Du père Danziec dans Valeurs Actuelles :
La crise conjuguée de l’Eglise et de l’école est passée par là et, depuis, l’habitude s’est perdue : finie l’époque où les hommes publics, et les politiques en particulier, faisaient leurs classes chez les « bons pères ». Finies ces humanités qui savaient infuser dans l’intelligence des élèves, tout un écosystème judéo-chrétien où l’engagement était honoré, le mensonge défendu et la parole d’homme considérée. Que ce soit chez les jésuites ou avec les frères des écoles chrétiennes, toutes les petites têtes blondes de la génération Mitterrand (s’il est encore permis d’utiliser l’expression « têtes blondes ») ont eu l’occasion de recevoir un enseignement moral sérieusement mâtiné de christianisme. Du reste, des hussard noirs de la République aux curés ensoutanés, de la laïque aux écoles religieuses, les petits écoliers français avaient pour point commun de recopier dans leur cahier en dessous de la date, dès la première heure du matin, la leçon de morale du jour résumée par le maître en une courte sentence inscrite au tableau. « On s’assure des jours heureux en honorant ses parents », « Savoir remercier est vraie noblesse », « Le menteur n’est jamais écouté, même quand il dit la vérité ». De l’Evangile au décalogue, des fables de La Fontaine aux fabliaux du Moyen-Âge, il s’agissait de méditer ou d’intégrer une leçon de vie. Ainsi par exemple, on pouvait narrer aux élèves l’aventure tragique d’un pauvre ivrogne qui avait promis-juré de ne jamais boire une seule goutte d’eau. Hélas, l’histoire raconte que le brave homme, à l’issue d’une soirée particulièrement arrosée, revint chez lui dans un état si critique que le malheureux chuta dans une fontaine sur la place du village… au point de s’y noyer. Dans ce petit fabliau, la morale à enregistrer, d’une simplicité enfantine, est bien connue : « Il ne faut jamais dire : ‘Fontaine, je ne boirai pas de ton eau’ ».
Les litanies des fausses promesses
Il n’empêche : à surfer sur les réseaux sociaux à l’issue du récent remaniement gouvernemental, il semble que Roselyne Bachelot et Eric Dupond-Moretti n’aient pas bénéficié d’une telle leçon. A moins que sur les bancs du primaire, ils aient été plus proches d’un Clotaire que d’un Agnan lorsqu’il s’agissait d’apprendre les principes rudimentaires d’une droite conduite. On a vu revenir en effet à la surface des écrans ces jours derniers, toute une litanie de leurs interventions passées qui prête à sourire aujourd’hui. Ainsi en avril 2018, sur LCI, Maître Dupond-Moretti affirmait d’un air badin à la journaliste Audrey Crespo-Mara, : « Personne n’aura jamais l’idée sotte, totalement saugrenue, incongrue, invraisemblable de me proposer de devenir ministre de la justice » et de poursuivre : « Je n’accepterai jamais un truc pareil », au motif notamment qu’il ne s’agit pas là de son métier et qu’il « faut en avaler des couleuvres pour faire de la politique. C’est une discipline, un exercice, je n’en ai pas les compétences ». Du côté de Roselyne Bachelot, les archives s’avèrent encore plus croquantes et généreuses. En février 2016 sur BFM TV au micro de Jean-Jacques Bourdin, la jeune retraitée du monde politique avoue avoir fait son temps et se sentir « beaucoup trop vieille ». En octobre 2016, invitée du grand journal sur Canal +, elle insiste en parlant d’une « décision irrévocable ». En septembre 2017 dans l’émission C à vous, celle qui est devenue chroniqueuse radio parle de son départ de l’arène politique comme d’un « aller sans retour ». En octobre 2017, sur le plateau de Laurent Ruquier, l’ancienne ministre de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy répétera à trois reprises, tel Pierre l’apôtre, l’adverbe « jamais » pour certifier son refus de s’asseoir de nouveau à la table du pouvoir. Pour le Huffington post, en décembre 2017, elle insistera : revenir en politique lui semble « totalement inconcevable », « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », précise-t-elle. Plus intéressant encore, déjà en 2014, sur la chaîne parlementaire, alors que Serge Moati lui glissait qu’elle aurait dû être ministre de la culture, Roselyne Bachelot répond avec aplomb : « Comme disait l’un de mes amis, tu aimes trop la culture pour en être la ministre ». En mai 2020 avec les Grosses Têtes sur RTL – il y a donc seulement deux petits mois – elle qualifiera même de « cauchemar » la simple éventualité d’un retour en politique.
Plus que du « vivre ensemble », l’impérieux besoin d’un « parler vrai »
Alors que l’un et l’autre se retrouvent dans des postes qu’ils se sont pourtant défendus dans le passé de pouvoir un jour accepter, ceux qui nous gouvernent ont-ils seulement conscience du spectacle qu’ils renvoient ? Du discrédit porté, une fois encore, après de telles postures, à la parole politique ? Avant de prétendre vouloir « vivre ensemble », les hommes ne devraient-ils pas commencer impérieusement par adopter un « parler vrai » ? Comment croire un menteur qui affirme ne mentir jamais ? Comment faire confiance aux promesses prononcées par ceux-là qui ne tiennent pas les leurs ? L’honnêteté intellectuelle seule permet l’établissement d’un véritable dialogue. L’une et l’autre représentent les véritables garde-fous contre les périls générés par de vains serments ou des postures relativistes et changeantes. D’un Tapie à un Le Pen père, d’un Georges Marchais à un Eric Zemmour, le bon sens populaire reconnaît toujours les siens. La terre ne ment pas, l’authenticité non plus. Sur le long terme, les hommes préféreront toujours ceux qui persévèrent à dire ce qui les habite, fût-ce au risque de déplaire. Au fond du coeur humain, il y aura toujours une place pour estimer ceux qui communient au courage des convictions, quand bien même ils penseraient à tort. Finalement, l’attitude qui consiste à aller au bout de son raisonnement, quitte à ruer dans les brancards ou verser dans l’erreur, rencontre souvent moins d’opposition dans la foule que la posture consensuelle qui s’attache à adopter un discours convenu et éthéré…
Dalida avait vu juste
Le « parler vrai », se refuser de dire : « Moi ? Jamais ! ». Autrement dit, admettre en soi la possibilité de se tromper. Ne pas chercher à se croire infaillible. Tous les dimanches, le prêtre prêche la parole de Dieu. Il rappelle et transmet à la foule présente dans la nef les promesses que le Christ a assurées en récompense d’une droite vie. Le prêtre est-il digne de jouer ce rôle de porte-parole du Ciel ? Le prétendre reviendrait à signer son arrêt de mort en crédibilité. Cependant, avant de monter à l’autel, le célébrant bat sa coulpe, confesse sa fragilité. Il admet qu’il siège parmi les pécheurs. Il n’a pas pour but de faire croire à ses fidèles qu’il appartient à la race des héros. Au contraire, il avoue la pauvreté de son âme, parfois traversée d’incohérences et de faiblesses. Mais lorsqu’il prononce l’homélie, son assurance vient d’ailleurs. La foi dans le message qu’il communique, il ne la tient pas de lui-même mais de la force intérieure du messager : Jésus lui-même.
De la même façon, dans le domaine des affaires publiques, plutôt que de promettre à la société tout et son contraire en affirmant péremptoirement « Moi ? Jamais ! », le personnel politique ferait bien de commencer par reconnaître sa petitesse, et ses possibles insuffisances. Au service de l’amour, comme du Bien Commun, nul besoin de « parole, parole, parole… », de répéter « encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots… ». Dans les affaires de coeur comme dans celles de la Cité, pour bâtir, pour s’engager, pour y croire, seuls comptent les paroles d’homme et les mots justes.
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