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L'impossibilité de rendre la droite intelligente... 1/2

C'est la conclusion que l’on peut tirer de la lecture d’Au temps des idéologies «à la mode». Un recueil des articles publiés voici une trentaine d'années dans « le Figaro-Dimanche » et le Figaro Magazine par Alain de Benoist. Et le témoignage d'un moment décisif de l'histoire de la Nouvelle Droite.

Le nouveau livre d'Alain de Benoist (AdB) rappellera à certains de vieux souvenirs. À d'autres, il ne dira rien. Les deux catégories de lecteurs, les anciens et les modernes, ont pourtant beaucoup à attendre de ce livre. Ils ne seront pas déçus. Il y a deux aspects dans Au temps des idéologies « à la mode ». Un recueil d'articles et un témoignage. Commençons par le témoignage. De 1977 à 1982, AdB et ses amis de la « Nouvelle Droite » (ND) expression qui n'était pas utilisée avant 1979, ont participé, et même un peu plus, à la création du Figaro Magazine. Celui-ci, supplément hebdomadaire du Figaro, lié à celui-ci en tant que faisant partie du groupe de Robert Hersant, mais parfaitement indépendant, fut assez vite un gros succès de presse. Il avait été précédé, un an auparavant, en 1977 par un supplément plus modeste, « Le Figaro-Dimanche », fort bien fait. Dans celui-ci, AdB et Louis Pauwels alternaient, chacun tous les 15 jours, une chronique à mi-chemin entre le mouvement des idées, côté AdB, et le mouvement des sensibilités littéraires et, d'une manière plus générale, le mouvement des sensibilités du temps, côté Pauwels.

Un an après ce «banc d'essai», naissait donc Le Figaro Magazine, avec une photo de Valéry Giscard d'Estaing en couverture pour le premier numéro. C'était le 7 octobre 1978, et le premier article d'AdB portait sur Nietzsche.

Objectif des fondateurs du Fig Mag : critiquer à grande échelle, et avec des moyens importants, les « idéologies à la mode », à l'époque essentiellement marxisantes et freudo-marxistes. Il y avait alors une incontestable hégémonie culturelle de la gauche, mais pas encore le «politiquement correct» ni la « pensée unique ».

Le sens de la présence d'AdB et de certains de ses amis au Fig Mag était celui-là : tenter d'influencer la droite et de lui donner des idées. Rendre la droite intelligente. La porter au-delà d'elle-même. Lui écrire ses livres à l'occasion. Mais, de même que les communistes disaient de l'union de la gauche que « l'union est un combat » (en espérant le gagner), le partenariat avec la droite libérale était aussi un combat. Un combat que la ND a perdu au même titre d'ailleurs que les communistes ont perdu le leur.

Une stratégie d’entrisme erronée

C'est l'occasion de revenir sur la stratégie d'entrisme de la Nouvelle Droite. Elle a bien sûr existé durant quelques années et, quand L'avenir n'est écrit nulle part (Albin Michel, 1978; Livre de Poche, 1979) fait référence aux Indo-Européens, on comprend que Michel Poniatowski, homme cultivé au demeurant, n'y a pas pensé tout seul. Cette stratégie d'entrisme vis-à-vis de la droite classique a duré quelque quatre années, avant le tournant des années 1980. À l'occasion, quelques anciens de la ND ont ensuite - parlons franc ici - écrit tel ou tel discours de Jean-Marie Le Pen, qui n'a au demeurant besoin de personne pour savoir bien parler et qui, homme d'instinct avant tout, n'a jamais été à la recherche d'un quelconque réservoir idéologique. Surtout, cette stratégie, en faisant référence aux indo-Européens, a été « hors sol », selon l'expression du philosophe Philippe Forget Ce n'est pas parce que des éléments d'histoire tendraient à donner raison à l'idée d'une origine commune des Européens que cela peut devenir un mythe mobilisateur actif dans le monde contemporain, tel que le mythe napoléonien a pu être actif pendant la première moitié du XIXe siècle. Disons le autrement : la stratégie d'entrisme de la ND a été temporaire, elle a aussi été parfaitement erronée et n'a pas anticipé sur un phénomène beaucoup plus important à partir de la seconde moitié des années 1980, le populisme, conséquence, en bonne part, du déclassement des classes moyennes, voire de leur liquidation(1).

L’idée d’empire

Deux étapes ont été décisives dans le processus d'éviction de la ND du Fig Mag. L'une fut la campagne de diabolisation de l'été 1979, campagne au fond favorable à la ND quant à son développement, mais qui l'isola. L'autre étape fut l’instrumentalisation médiatique de l'attentat de la rue Copernic, en 1980. Ceci aboutit à l'alignement de Louis Pauwels dont firent les frais AdB et la ND en tant que mouvement d'idées (il n'est bien sûr pas question ici des itinéraires d'anciens de la ND qui ont joué leur carte personnelle hors de toute visée idéologique). D'où la réduction de la place d'AdB dans le Fig Mag à une chronique vidéo à partir de 1982. C'est cela que raconte le livre, au travers de l'introduction d'AdB, du témoignage de celui-ci sur Pauwels, du témoignage très complet de Jean-Claude Valla, ancien directeur de la rédaction du Fig Mag et de deux articles de Pauwels sur AdB. C'est ainsi tout un pan de l'histoire de la presse et de l'histoire des idées qui est éclairé. Le bilan, c'est bien entendu l'échec de la stratégie d'entrisme qui fut un temps celle de la « Nouvelle Droite » et du GRECE (On peut aussi parler d'un certain échec à un autre niveau : le « noyau secret » du GRECE, qui n'est pas si secret, c'est l'idée d'empire et d'empire européen. Or, cette idée n'est pas toujours suffisamment étayée, noyée qu'elle est dans le système de profusion et d'encyclopédisme qui est, au fond, la nature profonde de la ND, à la fois son grand atout et sa grande faiblesse. Pour le dire autrement, la ND est un cercle d'idées qui n'a pas assez de rigueur proprement «idéologique », avec ce que ce mot peut impliquer de sectarisme. Mais le « temps des idéologies » n'est-il pas fini ? Auquel cas, c'est la ND qui aurait raison contre ses détracteurs « idéologisés », c'est-à-dire lui reprochant son déficit d'idéologie.) Par contre, ce qui n'est pas un échec, c'est le travail accompli et publié. Car au-delà du destin du Fig Mag, qui ne retrouva jamais ses lecteurs des années 1977-82 et fut ensuite touché, comme tous les journaux, par la tendance au déclin de la presse écrite - et par la pente d'une médiocrité dont il fut lui-même l'un des acteurs avec sa série des « Quatre filles sur un bateau »(2) -, les articles produits alors dans le domaine des idées, notamment et surtout ceux d'AdB, avaient une qualité majeure. la pédagogie, la lisibilité, l'élégance. C'était évidemment déjà le cas de ses articles de Valeurs actuelles, regroupés dans Vu de droite, paru en 1977 et Prix de l'Essai de l'Académie française. En d'autres termes, 1977, c'est le début de la notoriété d'AdB. Pédagogie, clarté, sens de la progression dans l'exposé des difficultés de raisonnement, ce sont là les qualités que l'on retrouve dans Au temps des idéologies « à la mode » avec le regroupement, classés par ordre chronologique, des articles parus pendant cinq ans, de 1977 à début 1982, dans « Le Figaro-Dimanche» d'abord, puis dans le Fig Mag(3).

À suivre

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