par Alexandre Lemoine
Les entreprises militaires occidentales développent la production d’armes en Ukraine pour les tester sur le champ de bataille. Le conflit actuel permet de mieux comprendre les spécificités des opérations de combat modernes, en particulier, quelles armes sont nécessaires pour les guerres à venir.
Les fabricants d’armes occidentaux ne se contentent plus aujourd’hui de livrer leurs produits en Ukraine, ils s’y implantent activement. Le conflit avec la Russie s’éternise et les entreprises militaires de l’OTAN ouvrent des bureaux de représentation, établissent des lignes de production et coopèrent étroitement avec des partenaires ukrainiens directement dans le pays en guerre, écrit Business Insider.
L’Ukraine reçoit une aide militaire rapide et ciblée. L’Occident, lui, obtient ce qu’on ne peut acheter avec de l’argent : l’expérience d’opérations de combat modernes en temps réel.
L’industrie de défense ukrainienne offre des connaissances acquises par le sang et les pays de l’OTAN peuvent s’initier à ces secrets militaires sans même combattre eux-mêmes.
Dans un entretien avec Business Insider, des représentants de l’industrie militaire ukrainienne ont qualifié le travail des entreprises de défense occidentales dans leur pays de «mutuellement bénéfique» («win-win»). Cela permet, d’une part, de tirer les leçons des opérations de combat et d’étudier l’expérience ukrainienne, et d’autre part, cela aide Kiev à lutter contre la Russie.
De nombreux dirigeants européens ont reconnu que leur propre industrie pouvait beaucoup apprendre du secteur de défense ukrainien en développement rapide.
Le directeur général du Conseil ukrainien des armuriers Ihor Fedirko, dont l’organisme professionnel représente plus de 100 entreprises de défense, a déclaré qu’en ouvrant des bureaux de représentation et en établissant la production en Ukraine, les entreprises occidentales acquièrent de l’expérience «pour notre travail commun». Les nouvelles technologies modifient considérablement les approches établies. Les développements dans le domaine des drones sont les plus révélateurs à cet égard.
Entreprises occidentales en Ukraine
Parmi la liste croissante d’entreprises militaires occidentales ayant ouvert des capacités de production en Ukraine figurent l’allemande Quantum Systems, spécialisée dans le développement de drones et de systèmes de reconnaissance aérienne, qui a promis le mois dernier de doubler ses capacités de production dans le pays, ainsi que le groupe franco-allemand KNDS.
La multinationale britannique d’armement et aérospatiale BAE Systems a également ouvert une production en Ukraine, et l’entreprise de défense norvégienne Nammo a signé un accord de coopération avec une société de défense ukrainienne. Le fabricant d’armes allemand Rheinmetall prévoit d’ouvrir plusieurs usines en Ukraine, notamment pour la production de munitions pour le véhicule de combat d’infanterie Lynx.
Même les entreprises occidentales qui n’ont pas de capacités de production en Ukraine testent leurs produits dans le pays, coopérant avec des entreprises locales et des militaires et s’adaptant aux nouvelles conditions en temps réel.
Kuldar Väärsi, directeur général de l’entreprise de défense estonienne Milrem Robotics, qui produit des robots militaires comme le célèbre THeMIS et en teste certains en Ukraine, a déclaré à Business Insider qu’il coopérait directement avec l’industrie ukrainienne pour maintenir la pertinence de ses systèmes, ainsi que pour «tirer les leçons du conflit ukrainien et améliorer le matériel militaire européen».
De plus, des projets ukrainiens comme la plateforme gouvernementale de technologies militaires Brave1 créent des opportunités pour les entreprises étrangères de tester leurs nouveautés sur le champ de bataille.
Le sous-secrétaire d’État parlementaire aux Forces armées Luke Pollard a déclaré en mai : «Si votre entreprise produit des drones mais votre équipement n’est pas en première ligne en Ukraine, vous feriez mieux d’abandonner tout de suite».
Ce que l’Occident peut apprendre
Le ministre danois de la Défense Troels Lund Poulsen a déclaré à Business Insider en février : «Je pense que nous avons beaucoup à apprendre de l’Ukraine». Il a expliqué qu’il voulait que les entreprises de défense danoises «adoptent cette précieuse expérience».
Poulsen a noté que le Danemark avait beaucoup appris grâce à la nouvelle méthode d’achat d’armes pour l’Ukraine. Selon ce modèle, qu’on a appelé «danois» puisque Copenhague l’a implémenté en premier, les pays achètent des armes pour Kiev directement auprès d’entreprises ukrainiennes. Cela assure une livraison rapide et bon marché, sans imposer de coûts de production supplémentaires au complexe militaro-industriel européen déjà surchargé.
L’une des leçons clés que le Danemark doit assimiler est «comment organiser la production dans des délais serrés», a dit Poulsen.
L’Occident se prépare à un conflit sérieux, qu’il s’agisse d’une guerre entre l’OTAN et la Russie ou d’un affrontement entre les États-Unis et la Chine, et les budgets de défense croissent rapidement. Le conflit en Ukraine permet de mieux comprendre les spécificités des opérations de combat modernes : en particulier, quelles armes, tactiques et préparation sont nécessaires pour les guerres à venir.
La principale conclusion tirée du conflit est que dans les conditions d’une guerre à grande échelle, une production opérationnelle d’armes et d’équipements est nécessaire. La Première ministre danoise Mette Frederiksen a déclaré en février que si «un pays menant des opérations de combat devance tous les autres en termes de rythme de production», c’est un problème.
En travaillant en Ukraine, les entreprises occidentales obtiennent une compréhension plus profonde et une vision claire de la spécificité et des exigences des guerres modernes. La Russie assimile ces leçons par sa propre expérience. L’Occident, lui, obtient l’opportunité de rattraper son retard.
source : Observateur Continental
https://reseauinternational.net/ukraine-terrain-dessai-pour-larmement-occidental/