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Pourquoi la Révolution française a basculé dans la terreur ?

Pourquoi la Révolution française a basculé dans la terreur ?

Lors de la célébration du bicentenaire de 1789 sous le deuxième mandat du président Mitterrand, on a vu le ton monter entre les historiens tenants d’une Révolution française “globalement positive” et les « empêcheurs de célébrer en rond », quelques historiens refusant le discours officiel sur la Révolution libératrice. Au premier rang de ceux-là, il y avait Pierre Chaunu, historien renommé en France et à l’étranger mort en 2009, membre de l’Institut et l’un des représentants les plus prestigieux de l’école historique française. Dans cet entretien, Chaunu montre comment la persécution antireligieuse à l’égard des catholiques a joué un rôle clé dans la Révolution étant la principale raison qui l’a fait basculer vers des formes d’intolérance et de terreur incompatibles avec les idéaux dont elle se réclamait. Il s’est passé un certain nombre d’années depuis cet entretien mais ces réflexions sur la Révolution ont gardé leur fraîcheur leur actualité.

Bernard Mitjavile : Quand on considère le massacre des Vendéens et la terreur, on peut se demander qu’est-ce qui a fait basculer dans l’intolérance une Révolution qui avait commencé avec la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et l’affirmation de la liberté de conscience ?

Pierre Chaunu : Reprenons les choses depuis le début. L’historien américain Timothy Tackett a éclairé le débat par son étude du problème religieux en commençant par les cahiers de doléances, cahiers qui représentent par rapport à l’opinion publique les éléments les plus activistes qui sont déjà gauchis. Prenez les principales demandes du tiers état : suppression de la dîme : 10% ; confiscation des biens de l’Eglise : 2% ; élection des évêques et des curés : 1 %. Autrement dit, toutes les mesures que va prendre la Constituante à l’encontre de l’Eglise ont été soutenues par une toute petite minorité qui dans tous les cas ne dépasse pas 10% des rédacteurs des cahiers. Or, ces rédacteurs, les gens qui ont tenus la plume étaient déjà proche du mouvement révolutionnaire ce qui ne correspondait pas à l’opinion de l’ensemble de la population.

En ce qui concerne l’Eglise, des études ont été faites montrant que les Français se divisaient en cinq catégories. D’abord, le parti des philosophes violemment opposé à l’Eglise représente 1 à 2% de la population, deuxièmement, les catholiques « éclairés » qui sont partisans de transformations profondes de l’Eglise, soit une évolution vers le déisme, soit des réformes soutenues par une grande partie du clergé représentent 15 à 20%. Puis il y a les jansénistes qui veulent des transformations mais dans un sens très particulier. Il y a des catholiques plus ou moins chaleureux, puis enfin une masse de dévots qui représentent à peu près 40% de la population.

Toutes les études quantitatives retrouvent ces chiffres. Donc nous avons une toute petite minorité activiste qui va s’emparer du pouvoir et se livrer à un ensemble d’agressions à l’encontre de l’Eglise. Une dérive va se faire à l’encontre de l’Eglise et aboutir à une monstruosité qui a gâché et cassé durablement l’histoire de France.

Deuxième coup de pouce après les cahiers : la nuit du 4 août. Il faut savoir qu’il y avait au maximum un cahier sur dix pour demander la suppression de la dîme d’où l’Eglise tirait 60 à 65% de ses revenus. Contrairement à ce que l’on pense, l’Eglise de France n’était pas riche. La France était un pays profondément catholique et les processions religieuses à Paris étaient très largement suivies en 1790.

On peut se demander pourquoi la Révolution s’est cassée et radicalisée, divisant le pays alors que jusqu’à la fête de la Fédération avec le Roi et un climat d’union de la nation, elle était populaire. Il est clair que le Royaume de France avait grand besoin de se réformer mais cette réforme n’avait pas à diviser durablement le pays sur la question religieuse. Pourquoi ce qui correspondait à une demande assez générale de changement s’est transformé en un mouvement suscitant l’hostilité de fractions de plus en plus large de la population jusqu’à la venue de Napoléon qui a eu au moins un mérite, résoudre les tensions religieuses par le Concordat ? La réponse est simple : la Révolution s’est cassée sur la question religieuse et pas sur autre chose car, sur le reste, il y avait un consensus sur le besoin de réformes, par exemple sur l’abolition des droits seigneuriaux.

Regardez comment se passe la nuit du 4 août. C’est un député de la noblesse qui a demandé la suppression de la dîme : un évêque avait demandé la suppression du droit de chasse qui était quelque chose de minime et de symbolique. A ce moment, le duc de Châtelet répond « Ah bon ? Puisque c’est comme cela, l’évêque, on pourrait aussi supprimer la dîme. » Dans cette nuit, on supprime la dîme un peu sur un coup de tête. En Angleterre la dîme, n’a pas été supprimée avant le 20e siècle ce qui n’a pas empêché le développement de la démocratie. Après tout, la dîme et les biens de l’Eglise, c’était tout simplement le budget social de la nation, notre sécurité sociale. Bien sûr, elle était mal répartie et il y avait une réclamation pour qu’elle soit mieux répartie. Mais le 11 août, la dîme est non seulement supprimée mais déclarée non rachetable, c’est-à-dire que, soudain, l’Eglise de France perd 60% de ses revenus. A partir de ce moment, la machine infernale est enclenchée.

Comment cela nous amène-t-il à la Constitution Civile du Clergé ?

J’y viens. Il faut d’abord considérer que les états généraux avaient été réunis pour une question de dette écrasante résultant en partie de l’aide apportée à la guerre d’Indépendance américaine. Que faire de cette dette ? Où trouver l’argent ? Comme les nobles défendaient leurs biens avec vigueur, on s’est rabattu sur le clergé. Les autres se sont dits : « On leur a enlevé 60% de leurs biens et ils n’ont même pas bronché. Ils ont même refusé ce que l’on avait demandé à tout le monde, c’est-à-dire que les droits supprimés soient rachetables ». Or il y avait des droits seigneuriaux beaucoup plus suspects que la dîme comme le champart. La dîme est selon la Bible de fondation divine, elle a été instituée par Moïse, dans l’Exode avec le Sabbat. Tous les pays chrétiens l’ont connu alors qu’avec le champart, les gerbes qui sont prélevées par la noblesse sous prétexte que les nobles en ont été jadis propriétaires, ce qui n’est pas établi, on est vraiment en présence d’un droit abusif, très impopulaire.

Dès septembre 1789 donc, on dit que les biens de l’Eglise sont les biens de la nation. Or comment ont été constitués les biens de l’Eglise ? Ce sont essentiellement des legs, des donations pour des églises ou des hôpitaux. Une donation doit obéir aux vœux du donateur. Si la nation obéit aux vœux des donateurs, elle ne gagnera rien à posséder les biens de l’Eglise puisqu’elle devra continuer à les utiliser selon la volonté du donateur. Certains orateurs vont donc dire dès le mois de septembre « Certes, on sera obligé de procéder à des modifications. Certains donateurs ont donné leur biens pour un hôpital ou les pauvres mais de toute façon, avec notre politique, il n’y aura plus de pauvres, donc on n’aura plus besoin de ces biens pour les pauvres et on va pouvoir les utiliser pour renflouer les finances ».

Le 2 novembre 1789 on va voir un vote extraordinaire, à la demande d’un évêque, Talleyrand : les biens de l’Eglise sont mis à la disposition de la nation. Je pense que les votants avaient besoin d’argent et ont agi lâchement se tournant vers ce qu’il a avait de plus faible, de plus commode à saisir. De plus certains révolutionnaires avaient une intention profonde qui était de détruire l’ordre du clergé. Lorsque vous voulez détruire une société d’ordre, il faut d’abord détruire l’ordre le plus évident, c’est-à-dire le clergé. Ceux qui pensaient comme ça avaient déjà une influence importante sur la Constituante. Cette minorité a manipulé la Constituante et les autres ont suivi parce que c’était la solution de facilité. Ils pensaient : « on verra après » et ils voyaient l’Etat prendre à sa charge le clergé et même augmenter la congrue, le salaire des 200.000 petits curés. On a dit à ces curés : « Rassurez-vous, on va vous augmenter » sans tenir compte qu’en cela on affectait l’Eglise catholique dans une de ses structures fondamentales : le système bénéficial.

Pourriez-vous préciser ce qu’est le système bénéficial ?

C’est un système selon lequel, au cours de l’histoire, des hommes ont donné une partie de leurs biens en spécifiant : « Je donne mes biens pour ma paroisse et pour cela mes successeurs pourront par exemple désigner le curé pendant un certain temps ». Donc il s’agit d’acte libre et, ce qui est en jeu, c’est la solidarité entre les générations. On va rompre, ce qui est toujours très grave, une continuité dans le temps. De plus, contrairement à ce que l’on a dit, le clergé était en fait très imposé avant la Révolution. Tous les cinq ans il y avait une négociation et on exerçait sur lui un chantage. Pourquoi la monarchie n’a jamais pensé à confisquer les biens du clergé ? C’est parce que suite à des accords avec Rome, les rois ont une large possibilité d’influencer sur le choix des évêques. D’autre part, le clergé est un bon gestionnaire de ses biens et de temps en temps on exerce sur lui une ponction. Enfin, le système assure à l’Eglise de France une autonomie considérable vis-à-vis de l’Etat car, que ce soit le curé ou l’évêque ou l’abbé, ces gens ne reçoivent pas un centime de l’Etat.

A partir du moment où vous avez touché aux biens, il est normal de refondre l’Eglise et là vont se donner libre cours toute une série de rancœurs venant des philosophes, mais aussi des jansénistes et des querelles internes à l’Eglise vont se réveiller. Tous ces gens aux motivations diverses vont joyeusement remodeler l’Eglise de France suivant une certaine logique. Les biens de l’Eglise appartiennent à l’Etat, les prêtres deviennent des fonctionnaires payés par l’Etat, il faut donc les traiter comme les autres fonctionnaires.

Depuis St Augustin, il y avait toujours une distinction entre les deux royaumes, céleste et terrestre mais là il n’y en a plus du tout, les deux sont confondus. L’Eglise ainsi conçue est composée de fonctionnaires aux ordres de l’Etat, chargés de la morale civique. La prochaine étape est de savoir comment les choisir ou élire. La réponse sera : comme les autres fonctionnaires.

Le 12 juillet 1790, la loi de la Constitution Civile du Clergé est votée et la chose la plus invraisemblable de la Révolution c’est que, le 24 août 1790, Louis XVI, un des plus grands imbéciles de l’histoire, a porté sa signature à cette loi.

Sans doute a-t-il été mal conseillé, mais sa signature a fait basculer l’opinion.

En quoi s’agissait-il d’un acte aussi grave de sa part ?

C’est que ce roi, qui était certainement un bon catholique, n’a pas eu le réflexe de se dire que cette modification des structures de l’Eglise, impliquant la suppression du clergé séculier, des moines, des vœux, revenait à imposer à l’Eglise une organisation qui n’est pas la sienne. Quelque 40% du clergé signeront la Constitution, en grande partie parce que c’était l’ordre du roi. Quand le pape a appris que le roi avait signé, il s’est trouvé dans une situation invraisemblable car il devait excommunier le roi de France et, comme il avait des égards pour lui, il ne l’a pas fait.

Après cette gaffe monumentale, Louis XVI se trouve exactement dans la situation de Louis XIV après la révocation de l’édit de Nantes. Il impose à ses sujets une religion qui n’est pas la leur, avec cette différence qu’avec la révocation de l’édit de Nantes, il s’agissait du dixième de la population alors que là, il s’agit des neuf dixièmes de la population. Les plus lucides sont conscients de cette erreur fantastique du pouvoir mais le roi ne peut plus reculer car il y a mis tout son prestige. Les deux tiers du pays vont se soulever presque tout de suite. Les fidèles refusaient d’aller à la messe donnée par les prêtres qui avaient signé considérant que cela n’était pas conforme.

Ce pouvoir a l’armée et, si le roi n’a jamais fait tirer, les nouveaux maîtres du pays eux, n’hésiteront pas. Ceux qui ont refusé de signer, c’est à dire 55% du clergé, seront immédiatement considérés comme des traîtres à la nation, comme des rebelles. Dès la fin de 1790, les départements de l’Ouest les déportent, ils n’ont pas le droit de rester dans leurs communes. Au mois d’août 1792, tous les prêtres qui ont refusé le serment ont quinze jours pour quitter le territoire national sous peine de déportation puis de mort. Quinze jours, je vous le fait remarquer, lorsque vous habitez dans le Massif Central, est un délai physiquement impossible pour quitter le pays. Autrement dit, cela équivaut à une pré-condamnation à mort. D’autre part, tous les prêtres de plus de 60 ans seront mis dans des camps où on les fera mourir de faim et, dans un certain nombre de cas, on les empoisonnera. Le plus extraordinaire, le plus dramatique, c’est le sort des prêtres constitutionnels, ceux qui ont prêté serment. Les départements, dès l’automne 1790, interdisent un certain nombre de cérémonies et notamment, l’usage de l’encens qui doit être réservé à l’autel de l’Etre Suprême. Dès le mois d’août 1792, ordre est donné aux prêtres de marier leurs collègues quand ils demandent à l’être. Autrement dit, le curé constitutionnel qui reste à peu près fidèle à son Eglise reçoit l’ordre de marier un collègue. On lui ôte la liberté de conscience. A partir de novembre 1793, toutes les églises sont fermées, transformées en écurie ou en porcherie. Notre Dame de Paris est transformée en temple de l’Etre Suprême avec des danseuses pour célébrer le culte et les prêtres constitutionnels reçoivent l’ordre d’abjurer, de se déprêtriser.

Bien sûr les habitants de la Vendée ont protesté disant « Mais de quoi vous vous mêlez. Vous vous prenez pour des évêques ? »

Mais quelle est la relation entre cette persécution religieuse et des événements politiques comme l’établissement de la Terreur ?

Cette persécution religieuse, c’est l’essentiel de la Terreur parce que qu’est-ce qui revient constamment dans les condamnations ? Les prêtres réfractaires et leurs alliés. Tout cela est le fait d’une minorité.

La dernière procession religieuse qui a lieu au mois d’avril 1793 à Paris, est conduite par trois ou quatre prêtres constitutionnels qui ne s’étaient pas déprêtrisés. Suivant des rapports sur cette procession à Paris, sans doute la ville la moins catholique de France, tous les hommes et toutes les femmes au passage du Saint Sacrement se sont agenouillés et les soldats présents ont présenté les armes. Donc on n’avait pas changé les mentalités en quelques mois. C’est vraiment la rage idéologique. On a un modèle de société en tête et on doit couper tout ce qui n’entre pas dans le modèle. C’est le système soviétique, le système qui consiste à développer des kolkhozes et, s’il y a un effondrement de la production, d’en faire porter la faute au Koulaks et d’en faire mourir cinq millions.

Voyez-vous à cette époque la possibilité d’installer, au terme de quelques années de terreur, une société totalitaire durable comme le régime soviétique ?

Bien sûr, pour moi il s’est bien agi de la première société totalitaire avec le premier génocide qui est celui de Vendée. Les Vendéens se soulèvent pour défendre leur liberté de conscience et ils vont être réprimés comme jamais une révolte n’a été réprimée sous l’Ancien Régime. Nous avons les textes, les références, l’ordre du Comité de Salut Public, le texte signé par Carnot demandant de « massacrer les femmes et les enfants » et de « massacrer les bleus et les blancs » parce que le vrai massacre de la Vendée, ce n’est pas son écrasement par I’armée de Kléber. C’est ce qui s’est passé après. C’est l’ordre donné par la Convention en janvier 1794 « d’exterminer la population de la Vendée militaire », c’est-à-dire 680 paroisses soulevées sur un territoire de 10.000 km2 peuplé de 810.000 habitants. L’ordre de la Convention était de brûler le pays, de massacrer la population, en premier lieu les femmes et les enfants. Pour les femmes, « parce qu’elles sont le sillon reproducteur » et pour les enfants, « parce que ce sont de futurs brigands ». Au militaire Turreau, qui fait l’objection qu’il y a 15 à 20% de la population qui sont « de notre côté » on lui répond de tuer les bleus comme les blancs. Tout prêtre qui a refusé le serment en 1793 est exécuté sur vérification de son identité, voilà la liberté de conscience. Autrement dit, quand on rouvre les églises, on ne peut les rouvrir aux prêtres, on les rouvre aux gens qui se sont déprêtrisés et remariés, ce qui était la condition pour recevoir un salaire, et les prêtres constitutionnels qui au mois de novembre 1793 ont refusé de se déprêtriser ont été arrêtés et un certain nombre exécutés. Les Français bien sûr n’avaient aucun respect pour cette église constitutionnelle formée de lâches sans foi et la seule église qui restait était une église des catacombes.

Finalement, comment voyez-vous l’enjeu du débat autour de la Révolution française ?

Je ne suis pas contre-révolutionnaire mais je pense que la forme qu’à pris le processus révolutionnaire en France n’était pas inéluctable et que bien des tragédies qui ont laissé des blessures durables auraient pu être évitées. Je fais partie d’une catégorie d’historiens qui aiment leur pays, mais qui disent que l’incendie du Palatinat en 1688 par Louis XIV était une chose abominable. J’ai vécu un certain temps en Espagne et j’y ai vu encore des traces du comportement de la Grande Armée de 1809 à 1813. Les troupes napoléoniennes ont traité l’Espagne comme les révolutionnaires avaient traité la Vendée. Tout ceci on doit le reconnaître. Je n’ai pas le droit de condamner les régimes de dictatures, d’être contre Hitler et de dire que le régime soviétique était un système monstrueux si, à l’intérieur de ma propre histoire, je jette un voile pudibond sur ces aspects peu glorieux au nom de je ne sais quelle pudeur patriotique.

Aujourd’hui je voudrais que personne en France ne revendique la Constitution Civile du Clergé et la persécution de la Vendée.

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