Le 26 juin 1965, Julien Freund soutient à la Sorbonne sa thèse de philosophie politique sous la direction de Raymond Aron. Quelques mois plus tard, cette somme se transforme en un ouvrage fondamental L'Essence du politique.
Plus disponible en italien, en allemand ou en espagnol qu'en français, timidement connue dans le monde anglo-saxon, cette étude magistrale est à l'origine dédiée à Aron et à Carl Schmitt, deux figures alors décriées par la caste intello-médiatique progressiste.
Les sept essences
Plus enclin à suivre Aristote que Platon, Julien Freund considère que la vie humaine en collectivité s'ordonne autour de sept essences : l'économique (qu'il analysera dans un livre posthume en 1993), la religion, la morale, la science, l'art, le droit et le politique. Il examine en particulier ce dernier parce que « la société est un fait de nature » et que « l'homme est un être politique par nature ».
Quitte à émouvoir les belles âmes, Freund explique que « la politique provoque la discrimination et la division, car elle en vit. Tout homme appartient donc à une communauté déterminée et il ne peut la quitter que pour une autre. Il en résulte que la société politique est toujours société close. [...] Elle a des frontières, c'est-à-dire elle exerce une juridiction exclusive sur un territoire délimité. Qu'importe l'étendue d'un pays ! Si vaste soit-il, la société politique qui le contrôle reste close du fait même qu'elle a des frontières. »
Julien Freund interprète différemment certaines réflexions de Carl Schmitt, car il intègre la célèbre relation conflictuelle ami-ennemi à d'autres « présupposés » (commandement-obéissance et privé-public) ainsi qu'aux trois dialectiques permanentes l'ordre, l'opinion et la lutte.
Primauté du bien commun
Freund détermine ainsi la spécificité du politique qui se décline en finalités téléologiques, « tactiques » (ou « technologiques ») et eschatologiques. Il s'attache par conséquent à examiner son but, le bien commun. L'auteur insiste souvent : le politique ne saurait correspondre, se réduire ou se fondre, dans l'économie, la morale ou le droit, contrairement à ce que s'imaginent les libéraux.
Il prévient enfin que « se tromper sur son ennemi par étourderie idéologique, par peur ou par refus de le reconnaître à cause de la langueur de l'opinion publique c'est, pour un État, s'exposer à voir son existence mise tôt ou tard en péril ». Les dirigeants occidentaux devraient méditer ce maître livre plutôt que se fourvoyer hier, aujourd'hui et demain en Afghanistan, en Syrie, en Irak, en Libye, en Centrafrique, en Corée du Nord, au Venezuela ou en Russie...
Georges Feltin-Tracol Réfléchir&Agir n° 56 Été 2017
Julien Freund L’Essence du politique Dalloz, 2003,867 pages, 45 euros