"Vous parlez de l'Inde, disait Gandhi dans un discours célèbre. Mais savez-vous ce que c'est que l'Inde ? L'Inde c'est d'abord 600 000 villages". Ce questionnement me semble transposable à bien des situations françaises, que nos technocrates prétendent gérer, et nos intellocrates arbitrer, du haut de leurs arrogances.
En se rendant comme par surprise ce 5 mai dans une école de Poissy, et en s'exprimant par visio conférence en direction des maires, le chef de l'État a tenu à calmer une crise institutionnelle rampante. Car celle-ci a été ouverte par le choix de maintenir, puis de valider le premier tour des élections municipales, le 15 mars.
Les communicants et autres conseillers discrets du prince ont manifestement voulu corriger sa réputation de gouvernance hors sol. Ils ne peuvent feindre d'ignorer que ce travers n'a jamais cessé de faire descendre sa cote de popularité, depuis son élection, acquise par défaut en 2017.
Le rêve d'un nouveau quinquennat demeure cependant l'intention stratégique déterminante du pouvoir. Et ce but s'articule sur l'hypothèse artificielle d'un nouvel affrontement binaire. On espère ainsi en haut lieu se retrouver, pour la troisième fois depuis 2002, face à un adversaire qualifié de populiste, jugé par nature incompétent, et présumé par conséquent battu d'avance.
Seulement voila : la France ne se réduit ni à son oligarchie, qu'elle demeure ouvertement centraliste ou artificiellement déconcentrée, ni à ce que l'on désigne d'un terme autrefois louangeur : les élites.
Ce pays compte par exemple, fondamentalement, 35 000 communes. Elles viennent pour la plupart du fond des âges. Mêmes les plus bétonnières et les plus mélangées, y compris Sarcelles, portent des noms du terroir.
Ces municipalités constituent, sans doute, des réalités très différentes, à de nombreux égards, selon qu'elles se situent dans les banlieues des grandes villes, dans les villages, ruraux ou périphériques, ou dans les chefs lieux traditionnels.
Et la crise actuelle aura eu le mérite de remettre leur maillage à l'ordre du jour.
Du jour ou lendemain en effet se sont trouvées effacées la plupart des strates récentes du mille-feuille administratif. Et d'abord les malencontreux ersatz de régions factices dont la dernière mouture date du quinquennat Hollande.
La force de nos cousins germains, par exemple, tient beaucoup à ce qu'ils articulent leur identité nationale sur l'existence de Länder, souvent héritiers d'une histoire plus que millénaire comme celle de la Saxe, que combattit déjà l'empire de Charlemagne, de l'ancien duché devenu royaume des Wittelsbach quand il se proclame encore officiellement État libre de Bavière. D'autres s'identifient à des villes chargées d'histoire hanséatique, telle Hambourg.
Certains lecteurs de Bainville croient peut-être encore que ce fédéralisme moderne, effectivement imposé à nos voisins vaincus en 1949, les affaiblit. J'ai la faiblesse de croire qu'il assume au contraire une partie de leur force exemplaire.
À l'exception de l'Ile-de-France, région certes particulière, centralisme jacobin oblige, et, peut-être aussi de la province de Normandie, heureusement reconstituée en 2014, on doit regretter que ceci n'existe pas dans la partie dissociée de cet empire d'occident sous le règne de Charles le Chauve, au IXe siècle.
Partout les maires sont soudain apparus au grand jour comme les seuls représentants les plus proches de vrais problèmes des gens. Et ceci s'est manifesté depuis les plus modestes bourgades jusqu'aux villes les plus déracinées. Leurs seuls interlocuteurs réels sont redevenus les préfets de départements, incarnation d'un pouvoir central ressenti comme bureaucratique.
Cette réalité, aux racines extrêmement profondes, risque fort de s'imposer sur la longue durée, lorsque la belle au bois dormant se réveillera du cauchemar de son confinement.
Or, la légitimité du pouvoir municipal ne manquera pas de poser un graves problèmes, si l'on ne résout pas la question du scrutin.
On a fait voter en catastrophe le 23 mars une loi sur l'état d'urgence relative au Covid-19. Une disposition subsidiaire, qui se révèle difficilement applicable, dans le contexte actuel, remettait ainsi le second tour des élections municipales en juin. On parle aujourd'hui de la fin du mois de septembre, ce qui en bonne logique devrait conduire à une remise en jeu d'ensemble.
On doit d'abord remarquer que plus de 30 000 communes sur 35 000 risquent d'être administrées par des maires, parfois remarquables, parfois manifestement populaires, mais mal élus au gré du premier tour, compte tenu d'une participation électorale inférieure en moyenne de 19 points aux taux de 2014, reflet de diverses entraves à la régularité du scrutin, à sa "sincérité"
À cet égard, depuis le vote de cette loi de validation, sa contestation n'a cessé de se voir développer, quant à sa régularité.
- le 7 avril une lettre ouverte, adressée au président de la république, par un collectif d'élus et de candidats municipaux mettait en cause la validation du scrutin du 15 mars.
Ce texte, contresigné au départ par 200 élus, sortants ou candidats, était patronné au départ par 4 maires. Ils appartiennent à des nuances politiques et philosophiques et à des régions fort différentes. L'association 50 millions d'électeurs, qu'ils patronnent, est ainsi présidée par Renaud George, maire de St Germain au Mont d'Or, lui-même proche de Gérard Collomb. Il est entouré de 3 autres édiles, Jean-Yves de Chaisemartin, lui-même maire de Paimpol en Bretagne, Yves d'Amécourt de Sauveterre-de-Guyenne, et Thomas Vidal dans le Gard. Ils ont mis en place une question préalable de constitutionnalité, que l'on peut télécharger en ligne et qui, dès le 5 avril, avait déjà été officiellement été déposées auprès des tribunaux dans quelque 2 700 communes[1]
- le 17 avril c'est au tour de Laurent Fabius, président du conseil constitutionnel de laisser publier par Le Figaro un entretien fracassant qui laisse clairement entendre son soutien.[2]
- le 23 avril, le constitutionnaliste Didier Maus étaye la démarche dans un article de référence[3].
- le 28 avril enfin, l'association 50 Millions d'électeurs s'engouffre dans la brèche et publie une Lettre ouverte adressée au Conseil constitutionnel[4].
Les appareils centraux des partis politiques ont boudé au départ cette affaire. Elle leur a entièrement échappée : mais au vrai que représentent-ils aujourd'hui dans le pays réel ? Que pèsent-ils véritablement ? Elle s'est développée sans eux, tout ce qu'ils pourraient faire si elle se confirme serait de la relayer.
Ainsi, les conséquences de cette campagne risquent fort d'être considérables. Il semble de bon sens et de bon droit de s'y rallier en demandant, à sa suite, l’annulation de l’élection municipale du 15 mars 2020.
Ceci conduira à l’organisation d’un nouveau scrutin dans des conditions redevenues normales. Les élus municipaux redeviendront ainsi le reflet réel de la volonté d'un peuple que la Constitution considère comme souverain.
JG Malliarakis
Apostilles
[1] cf. Modèles de recours type
[2] cf. Entretien avec Laurent Fabius publié par Stéphane Durand-Souffland : "Pas d’éclipse des principes fondamentaux du droit"
[3] cf. Opinion Internationale le jeudi 23 avril 2020.
[4] Lettre fort documentée à consulter sur le site de l'association.
https://www.insolent.fr/2020/05/lenjeu-de-la-bataille-municipale.html