Ce 15 octobre était diffusé un très utile rapport sénatorial sur le Brexit. Signé de Jean Bizet et Christian Cambon, cette étude[1] de 112 pages, livre une analyse sans concession des trois années écoulées depuis le référendum du 23 juin 2016.
Rappelons ici, tout de même la préhistoire de l'événement. Chef du Gouvernement de Sa Majesté, David Cameron pensait jouer en 2016 à UKIP le même tour qu'aux libéraux-démocrates. Aux libéraux, durablement écartés du pouvoir depuis la guerre, il avait promis, dans le cadre de leur alliance de 2010, un référendum sur une réforme du mode de scrutin [qui eût été catastrophique].
Ce référendum oublié eut lieu en mai 2011. Résultat : 42 % de participation et 68 % de non.
Aux élections suivantes, en 2015, les lib-dem furent laminés passant de 57 à 8 sièges. Les conservateurs obtinrent, avec 37 % des voix, la majorité : 380 députés sur 650 circonscriptions, ceci grâce au bon vieux système du vote uninominal à un tour.
Au lendemain de ce succès, la menace venait cette fois du parti souverainiste de Nigel Farage qui obtint, certes un seul député, mais 3,8 millions des voix et 12,7 %, contre seulement 3,1 % cinq ans plus tôt. Pour lui couper en partie l'herbe sous le pied, le gouvernement avait promis ce fameux référendum sur la sortie de l'Union européenne, cheval de bataille du "parti pour l'indépendance du Royaume Uni"…
Tout se passait très bien.
Depuis le retour au pouvoir des conservateurs en 2010 après le séjour désastreux de Gordon Brown à Downin street, le gouvernement Cameron réalisait un sans faute, l'économie britannique se portait à merveille. Les travaillistes, noyautés dans leur base militante par les mouvements trotskistes, se dotaient d'un chef de file caricatural, Jeremy Corbyn, de nature, pensait-on, à assurer leur défaite pour de longues années.
Et puis, patatras. En effet, avait pu le constater le regretté Witold Gombrowicz, il n'est de si bonne ambiance qu'on ne puisse gâcher. Et, en juin 2016, une courte majorité d'électeurs donna une victoire, totalement inattendue, aux brexiteurs…
La fin de l'interminable procédure qui en est résultée se rapproche à grande vitesse. Pourtant, au moment où ces lignes sont écrites, à 15 jours de la date fatidique du 31 octobre, on ne sait toujours pas, si véritablement un accord sera ratifié pour en amortir le choc.
Dois-je l'avouer ici ? Jamais je n'ai aimé cette idée que l'Angleterre puisse cesser de faire partie d'une communauté culturelle qui s'appelle l'Europe. Shakespeare, un des géants de l'humanité, nous appartient à tous, exactement au même titre que Goethe, Aristote ou Dante Alighieri. Et Dostoïevski. Que ceci recoupe ou non la question des institutions supranationales pensées par nos dirigeants depuis le traité de Rome de 1956, reste subsidiaire.
On est souvent tenté d'expliquer une catastrophe, grande ou petite, par ce qu'on appelle un "complot"… En réalité la victoire de forces additionnées et unies, l'emportant sur d'autres, généralement moins bien coordonnées, peut toujours être qualifiée de la sorte.
Quand même, d'un mal il peut parfois sortir un bien. Et si les Français pouvaient un instant, même pour de mauvaises, renoncer au franglais, la récupération de la langue pourrait les aider à penser plus juste.
Quelle exaspération d'entendre, en effet, l'invasion médiatique d'un idiome qui, certes, peut sonner de manière poétique, qui peut permettre aussi d'échanger quelques mots pratiques, sinon quelques concepts, quand on rencontre des Patagons, voire des Japonais[2], mais qui n'est même pas compris par nombre de ceux qui l'utilisent. Entendu récemment plusieurs pubs radiophoniques du type : "c'est la beauty week, beauty week veut dire semaine de beauté". Mais alors pourquoi ne pas le dire directement en français ?
J'en arrive donc, après ce long mais nécessaire détour, à la question, passablement irritante, du concept de "think tank". Ce mot ne figure pas dans le dictionnaire de Littré. Il ne veut donc littéralement rien dire de précis. Mais il semble désigner aux États-Unis [d'Amérique du Nord] une réalité fonctionnelle directement liée aux institutions de cette grande puissance. On peut, de façon sommaire, en décrire le rôle : des fondations privées, alimentées par quelques grosses fortunes, salarient des intellectuels pour donner des idées à ceux qui n'en ont pas. Voilà une très généreuse démarche.
Faut-il dès lors parler d'un complot ?
Il devient donc de plus en plus nécessaire de comprendre le rôle des sociétés de pensée… [à suivre]
JG Malliarakis
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Si l’on veut connaître un pouvoir démocratique comme il est, et non plus comme il veut qu’on le voie, ce n’est évidemment pas à lui qu’il faudra le demander, fait remarquer l'auteur.
La société de pensée ignore sa loi, et c’est justement ce qui lui permet de se proclamer libre : elle est orientée à son insu, non dirigée de son aveu. Tel est le sens du nom que prend dès 1775 la plus accomplie des sociétés philosophiques, la capitale du monde des nuées : le Grand Orient. (...)
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[1] Rapport d’information, en date du 10 octobre 2019, fait au nom du Groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et sur la refondation de l’Union Européenne sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Document téléchargeable sur le site du Sénat.
[2] Et encore. Parmi les divergences majeures entre ceux-ci et les Coréens [du sud...] on retiendra que les fils du Soleil Levant, à la différence de ceux du Matin Calme, parlent en général très mal l'anglais.