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Où va Michel Onfray

Avec son dernier livre Théorie de la dictature, le philosophe, le militant Michel Onfray, nous offre un retour sur lui-même, sur ses convictions de gauche, sur le général de Gaulle, sur la tentation de l’Empire mondial et puis avant tout sur George Orwel et son œuvre, lue comme prophétie de évolution politique actuelle.

Michel Onfray publie beaucoup, en particulier ces temps-ci. Je ne vous ai pas parlé de La stricte observance paru en février 2019 dans lequel l'auteur du Traité d'athéologie nous raconte qu'il a été faire une retraite à la Trappe de Soligny fondée par le célèbre abbé de Rancé, auquel Chateaubriand consacra une biographie. Grand moment : le chant des Matines ou (des vigiles) par Michel Onfray signes de croix et génuflexions comprises. Comment l’expliquer ? Conversion rentrée ? Prurit chrétien refoulé de plus en plus difficilement ? Je ne le crois pas.

Antimoderne ?

Au vu de son tout dernier livre, Théorie de la dictature, je proposerais une autre explication : et si Michel Onfray était un antimoderne ? Oh ! Un crypto-antimoderne, mais l'hypothèse vaut la peine d'être creusée. Creusons ! Ce qu'Onfray a aimé chez les Trappistes de la Stricte observance, c'est le caractère intemporel de ces grandes ombres blanches, les mêmes aujourd'hui qu’au temps de Rancé, leur fondateur à la fin du XVIIe siècle. Il est sensible à ce silence qui défie les siècles, contrairement à Michel Houellebecq, qui lui, après une visite au monastère de Ligugé, sur les traces de Huysmans, ne fait vraiment pas un plat des ombres noires qu'il a croisées là-bas et, sans son roman Soumission, trouve les moines décidément trop « popottes » (sic). C'est pourtant leur caractère popotte, leur organisation, qui leur a permis de transmettre leur folie et de défier les siècles, en véritables antimodernes, suscitant l’émotion admirative de l’autre Michel, notre Onfray…

En tout cas, l’antimodernisme, que l’on devine dans La Stricte observance, apparaît en pleine lumière dans Théorie de la dictature qui se présente avant tout comme un jugement très négatif sur notre système socio-politique assorti d'un hymne à George Orwell et au conservatisme anglais.

Promenade apocalyptique en 1984

Avec le scrupule scientifique qui est le sien, Michel Onfray résume les diverses propositions qu'Orwell a élaborées dans son œuvre, pour définir ce meilleur des mondes déjà prophétisé trente ans plus tôt par Aldous Huxley the brave new world, qui vient et qui nous attend. Il fait une longue lecture descriptive, forcément admirative de l’œuvre d'Orwell. Mais il faut attendre la conclusion d'Onfray pour qu'il donne un nom au mal politique qu'il diagnostique dans notre société et vérifie dans le célèbre roman d'Orwell 1984 : le nihilisme progressiste. Ce « mal moderne », voilà selon Michel Onfray ce que décrirait George Orwell non seulement dans son roman d'anticipation, 1984 mais dans cette fable politique qu'il a nommée La ferme des animaux.

Onfray en fait, pour conclure, sept thèses, qui caractériseraient toutes ensemble le régime totalitaire : d'abord il y a la perte de la liberté par la surveillance continuelle. Nous sommes bien aujourd'hui dans la traçabilité permanente non seulement des produits mais des individus. Deuxièmement : l'appauvrissement du langage et surtout la création de mots nouveaux, la novlangue. Troisièmement : l'idéologie remplace la vérité, c'est vrai dans tous les Partis. Quatrièmement : la colonisation de l'histoire par les soucis et les problèmes du présent. Cinquièmement : la marginalisation de la nature et du naturel : c'est vrai qu’on fait de la sexualité, expression de la nature, une question de genre c'est-à-dire un dispositif culturel où le naturel devient multiforme. Sixièmement : une société où se diffuse la haine des boucs émissaires, et où l’on va jusqu'à psychiatriser toute pensée critique. Enfin septièmement : une société où l'Empire prend la place des nations. « Qui dira que nous n'y sommes pas ? » demande Michel Onfray dessinant à travers ces sept thèses le système du mensonge politique.

Une lecture délibérément souverainiste de notre avenir

C'est la dernière thèse, celle de la constitution opaque d'un Empire mondial, où se dissout la responsabilité des nations et la solidarité interne des peuples qui paraît la plus importante, celle autour de laquelle se fait ce que j'appellerais volontiers le passage au souverainisme de Michel Onfray On nous rabâche que les nations, c'est la guerre et le malheur assuré ? C'est pour mieux supprimer le pouvoir des peuples. Voilà quelle est la forme moderne de la dictature ? C'est la question qui mène Michel Onfray homme de gauche, de Pierre-Joseph Proudhon à Charles de Gaulle, du socialisme au souverainisme.

L’avenir de la politique est à une nouvelle conscience des peuples face à la dérive impériale qui dissout les frontières et les responsabilités dans une sorte de magma idéologique, régnant sur de vastes terrains vagues, dictatures sans dictateur, où n’existera bientôt plus que le chacun pour soi.

Michel Onfray, Théorie de la dictature Robert Laffont, 232 p., 20€

Michel Onfray La stricte observance, Avec Rancé à la Trappe, éd. Gallimard, 128 p., 13€

Joël Prieur monde&vie 13 juin 2019 n°972

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