C'est le monde de la foi
Le lecteur, même instruit, ne fait pas immédiatement le rapprochement entre le monde de Tolkien et la foi catholique. Cet aspect, étudié dans le monde anglo-saxon, est peu abordé en France. Tolkien est davantage perçu comme un auteur porteur d'une vision écologique et New Age Pourtant, si on lit certaines de ses œuvres - notamment le Silmarillion et la riche saga de la Terre du Milieu - les emprunts à la théologie sont patents. Tout d'abord dans le récit des origines du monde. En effet, Ilúvatar est bien le Créateur, car il donne naissance aux Ainur, tous dotés de la « Flamme Immortelle » : une allusion à l’absence de la mort dans le dessein originel. Ces Ainur seraient proches des anges. Par ailleurs, l'un d'eux, Melkor, se révolte. « Melkor était le plus doué des Ainur en savoir comme en puissance », écrit Tolkien. Comment ne pas y voir une référence à la révolte du démon, le « plus sage de tous les anges avant d être le diable » (Tertullien) ? De même, Melkor est orgueilleux car il veut augmenter sa puissance et tout ramener à lui : petit clin d'oeil aux anges déchus qui « n’ont pas voulu rapporter à Dieu leurs excellences »
(Origène). De même, après la création par Ilúvatar des Elfes et des Humains, on apprend que Melkor « enviait les dons qui leur avaient été promis par Ilûvatar ». Cette jalousie peut rappeler la haine de Satan pour le genre humain, qui ne supporte pas que Dieu se fasse homme. Le péché originel est bien présent dans la cosmogonie de Tolkien, même s'il complique son récit de la création. Autre allusion : l’immortalité des Elfes, qui rappelle la situation de l'Homme avant la chute. Mais la fin des temps est aussi teintée de christianisme. Melkor, devenu Morgoth, est provisoirement éliminé, mais il revient à la fin du monde pour être vaincu allusion : au dragon momentanément enchaîné de l’Apocalypse et à la victoire finale sur Satan. Pour autant, l'œuvre de Tolkien n'a aucune prétention apologétique. Il ne cherche pas à prouver la vérité de la foi catholique, ni même à convertir le lecteur. Son intention est plus subtile : il veut montrer que la foi peut inspirer une œuvre. Au Moyen Âge, la foi fut justement la source d'inspiration de tout un monde profane. Le médiéviste Tolkien ne pouvait pas y être insensible.
François Hoffman monde&vie 14 novembre 2019 n°978