« Les négociations fascistes du socialisme, de la démocratie, du libéralisme ne doivent pas faire croire que le fascisme veuille renvoyer le monde à celui d'avant 1789 […]. On ne retourne pas en arrière. La doctrine fasciste n'a pas élu comme prophète Joseph de Maistre ». Ainsi parle Benito Mussolini en 1932. Cette année-là, cela fait déjà une décennie que le Romagnol préside aux destinées de l'Italie. Une Italie certes encore monarchique - où règne Victor-Emmanuel III - mais où l'État et la société ont été peu à peu absorbés par l'idéologie fasciste.
Mais si le fascisme italien n'est en rien une doctrine contre-révolutionnaire, est-ce à dire que ses racines se trouvent à gauche ?
C'est la thèse défendue avec maestria par Frédéric Le Moal, spécialiste d'Histoire italienne et enseignant à l'Institut Albert Le Grand.
Le Moal souligne les origines immédiates du fascisme, qu'il s'agisse du squadrisme bagarreur ou de la « geste d'annunzienne » des arditi s'établissant à Fiume. Le fascisme est né de la Grande Guerre, celle des tranchées, contre l'Autriche honnie. Ce conflit, au cours duquel 600 000 Italiens trouvent la mort, est le grand feu purificateur, le baptême initiatique des futurs fascistes. Fraternité d'armes, virilité, culte de la patrie, dégoût pour l'arrière : autant d'empreintes indélébiles pour toute une génération d'Italiens.
Certes, le fascisme est aussi une réaction antibolchévique. Mais Le Moal touche du doigt son ADN révolutionnaire. Il y a bien sûr la filiation directe avec le Risorgimento, le républicanisme, l'anticléricalisme d'un Mazzini. Plus profondément, l'historien note les racines jacobines des chemises noires. On les retrouve dans les discours exaltant 1793 et la Terreur, mais aussi dans tout un projet anthropologique de régénération, inspiré des Lumières et de la Révolution française. Car à travers l'État totalitaire considéré comme fin politique, le fascisme, par-delà ses évolutions et ses chapelles, entend engendrer un Homme nouveau, collectif et régénéré. Mussolini, leader pragmatique ayant rompu avec son socialisme de jeunesse et devant composer avec des forces conservatrices, est resté un homme de gauche dans l'âme. Des exemples ? Le futurisme. Son culte du Progrès. Sa prétention de priver les familles de leur liberté d'éducation. Plus largement, la régénération. Le fascisme est d'ailleurs le seul régime, avec le jacobinisme français, à avoir créé de toutes pièces un calendrier artificiel. Une tabula rasa révolutionnaire parfois contenue, mais qui s'exprime terriblement dans son dernier acte la République sociale de Salo (1943-1945). Le Duce, plus terrible que jamais, déclare la guerre en 1944 à ses ennemis, à la « Vendée monarchique, réactionnaire » italienne (le Piémont). L'aventure se terminera dans le sang et la mort.
Une leçon de taille pour les antifascistes de tout poil le fascisme est un cadavre de gauche.
François La Choüe monde&vie N°956 31 mai 2018
Frédéric Le Moal, Histoire du fascisme, Perrin, 421 p., 19€.