient de négocier Junot, Violet et Malaud, c’est qu’il haïssait la droite et la nation (…)

Le système avait employé tous ses moyens à éliminer le FN à l’aide de plusieurs campagnes de dénigrement. Pourtant, nous avions trente‐cinq élus, plus que le Parti communiste, dans l’ensemble d’excellente qualité. Mieux encore, nous avions amené le débat sur nos idées, nous avions mis sur la table l’immigration, ses liens avec le marasme économique et l’insécurité. Nous avions obligé la droite à prendre position sur la question.

Chirac réagit aussitôt. Il lança contre notre remarquable équipe, que la géographie de l’Assemblée plaçait à l’extrême droite du président de séance, la consigne de l’isoler par un cordon sanitaire. Tel fut le vocabulaire employé, que nul, dans ce cas, ne jugea nauséabond. Les députés de sa majorité ne devaient ni voter les textes que nous proposerions ni nous adresser la parole. Le journaliste Franz‐Olivier Giesbert devait révéler plus tard que Chirac avait choisi lui‐même les députés RPR limitrophes des nôtres afin de s’assurer que la consigne soit bien respectée.

Cependant était apparu au cours de la campagne électorale un phénomène que l’on nomme aujourd’hui la porosité de nos électorats. Lassés de la mollesse de la fausse droite, de nombreux Français rejoignaient les rangs du FN, d’autres plus nombreux votaient pour lui, c’est pourquoi le RPR et l’UDF avaient copié leur plateforme de gouvernement sur notre programme afin d’éviter une plus forte hémorragie. La France se posait maintenant une question simple : Chirac allait‐il tenir les promesses qui l’avaient fait vice‐roi, allait‐il mener les réformes annoncées et satisfaire le mouvement d’espérance qui nourrissait sa rhétorique pâteuse  ?

La gauche le redoutait, les naïfs de la droite l’espéraient. En tant que président du Front national, comptable de l’espoir de mes électeurs, il me revenait d’en juger, vite et juste ; en tant que président du groupe Front national, il m’appartenait d’exprimer nettement ce jugement. Ma responsabilité était importante. Nous eûmes un débat. Le subtil Bruno Gollnisch prônait l’abstention afin de « laisser sa chance à Chirac » et de ne le condamner qu’après, sur pièces. Cela me sembla bien byzantin. Aucun d’entre nous ne croyant que Chirac eût la volonté de bien faire, c’était un stratagème un peu vain, surtout peu compréhensible par nos compatriotes. Il fallait être plus clair. Je répondis à Gollnisch : Les Français ne nous ont pas élus pour que nous nous abstenions  !

C’est dans cet esprit que je montai à la tribune. La question de confiance était posée par Chirac, j’y répondis sans note ni détour. Mon improvisation fut jugée brillante par une assemblée silencieuse. Un seul mot comptait pour moi, confiance : j’ai parlé sans me référer à un papier, parce que je pense qu’il s’agissait d’exprimer un sentiment intime. La confiance, cela ne s’écrit pas, cela ne se décrit pas, cela se ressent : on a ou on n’a pas confiance. Monsieur le Premier ministre, je n’ai pas confiance. (…)

Passant l’éponge sur les avanies subies (on voit que je n’étais pas rancunier quand il s’agit de l’intérêt national), je tentai, par Malaud, par Junot, par Violet, d’obtenir, sinon un accord de gouvernement, du moins un gentlemen’s agreement, l’assurance que, sur des points importants, la majorité tiendrait ses propres engagements. Peine perdue. Le refus de Chirac, alors comme toujours, eut un côté buté, incompréhensible, presque hystérique (…) Je lui laissai quand même sa chance, sans le dire. Comme il draguait depuis l’appel de Cochin la part nationale de la droite, il était naturel qu’il veuille m’évincer, la politique n’est pas un jeu de collégiennes. Je comprenais jusqu’à un certain point ses coups bas.

Si l’on excepte quelques jours après la municipale de Dreux, il m’a toujours exclu avec constance. Pourquoi  ? Dans une confession au Quotidien de Paris, il avouait pourtant : Le Pen et moi n’avons pas les mêmes idées, mais ce n’est en aucun cas un fasciste  !

Certains expliquent l’ostracisme constant dont m’a frappé Chirac par le piège de Mitterrand. Ce n’est pas convaincant. Sans doute, Mitterrand, ayant vu très vite l’impasse où le menaient la catastrophe économique et la désaffection populaire qu’il provoquait, comprit qu’il ne pourrait se maintenir que par artifice. Après 1984, quand le PC fut descendu à 10 % et nous montés à peu près au même niveau, l’attelage des gauches ne pouvait continuer, l’arithmétique lui imposait de diviser les droites.

Il est tout aussi clair que Mitterrand se servit de notre croissance à cet effet. Mais cela ne nous dit pas pourquoi Jacques Chirac est tombé dans ce piège visible comme le nez au milieu de la figure. Rien ne l’empêchait de faire alliance avec le FN. On l’a vu à Dreux, où nous n’étions pas encore frappés de diabolisation majeure. L’alliance des droites, que je proposais depuis 1974, que préconisaient certains amis de Chirac, Junot, Malaud, restait possible. Chirac n’en voulut pas. Même après les législatives de 1986, bien que le Front national fût devenu une force politique durable dont la droite aurait besoin pour prendre le pouvoir, il maintint une exclusion qui devait lui coûter en 1988 la présidence de la République.

Pourquoi  ?

La solution échappe à la pure rationalité. Jean Madiran et François Brigneau, deux grands journalistes de la droite nationale, ont émis une hypothèse. Ils pensaient que Chirac a respecté l’engagement pris avant les législatives de 1986 par Alain Madelin auprès du B’nai B’rith, au nom du RPR et de l’UDF, de ne jamais passer avec le FN d’alliance nationale. L’un des anciens dirigeants du B’nai B’rith, Yves‐Victor Kamami, reconnaît et la rencontre au début de 1986 et l’engagement, même s’il critique le mot pacte. Ôtons donc le mot pacte. Il n’y a pas eu signature, mais il y a eu engagement, cela ne relève nullement de la théorie du complot. La collection du Monde et celle du Monde juif le confirment.”

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