Tribalisme et totalitarisme technicien
Presque un siècle après la Commune de Paris, Mai 68 n'a certes pas été sanglant, mais son importance est considérable. Les auteurs notent l'ambivalence du phénomène : d'un côté le déploiement et la victoire de l'hédonisme et de l'idéologie libérale-libertaire, bien analysée par Michel Clouscard (et ensuite par Alain Soral), de l'autre coté, une tentative d'instaurer une autonomie ouvrière qui est le meilleur du socialisme, même si ce n'est pas tout le socialisme. Ce dernier aspect est la constitution des travailleurs comme sujet historique au-delà de l'identification à un parti politique, le PCF. C'est l'« insurrection de l’être » (Francis Cousin) face à la Forme-Capital.
L'article sur les syndicats appelle une remarque : la constitution de SUD n'est pas un échec par rapport à l'apparition de nouveaux rapports de force dans le paysage syndical, et SUD ne peut être mis sur le même plan que les embryons de syndicats issus du Front national, qui n'ont jamais été une tentative sérieuse pour une raison simple : si pendant dix ans le FN a été le premier parti ouvrier en terme de votes de cette catégorie sociale, il n'a jamais cherché à donner une place aux ouvriers ni dans ses instances dirigeantes ni dans son programme (a-t-il jamais proposé des interventions ouvrières dans la gestion des entreprises ?).
C'est à juste titre, par contre, que Rébellion défend la place du politique. Les Conseils ouvriers ne peuvent exister durablement que dans le cadre d'une république sociale, et non d'une république bourgeoise. De même notent-ils, à ce propos, que la «société de l'indifférence» (Alain-Gérard Slama) laisse le champ libre à la fois au tribalisme et au totalitarisme technicien l'indifférence alimente la transparence qui permet le contrôle total. « L'opéra mythologique mondialiste des grandes machineries financières et terroristes ne va pas cesser de tenter d'intensifier le contrôle technique et policier de la planète à mesure qu'il va perdre de plus en plus la capacité de se contrôler lui-même », écrit de son côté Gustave Lefrançais. Mais il y a bien sûr des soulèvements qui laissent penser que l'indifférence a peut-être atteint ses limites.
Quand les auteurs s'interrogent sur la ville, c'est avec une même justesse. L'hypermodernité produisant la ségrégation dans la ville et la segmentation de la ville, la paix sociale est achetée par l'argent public, et des zones de non-droit, de délinquance, de ghettos, de chômage, de laideur et d'isolement sont délibérément sacrifiées. Les auteurs proposent un urbanisme inspiré de Michel Ragon et de Michel de Sablet (mais ne semblent pas avoir lu Le Vigan !), avec un désengorgement des grandes villes.
Les véritables enjeux de l’immigration
Leur approche de l'écologie est complémentaire. Elle ne nie pas la nécessité d'un développement social, tout différent du productivisme économique. Les auteurs opposent à l'écologie profonde « anti-humaine » une écologie sociale inspirée du communiste libertaire américain Murray Bookchin et de Pierre Kropotkine. Selon Rébellion, la décroissance est un antidote illusoire à la « course aveugle à la croissance » ce n'est pas parce que les classes dirigeantes font croire que plus est toujours mieux qu'il est judicieux de théoriser que mieux, c'est toujours moins. Le développement durable, dit l'équipe de Rébellion, ne doit pas être abandonné à ses récupérateurs. Le développement durable poussé jusqu'au bout est un développement social de tout l'homme et de tout dans l'homme. Il revêt une dimension profondément transformatrice et révolutionnaire, tandis que la théorie de la décroissance court le risque d'être assimilée à une valorisation de la récession et de son cortège de souffrances sociales accrues.(1)
L'immigration est un sujet majeur qu'il fallait aborder. Du point de vue libéral, l'homme est une marchandise et même la première des marchandises. Or, le libéralisme veut la libre circulation des marchandises et donc des hommes. L'immigration participe donc de la chosification de l'homme, tout comme de la destruction des nations et des identités. L'immigration dite « choisie » - par le grand capital - vide les pays du Tiers monde de leurs élites, et tend à accroître l'immigration de la misère et l’immigration de peuplement, notamment l'immigration clandestine souvent supérieure à 10 % de l'immigration légale. Ces transferts de populations sont masqués par le fait que les naturalisations massives par le droit du sol maintiennent le nombre apparent d'étrangers à un pourcentage à peu près stable malgré environ 200 000 entrées légales en France par an. Les auteurs remarquent justement que le regroupement familial de 1975 a été voulu, alors que les travailleurs immigrés s'engageaient de plus en plus dans les luttes sociales, comme un moyen de les « stabiliser » et de freiner leurs ardeurs combatives en leur donnant une famille à faire vivre. Bien entendu, le chômage de masse a changé la donne. Il n'en reste pas moins que l'immigration continue de peser à la baisse sur les salaires, mais aussi de diviser la classe ouvrière, en opposant les « petits Blancs qui se lèvent tôt » aux assistés (pour cause de manque de qualification, de motivation ou de décalage culturel). De fait, les immigrés ont perdu leurs repères culturels d'origine sans en avoir acquis de nouveaux, notamment celui qui procède des traditions européennes de lutte sociale.
Immigrés non assimilés et Français déracinés dans des quartiers qui perdent leur francité, qui subissent le néotribalisme violent et la l’urbanisation-ghettoïsation de notre société, tendent tous à devenir de véritables machines à consommer et/ou à déprimer, zombies d'une société machinale qui a très exactement besoin d'un type humain (français ou immigrés) qui ne pensera jamais et ne pourra jamais « faire la révolution ».
Mais, justement, quel cadre adopter pour cette révolution sociale ? Si le groupe Rébellion est pour l'unité politique de l'Europe, c'est parce que la France seule est impuissante et parce que le régionalisme n'a pas d'avenir s'il est un séparatisme. L'Europe fédérale du peuple et du travail est la nouvelle patrie de Rébellion. C'est Jean Jaurès, qui n'était pas précisément un socialiste révolutionnaire, qui disait. « Le courage, c'est de chercher la vérité et de la dire. » C'est un précepte plus actuel que jamais.
Pierre Le Vigan éléments N°132 juillet-septembre 2009
1). Cette critique de la théorie de la décroissance, théorie soutenue notamment par Alain de Benoist dans Demain, la décroissance, est partagée par le signataire de cet article, qui se sépare sur ce point de l'opinion majoritaire de la rédaction d'Éléments ! (Ndlr.)
Louis Alexandre et Jean Galié, Rébellion. L'alternative socialiste révolutionnaire européenne, préface d'Alain de Benoist, Alexipharmaque (BP 60359, 64141 Billère Cedex, <www.alexipharmaque.net>), 276 p., 25 €.
Revue Rébellion. <http://rebellion.hautetfort.com>.
«Banlieue 13», film de Pierre Morel, écrit et produit par Luc Besson (2006). Une vision futuriste de banlieues françaises abandonnées au chaos par les pouvoirs publics. Prémonitoire ?