Écrivain et journaliste au Figaro, Paul François Paoli a beaucoup écrit sur la droite et sur l'identité nationale, depuis Comment peut-on être de droite ? (1999) jusqu'à La France sans identité, pourquoi la République ne s'aime plus ?(2008). Il appelle à une union des droites, sans exclusive, seule façon de replacer l'identité au cœur des débats.
Le Choc du mois : Votre dernier livre traitait de la question de l'identité nationale avant même que le débat fût initié par Nicolas Sarkozy. Comment avez-vous jugé celui-ci ?
Paul François Paoli : Je ne pouvais pas être contre cette initiative puisqu'elle corrobore l'idée que je défends dans mon livre. A savoir que la France souffre d'un déficit symbolique d'identité. Sarkozy a essayé d'y répondre par l'organisation de ce débat. C'était une bonne idée. Son issue a malheureusement étayé ma thèse les Français ne semblent plus guère capables de savoir qui ils sont.
Plus exactement ?
En gros, on a vu deux camps camper sur leurs positions celui de ceux, à gauche principalement, qui définissent la France par les valeurs des Droits de l'homme, et le camp de ceux qui protestent contre l'immigration pléthorique ou contre la présence de l'islam. Ce fut moins un débat qu'un déballage. Pour qu'il y eût un vrai débat, il aurait fallu qu'on soit capable de dire ce que c'est qu'être Français. Notamment à travers plusieurs questions essentielles par exemple quand commence l'histoire de la France, quel est le statut de la Révolution française à l'intérieur du roman national, comment situer la France par rapport à l'Europe ou aux États-Unis, etc. Il aurait fallu poser toutes ces questions, et tenter d'y répondre sérieusement.
La droite sarkozyste, à votre sens, a eu tort de vouloir identifier l'identité nationale à la République ?
C'est une solution de facilité. La République est évidemment une notion fondamentale, personne ne proposant sérieusement la restauration de la monarchie. Pourtant, la France et la République sont des notions qu'il faut distinguer. La France est une entité historique qui transcende largement la République et on peut être Français sans se sentir républicain, n'en déplaise aux idéologues du républicanisme obtus. Surtout, et c'est le propos de mon livre, le logiciel républicain donne aujourd'hui des signes de fatigue, non que son principe soit radicalement contesté, comme ce fut le cas dans les années 30, mais parce qu'il s'est lui-même vidé de sa substance à force de se référer au discours de l'universel et aux valeurs post-nationales des Droits de l'homme. Tout le travail du gaullisme - indépendamment du fait que l'on puisse être gaulliste ou pas - est d'avoir essayé, et partiellement
réussi, de renouer le lien symbolique entre le « Peuple Nation », venu du fond des âges, selon de Gaulle, et la République. Ce lien avait été rompu par la gauche dont la mission historique fut de prétendre dépasser la Nation sur l'autel de l'universalisme républicain. La gauche a toujours considéré que la République était transcendante à la nation et que celle-ci était suspecte. La question est aujourd'hui de savoir comment on s'arrange pour concilier les exigences de l'Universel et cette particularité historique fondamentale qu'est la nation. La crise actuelle est une crise d'affiliation et elle concerne « aussi bien les jeunes de Neuilly que ceux des banlieues », comme l'a écrit le philosophe Pierre Manent.
Voulez-vous dire que cette question de l'identité nationale est une des dernières qui puisse distinguer la droite de la gauche ?
Je cite dans mon livre une phrase sidérante de Charles Renouvier, le philosophe « officiel » de la Troisième République, écrite dans les années 1880, après la défaite infligée par la Prusse, où il dit que « l'abaissement de la France [par une nation protestante et anticléricale] est un bien », et qui révèle parfaitement ce tropisme d'une gauche qui veut faire de la France un pays post-national. Renouvier voulait détruire aussi bien l'héritage du catholicisme que celui du bonapartisme, bref tout ce qui n'était pas réductible à la République. Il prônait sur le mode kantien l'idéal de l'individu autonome et purement rationnel, a-historique. Le débat sur l'identité nationale a d'ailleurs illustré cette tendance pas une seule fois, on n'a parlé de ce qu'était la France, ni même du cadre géographique - l'Europe - où elle se situait. Comme si la France était un simple composé d'individus sans origine, ni héritage. La gauche est intrinsèquement incapable de penser ce rapport à l'origine la droite, elle, est capable de le penser, et c'est ce qui continue à distinguer plus ou moins les deux camps, mais elle n'a plus le courage de le faire ni de l'assumer vraiment, car elle a adopté depuis longtemps le « Surmoi » républicain de la gauche. La droite libérale craint de donner l'impression de plagier le Front national qui, lui, à l'inverse, a tendance à trop essentialiser le rapport des peuples à l'identité.
Que reprochez-vous essentiellement au FN ?
Pour Le Pen, si vous ne vous êtes pas battu, vous ou vos ancêtres, pour ce pays, vous n'êtes pas français. C'est une vision dépassée : il y a des gens qui deviennent français simplement parce qu'ils le désirent. On devient français parce qu'on s'identifie à tel ou tel aspect de ce pays. Cela peut être la langue, les paysages, l'Histoire ou simplement le fait de s'y plaire. On aime un pays ou non. L'affectivité joue ici un grand rôle. Il faut savoir dépasser le débat théorique sur l'assimilation. Comme l'a écrit le psychanalyste Daniel Sibony, Juif marocain naturalisé français, « ce que l'on obtient automatiquement sans l'avoir désiré n'a pas de valeur ». Ce qui constitue la faiblesse du droit du sol, c'est son automatisme qui réduit l'origine des nouveaux venus à pas grand-chose. Ce n'est pas en minimisant l'identité des nouveaux venus qu'on peut leur donner envie de devenir français. Ce n'est pas rien de changer d'identité ! Les enfants d'Italiens ou de Polonais, qui devenaient français dans les années 60, ne se disaient pas tous les jours il faut que je m'assimile ; ils devenaient français par l'école notamment, parce que c'était gratifiant pour eux de le devenir. De même, les gens qui souhaitent devenir américain aujourd'hui. Pourquoi le souhaitent-ils ? Parce qu'ils le désirent. Il faut rendre désirable le fait d'être Français. Et pour cela mettre en valeur ce pays qui est magnifique, sans doute un des plus beaux du monde, mais aussi sa langue, sa culture, son histoire intégrale. C'est ici que le débat sur l'histoire de France et la question de la repentance sont d'une extrême importance(1). L'histoire de France n'est pas amendable, ni négociable, elle est à prendre ou à laisser. Quant à ceux que ce pays rebute, ou qui arborent des drapeaux algériens ou marocains à la moindre occasion, ils n'ont qu'à renoncer à la nationalité française, ou s'en aller. Après tout, les frontières sont ouvertes. S'ils étaient si fiers qu'ils le prétendent, c'est sans doute ce qu'ils feraient. Pour autant, il ne faut pas transformer ces « jeunes de banlieue » qui parlent un français parfois approximatif en bouc émissaire. On leur demande de se sentir français alors que moult Français de souche n'ont plus, eux-mêmes, d'identité bien particulière.
À votre avis, que doit faire aujourd'hui la droite pour pallier l'échec que vous dénoncez ?
Je pense qu'il est temps d'intégrer le Front national dans une coalition de la droite parlementaire, comme en Italie. Ce parti a sa place dans une vaste alliance conservatrice, de même que le Parti communiste avait trouvé sa place dans le cadre du Programme commun. Le FN n'est plus le parti d'extrême droite qu'il était, il y a vingt ou trente ans. Que je sache, il ne propose ni l'abolition du suffrage universel, ni la destruction des institutions républicaines, ni la reconduction à la frontière de millions de gens. Cette union de la droite, si elle existait, pourrait remettre en cause l'automatisme du droit du sol et prôner le choix volontaire de la nationalité. Je suis persuadé que si l'UMP n'a pas le courage, à terme, d'envisager cette union des droites réussie par Silvio Berlusconi en Italie, elle sera balayée par l'histoire.
Propos recueillis par Pierre-Paul Bartoli Le Choc du Mois juillet 2010
Paul François Paoli, La France sans identité, pourquoi la République ne s'aime plus ?, éditions Autres Temps, 166 p., 16 €.
I.Cf. P.-F. Paoli, Nous ne sommes pas coupables, Assez de repentances !