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Christophe Colomb, imposteur posthume À la découverte des découvreurs de l’Amérique

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Avant même le début de l'année 1992, est déjà célébré le 500e anniversaire de la « découverte » de l'Amérique par Christophe Colomb. L'ennui est que le célèbre Génois (?) ne fut pas le premier Européen à traverser l'Atlantique et à fonder au-delà de l'océan une lointaine colonie. Il a été précédé, aux alentours de l'an mil, par le Viking Leif l'Heureux, fils d'Erik le Rouge.

On ne connaît pas trop là nationalité exacte de Christophe Colomb, mais ce qui est au moins certain, c'est que le « génial découvreur » fut, sans le savoir sans doute, un véritable imposteur. Aussi tout le bruit que l'on fera l’an prochain en souvenir du voyage de ses trois caravelles sera d'abord un gigantesque bluff publicitaire, logiquement destiné à exalter à la face du monde entier la puissance et la vertu exemplaires des Américains (Le. des Etats-Uniens), lointains héritiers des pseudo-découvreurs, conquistadors, pères pèlerins du Mayflower, Insurgents de 1776 et autres pionniers du Far West, massacreurs d'Indiens et donneurs universels de leçons de morale.

Qui a découvert l'Amérique ?

Si on pose la question entre Narvik et Cherbourg, il y a bien des chances que les plus malins des écoliers répondent

- Les Vikings !

Un millier d'années n'ont pas modifié leur réputation. On les sait capables de tout. En croyant leur faire de la contre-publicité A furore Normannorum, libéra nos, Domine ! les moines de l'Occident chrétien n'ont réussi qu'à les immortaliser, tant il est vrai qu'à dénoncer le diable on lui assure bien des disciples.

L'histoire de la découverte de l'Amérique ne commence pas à la cour de la reine Isabelle la Catholique, qui ratera de peu sa canonisation cinq siècles plus tard, mais quelque part sur les côtes de Norvège, plus de cinq cents ans avant les expéditions des Portugais ou des Espagnols de la fin du XVe.

Vers 960, un Norvégien nommé Thorvald est banni de sa terre natale pour des actes de violence qui dépassent la norme admise en ces rudes époques. Il s'embarque avec son fils Erik, surnommé Le Rouge. Thorvald aurait pu se rendre, comme beaucoup de ses compatriotes exilés, aux Shetland, aux Orcades. en Ecosse, aux Hébrides, en Irlande ou tout simplement en Normandie, comme son compatriote Rolf le Marcheur, dit Rollon.

Il préfère rejoindre l'Islande, où des colons Scandinaves sont établis depuis trois quarts de siècle et forment une étrange communauté d'individualistes farouches, libres de tout souverain.

L'ENTÊTEMENT DU BANNI

Les meilleurs terres sont déjà prises et les nouveaux immigrés doivent se contenter d'une ferme assez modeste située à Drangar, sur la côte nord-ouest. Erik le Rouge y grandit et, fidèle à son hérédité, se révèle un insupportable bagarreur. A peine marié, il s'installe dans le pays de sa femme, à Erikstadir près de Vatushorn. fl ne tarde pas à se prendre de querelle avec un de ses voisins. Jugé coupable de meurtre, bien qu'il crie à une provocation, il est condamné au bannissement. Cela devient une habitude dans la famille. Il ne va pas très loin et s'établit sur une île à l'entrée du Hvams Fjord. Nouvelle querelle avec un nommé Thogeist, petite guerre sanglante entre deux clans et nouveau bannissement.

Cette fois il lui faut quitter l'Islande pour trois ans. D'autres auraient pris la route du sud. Erik cingle vers l'ouest et se fraye un passage à travers les icebergs. Il finit par découvrir un immense promontoire glacé que l'on nomme aujourd'hui le cap Farewell : il vient de découvrir l'extrémité méridionale du Groenland.

Groenland, la Terre Verte, c'est en effet le nom que lui donne Erik, dans un but évident de propagande pour y attirer de nouveaux colons. Il s'établit sur la côte ouest, à Brattalid, et lancera plusieurs expéditions maritimes vers lé nord, jusqu'à l'île appelée maintenant Disko.

En 985, Erik regagne l'Islande, à l'expiration de sa peine, mais une nouvelle querelle et un nouveau bannissement, cette fois définitif, le rejettent vers le Groenland. Il part, accompagné d'un millier d'immigrants, hommes, femmes et enfants qui s'entassent à bord de vingt-cinq navires, surchargés d'animaux divers. N'arriveront que quatorze bateaux. Les autres se seront perdus corps et biens.

Les colons groenlandais sont bientôt trois mille et occupent, sur la plus grande île du monde, deux cents fermes dans le Sud et une centaine plus au nord.

LEIF, L'HEUREUX DECOUVREUR

La présence Scandinave durera jusqu'au XVe siècle. Au moment où Christophe Colomb aborde en Amérique centrale, l'immense nuit polaire raye de la carte les derniers établissements islandais du Groenland. Mais le fils du fondateur avait réussi auparavant à faire mieux que son père.

Un navigateur groenlandais, nommé Bjarni, fils d'Herjulf, raconte que son navire a été « dépalé » au cours d'un voyage entre l'Islande et le Groenland, le vent soufflant du nord et non plus de l’est. Il avait alors découvert une terre inconnue aux rivages assez plats et très boisés.

On estime, notamment après les travaux de l'historien Frederick J. Pohl, que Bjarni avait découvert des terres appartenant aujourd'hui à la Nouvelle-Angleterre, à la Nouvelle-Ecosse et à Terre-Neuve, d'où il aurait regagné la Groenland.

Erik et son fils Leif se rendent à Herjulfness pour entendre de la bouche même de Bjarni le récit de son étrange voyage. Tous deux décident d'y conduire une expédition, mais, à la suite d'une chute de cheval, Erik reste en Islande et ce sera son fils qui aura l'honneur de découvrir l'Amérique - après Bjarni, mais bien avant Christophe Colomb.

Il prend la mer à la tête d'un équipage de trente-cinq hommes, certains sont encore païens et d'autres déjà chrétiens, mais tous aussi aventureux les uns que les autres. Ils mettent le cap à l'ouest, vers l'inconnu.

Leur première escale a heu à Terre-Neuve. Le pays leur paraît peu encourageant et Leif se contente de le nommer Helluland, ou Terre du Rocher plat. Les explorateurs repartent vers le sud-ouest. À la seconde terre qu'il aperçoit, Leif donne le nom de Markland, le pays de la Forêt. Il s'agit sans doute de la côte de la Nouvelle-Ecosse. Le vent est désormais bien établi et après deux jours de navigation, leur navire passe entre une île et un cap pour s'échouer à marée basse. Les Groenlandais remontent ensuite une rivière jusqu'à un lac aux eaux salées et décident d'y passer l'hiver. Il s'agit très probablement de la région de la rivière Bass et du lac Follins, entre le détroit de Nantucket au nord et la baie du cap Cod au sud.

LA TERRE DES BAIES À VIN

En explorant la contrée, un groupe de Vikings découvre des vignes et du raisin. Leif décide d'appeler alors le pays Vinland ou Terre des baies à vin. Il s'agit sans doute de la Nouvelle-Angleterre. Après un hiver qui ne sera pas trop rigoureux, Erik laisse passer le printemps et même l'été pour reprendre la mer. Les explorateurs regagnent sans encombre Brattalid, en rapportant une cargaison de bois dont le Groenland est terriblement dépourvu.

Leif l'Heureux se prépare à succéder à son père Erik le Rouge à la tête du domaine familial. Aussi ce seront ses frères Thorvald et Thorstein, avec sa demi-sœur Freydis, qui partiront pour de nouvelles expéditions au Vinland. Ils vont descendre jusqu'à Long Island, tout près de la future ville de New York.

Thorvald part le premier et découvre que le pays où il aborde est déjà peuplé. Ses compagnons rencontrent neuf inconnus - qui sont sans doute des Indiens Abénaquis, appartenant au groupe des Algonquins, et les massacrent, après la fuite de celui qui sera le seul rescapé. Cette tuerie provoque la colère des indigènes, que les Scandinaves baptisent du nom de Skraelings ou Hurleurs, par lequel ils désigneront aussi bien les Indiens d'Amérique que les Esquimaux du Groenland.

Thorvald est blessé à mort, mais son frère Thorstein décide de prendre sa relève. Il quitte le Groenland, mais le mauvais temps l'empêche de rejoindre le Vinland. Thorstein meurt peu après de maladie et ce sera sa femme, Gudrud, qui va « relancer » la colonisation du Vinland.

Remariée avec un certain Thorfinn Karlsefni, originaire de Norvège, elle part avec une soixantaine de Groenlandais à bord de deux ou trois navires. Quelques rapports plus amicaux se nouent avec les Indiens qui leur échangent des fourrures contre du ravitaillement. Gudrid donne naissance à un fils, Snorri, le premier Européen né en Amérique. Après deux hivers, les colons regagnent le Groenland.

Tout cela est raconté dans le Flateyjarbok et ne fait aujourd'hui plus aucun doute pour les historiens.

D'autres Vikings partiront outre-Atlantique. Ils vont même s'y quereller. Freydis, la propre fille d'Erik le Rouge, et son mari Thovard s'opposent aux entreprises de deux frères d'origine islandaise, Helgi et Finnbogi. La femme prend part à la bataille, une hache à la main, et fend le crâne de plusieurs de ses adversaires ! Cette lutte fratricide marque la fin de la tentative des Groenlandais de coloniser le Vinland.

Voici trente ans, on a découvert un site archéologique Scandinave de l'âge viking dans l'Anse aux Meadows, un petit village situé au bord de l'océan, à l'extrémité la plus septentrionale de Terre-Neuve.

D'autres « témoignages » comme la pierre gravée de signes runiques découverte en 1898 à Kensington, dans le Minnesota, ou la « carte » du Vinland établie en 1440, un demi-siècle avant le voyage de Colomb, sont par contre très probablement des faux archéologiques, même s'ils ont beaucoup fait vagabonder les imaginations crédules.

Les exploits maritimes des Groenlandais, dont les sagas du Moyen Age ont conservé la trace, sont en revanche indéniables. Quelques esprits aventureux ont eu l'idée, dès la fin du XIXe siècle, de les renouveler, prouvant ainsi, par l'exemple, la réalité de la découverte ancestrale.

Jean Mabire Le Choc du Mois Octobre 1991 N°45

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