Les militants identitaires que nous sommes n'ont pas renoncé à bousculer et si possible sans trop la ménager la sclérose ambiante dans laquelle est vautrée notre civilisation blanche. Il n'est qu'à déambuler un samedi après-midi dans les allées d'un hypermarché pour toucher du doigt à quelle déchéance se voue le citoyen, celui-là même dont on nous vante le sens des responsabilités, l'intelligence civique et le haut niveau culturel. Et il est vraisemblable que nous serions davantage édifiés (horrifiés ?) si nous avions accès aux occupations privées des uns et des autres. Sans vouloir préjuger de l'emploi du temps des Français, et des Européens en général, il est évident que le tronc commun est constitué par une fréquentation autant passive qu'assidue du virtuel, du rêve, de l'apparence et de la fiction. Cette vision d'un peuple en fuite vers sa déchéance physique et mentale ne suffit pas à effacer notre conception d'un avenir dont nous voulons être les bâtisseurs solaires et inspirés. On n'est pas pour autant fondés à se ranger sous la première bannière venue. Or ces alliances contre nature auxquelles nous avons assisté - particulièrement du côté de nos camarades italiens de Forza Nuova lors des événements de Gênes - nous font penser qu'une utile mise au point est nécessaire.
Il ne faudrait pas en effet se leurrer sur la nature de l'affrontement entre mondialisme et antimondialisme qui se déroule actuellement sous les yeux du monde, et en particulier du monde riche. Ce sont bien des « citoyens du monde » issus de mouvements alternatifs, écologistes amis des sans-papiers, et anarchistes aux idées cryptocommunistes ripolinées d'humanisme bon teint, qui se dressent contre les thèses libérales globalisantes. Nous demeurons conscients que ces individus n'ont jamais montré envers nous la moindre considération n'ont jamais tendu la main, même de loin aux « pestiférés » que nous sommes. Nous ne perdons pas de vue que les artisans de ces initiatives, pour peu qu'elles puissent nous paraître aux premiers abords sympathiques par exemple dans le combat anti-OGM, sont issus d'associations comme Attac, ou « Droits devant » qui voient d'un œil très favorable un retour aux pouvoirs de type collectiviste, orwellien, proche de ce qu'ont subi les pays de l'Europe de l'Est durant 70 ans. Nous n'ignorons pas que ces militants, à la représentation ethnique éminemment variée, souhaitent substituer à la liberté d'entreprendre et de s'exprimer à peu près, leur vision du monde égalitariste, où l'individu est nomade, métissable à volonté et privé de la faculté de penser par lui-même tant il est dressé à ne pas ébranler les tabous institutionnalisés. Sur ce dernier point, les antis ont d'ailleurs un passif excessivement lourd, si l'on en juge par leurs prétentions réitérées de se situer dans le camp de la vérité sans que nulle conscience institutionnelle ne s'en offusque.
Autre remarque qui va dans le sens de ce que l'on pourrait appeler « l'exception identitaire » du fait qu'elle ne peut se nourrir de concessions en direction des idéologies globalisantes et/ou totalitaires nous ne concevons pas de devoir notre salut à d'autres qu'à nous-mêmes. Car le salut passe avant tout par le fatum, le destin, inhérent à la spécificité de chaque peuple, de chaque ethnie. Il ne peut être conçu et valorisé autrement. Nous savons trop à quel chaos, à quels affrontements mènent les sociétés plurielles (Liban, Afrique du Sud, Serbie, Israël, Mexique. Bientôt Europe, Etats-Unis et majorité des pays de l'Amérique latine).
Ainsi, nous ne pouvons pas concevoir que l'idée identitaire puisse se consolider autrement qu'autour de peuples autant que possible indépendants des pouvoirs centraux. Or qu'il s'agisse d'Etats-nation ou d'instances mondiales, la part de souveraineté civique est considérablement réduite. Dans les deux cas de figure, nous ne trouvons pas matière à agir légalement à notre niveau de décision. Il est certain que, par exemple, la région PACA, plus touchée par le phénomène de l'immigration, gagnerait davantage que la Bretagne à pouvoir légiférer sur ce point. Et ça n'est certes pas l'Etat jacobin qui peut se substituer utilement aux urgences ressenties par les collectivités locales.
Le libéralisme a ses défauts, mais il n'est pas une utopie, et nous connaissons son visage pour l'heure, notre tâche est d'évoluer en son sein, de l'aiguillonner de le harceler jusqu'à ce qu'il accepte la logique identitaire. Tandis que l'anti-mondialisme voudrait constituer un grand mixte humanitaire sur l'ensemble de la planète. Où est la place dans ce projet pour la préservation de notre éthique européenne ? En suivant les « citoyens du monde » nous trouverons certainement matière à nous défouler mais est-ce bien suffisant, est-ce bien utile ? Au temps où il tenait rubrique au Figaro, Jean Raspail avait écrit que s'il pouvait jamais être considéré comme extrémiste, c'était du fait que son impatience était extrême. Certes, la définition nous convient mais elle ne suffit pas à légitimer une agitation dont il est à craindre que le résultat nous échappe. Notre impatience, notre désir d'en découdre, doit laisser place aussi à la réflexion (les confédérations paysannes, poussées par un désespoir compréhensible, ne se sont-elles pas engouffrées un peu vite dans la brèche ouverte par Bové et ses complices issus de l'ultra-gauche ?).
Il ne doit pas nous appartenir en tout cas de contribuer à mettre en place une nouvelle forme de mondialisme, où les étrangers et les indigents seraient les privilégiés ( comme ils ont d'ailleurs déjà tendance à l'être chez nous, au travers d'une clandestinité illégale mais présumée « légitime »…).
Entre l'américanisation du monde et un nivellement « citoyen » il n'est pas nécessaire de balancer ni de trancher. Il est même permis d'opter pour une troisième voie, qui ne devrait rien aux théories d'un Bush Junior ou d'un José Bové, facette l'un comme l'autre de la pensée unique. C'est tout à notre honneur que de savoir démontrer qu'entre la planète Davos et Suzan George une alternative est possible. Une alternative qui nous concerne, qui nous rend notre juste place dans le concert mondial, une alternative identitaire.
par Bruno FAVRiT Réfléchir&Agir N°10 HIVER 2001