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« Le populisme, c'est le peuple qui ne veut pas crever »

Olivier Maulin vient de publier Le populisme ou la mort, recueil de chroniques puissantes, parues jadis dans Minute. Historien français, romancier gaulois, chroniqueur littéraire à Valeurs Actuelles, c'est le contraire d'un idéologue ; nous lui avons demandé son avis sur le populisme.

Propos recueillis par l'abbé G. de Tanoüarn

Quelles sont, selon vous, les grandes manifestations populistes en France aujourd'hui ?

Je ne vous surprendrai pas en vous répondant que les Gilets jaunes représentent le populisme à l'état chimiquement pur. Mais attention aux confusions ! Contrairement à ce que disent aujourd'hui les mélenchonistes, nous ne sommes pas devant un mouvement social. Il y a bien quelques revendications sociales (sur le pouvoir d'achat par exemple) mais elles ont été accrochées à des demandes beaucoup plus profondes que j'appellerais politiques et nationales. Pour reprendre - mais dans le sens inverse - l'expression du militant politiquement correct Daniel Lindenberg, c'est bien un rappel à l'ordre qu'administrent les GJ, mais celui-là n'est pas adressé au peuple qui serait mal-pensant comme l'imagine Lindenberg, il est adressé avant tout par le peuple aux élites. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'une réaction qui serait fondamentalement anti élites, mais d'une réaction contre ces élites-là, celles de maintenant, qui ne font pas leur boulot. Les Gilets jaunes veulent être gouvernés, ils ne le sont pas. Voilà le fond de cette crise, que les médias nous cachent, en énumérant toutes sortes de revendications sociales ou politiques des Gilets jaunes, qui ne sont pas essentielles dans ce mouvement. Ils manifestent quelque chose qui rappelle les émotions d'ancien régime. Il y a un très beau livre d'Yves-Marie Bercé, Croquants et nus pieds, qui montre bien cela des croquants tuaient un collecteur d'impôts en criant vive le roi. Nos Gilets jaunes crient « Vivent les élites, mais qu'elles nous gouvernent ! ». Le problème, c'est que dans la mesure où ils se sont organisés, les GJ ont perdu cette fibre initiale. Es n'avaient pas à s'organiser.

Les GJ ont été piégés ?

Trois pièges leur ont été tendus le piège de l'organisation, dont je viens de parler, le débordement par les black-blocs (aujourd'hui les samedis il n'y a presque plus de GJ, que des blacks blocs ce sont des coucous installés dans le nid des GJ). Et puis on ne peut pas exclure les basses manœuvres de l'État policier, non seulement une répression sans exemple, digne d'un État autoritaire cela restera. Mais une répression sélective, qui a longtemps épargné les black-blocs, cédant à une volonté de pourrissement. Le mouvement aujourd'hui, on peut le considérer comme mort, mais ceux qui l'ont créé sont toujours là. Ils réapparaîtront à un moment ou à un autre.

Que pensez-vous, à propos des GJ de l'expression de Charles Maurras « la contre-révolution spontanée » ?

Les GJ ne sont pas des contre-révolutionnaires, ce sont des gens dans leur époque, qui sourirent d'un système qui les exclut mais qui sont victimes aussi d'un certain nombre d'impenses, comme l'Europe qui apparaît à certains comme un recours ou le Progrès, invoqué par d'autres. Ils n'identifient pas toutes les causes de leurs malheurs. Le populisme n'est pas un contre-projet politique, c'est plutôt un outil, un style, une manière de marquer que l'on est passé dans un autre monde.

C'est aussi une appellation fourre-tout puisqu'on a pu dire que Trump est populiste ou même que Macron est populiste...

Je crois qu'on vit une séquence historique populiste avec Trump, Salvini, Bolsonaro. Qu'ont-ils en commun ? Un style justement. Le populisme est d'abord un style. Quel style ? On fait croire que ces leaders influencent le peuple. C'est l'inverse. C'est le peuple qui influence ce genre de leaders, ce qui leur donne ce style. Mais il faut un peu creuser. Je dois beaucoup à Vincent Coussedière, qui a fait un travail de philosophie politique formidable sur le populisme. Il distingue le populisme du peuple et le populisme des démagogues. Je crois que le populisme des hommes politiques, même les formes populistes qu'a pu prendre un Macron ou un Trump court-circuitant les journalistes avec ses tweets par exemple, s'apparente au second genre de populisme, celui des démagogues ces gens, qu'à l'image de Trump, on a voulu parfois faire passer pour des cons, ce sont des politiques, ils ont des antennes, ils ont compris des choses, ils ont capté la colère populaire avant les autres et ils essaient d'en faire quelque chose ce sont des démagogues mais je crois qu'ils vont bâtir quelque chose.

Quel genre de choses ?

Appelons cela démocratie illibérale. Je crois qu'on va enterrer la démocratie libérale. Elle ne survivra pas telle qu'elle est. À terme le libéralisme va être bridé, ce ne sera pas la dictature pour autant, mais on va poser des limites. Je crois que le mot limite contient ce qui peut caractériser l'évolution de nos sociétés. Le mot limite est fondamental. Limites à la consommation, à l'immigration, au bidouillage génétique. C'est un maître mot d'aujourd'hui.

Y a-t-il des limites à poser à nos libertés ?

Tout le problème est là. Je ne vois pas forcément des limites à nos libertés, mais je vois le retour à un socle de vérités dont la prégnance varie selon les pays, mais que chacun devra se réapproprier. Je prendrai l'exemple de l'avortement chez nous en France, l'avortement est une liberté individuelle non-négociable. Mais dans des pays comme la Hongrie ou même les Etats-Unis, on sent bien que la question de l'avortement n'est pas résolue aussi simplement et que ces peuples vont préférer la survie de la communauté à la liberté individuelle de l'avortement. Deux libertés s'affrontent la liberté individuelle selon les droits de l'homme et la liberté collective. Pour l'instant la France en général et la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) en permanence se trouvent de manière caricaturale du côté de la liberté individuelle, jusqu'à faire condamner les États face à des terroristes. Dans mon livre je donne l'exemple d'un ressortissant marocain, Abdallah O, soupçonné de terrorisme l'État belge allait le livrer à son pays d'origine. La CEDH a fait annuler la décision au motif que le Marocain risquait d'être maltraité par le Maroc, et a condamné la Belgique à 6 000 euros de dommages et intérêts… Au nom des droits de l'homme bien sûr ! Il me semble que ce genre de décision apparaît de plus en plus comme scandaleuse, que le droit des individus poussé à outrance s'oppose au droit des sociétés, et que beaucoup de pays en reviennent à la liberté collective et aux décisions prises en fonction du bien commun !

Mais revenons à Coussedière et à sa distinction entre le populisme des démagogues et le populisme du peuple. Nous avons vu ce qu'est le populisme des démagogues, un style. Qu'est-ce que le populisme du peuple ?

C'est un sentiment populaire qui naît de la visible destruction de la société. Je ne parle pas seulement de l’immigration, l'immigration est moins grave que cette « société défaite » qu'évoque Jean-Claude Michéa dans sa critique sociale. Je crois que pendant longtemps le modèle libéral a fonctionné avec des types humains d'avant. Le grand bourgeois du XIXe siècle a encore du type humain d'Ancien régime. Pendant les Trente Glorieuses, la grande bourgeoisie cesse de transmettre. Ce type humain du grand bourgeois « classique » est en train de disparaître, il n'a plus d'existence que folklorique ou anecdotique. Il est remplacé par une autre bourgeoisie, libérale libertaire, avec des valeurs différentes, totalement individualisée. C'est à partir de là et par en haut que la société a commencé de se défaire.

C'est un processus automatique, cette dissolution de la société ?

C'est ce que l'élite essaie de faire croire. Alain Mine explique ainsi que la globalisation « c'est comme la pomme qui tombe de l'arbre ». En réalité la globalisation libérale a été pensée, voulue, mise en place. Et qui trouve-t-on à son origine ? Trois Français, d'ailleurs plus ou moins proches de la démocratie chrétienne Michel Camdessus pour le FMI, Jacques Delors pour la Commission européenne et Pascal Lamy pour l’OMC. C'est cette convergence d'esprits qui a préparé la voie en Europe au libéralisme mondialisé. Il a fallu abattre la protection avant de mettre en place la globalisation. L'idéologie libérale est comme le diable de Baudelaire sa plus grande ruse est de faire croire qu'elle n'existe pas ! Et pourtant clairement, il y avait un plan.

Comment caractériseriez-vous la révolte populiste contre la globalisation ?

Je ne suis pas persuadé que ce soit une révolte identitaire. Les identitaires se sont piégés eux-mêmes en ne retenant qu'une identité figée, incapable de s'adapter, de sortir d'elle-même. Ce n'est pas quelque chose de figé, l'identité. Il y a eu des vagues d'immigration précédentes et elles ont apporté quelque chose à l'identité française, en s'agrégeant à elle, mais en gardant la référence au passé de la France, à ses valeurs et à ses mœurs. La grande différence avec les vagues d'immigration musulmanes actuelles, c'est que la possibilité de continuer à vivre selon ses propres croyances et ses propres coutumes est attaquée par l'islam, qui en a d'autres et qui tente de les imposer. Coussedière, encore lui, précise que le peuple n'est pas forcément un être social et politique à tous les moments de son histoire. La Pologne n'a eu aucune existence sociale ou politique pendant deux siècles, au XVIIIe et XIXe siècle et elle est restée un peuple. En réalité, c'est par sa sociabilité qu'un peuple se définit et c'est cette sociabilité qui est aujourd'hui mise en péril, d'abord par le libéralisme destructeur du lien social, ensuite par l'immigration en particulier musulmane. Voilà l'explication des Gilets jaunes. Voilà le populisme du peuple, un populisme sans parti disponible, alors que même les politiques conservateurs ne veulent plus rien conserver, voyez Juppé. Le peuple ne cherche pas le pouvoir, il veut seulement ne pas crever.

Olivier Maulin, Le populisme ou la mort et autres chroniques, Via romana, 290 p., 24 €

Vincent Coussedière, Éloge du populisme, éd.Elya, 2016.

momde&vie 23 mai 2019

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