Les livres ne sortent encore qu'au compte-gouttes chez les éditeurs. En voilà un que je vous recommande parce que, sur un sujet souvent abordé : les bâtisseurs de cathédrales - son travail ne ressemble à aucun autre. Il nous emmène en voyage au cœur battant du Moyen Âge. Laissons-nous faire, Suivons-le !
Patrick Sbalchiero est à la tête d'une longue bibliographie. Au fil d'une bonne vingtaine de livres, il a évoqué toutes sortes de théophanies : les manifestations de Dieu sur notre terre. Son livre sur les bâtisseurs de cathédrales, Des hommes pour l'éternité, ne fait pas exception, il marque lui aussi, à travers le travail des jours, la belle alchimie qui avec le temps produit de l'éternité. On ne construit pas les cathédrales par hasard. Il faut un savoir-faire, mais il faut aussi une foi, sachant que l'on ne verra pas forcément l'œuvre achevée et que d'autres la verront dans les générations futures. Le plus intéressant chez les bâtisseurs de cathédrale, c'est l'attitude spirituelle qui est à l'origine de ce vaste chantier. Il fallait obtenir des confidences pour pénétrer leur cœur. C'est ainsi que notre auteur fait parler les gens du temps, roi, abbé, artisans ou simple bistrotière, chacun est censé écrire ses mémoires pour nous indiquer son essentiel, quel est le souffle qui le porte et la conscience qu'il prend de sa propre vie.
Pour comprendre les cathédrales, il faut remonter à l'ordre des bénédictins et à la fameuse devise que laissa Benoît à ses moines : Ora et labora. Prie et travaille. Les gens du Moyen Âge ont la prière inscrite au fond de leur cœur. Pour peu qu'ils aient tenté de s'élever, c'est tout de suite l'oraison intérieure qu'ils découvrent. Patrick Sbalchiero nous fait découvrir le roi Louis VII. Pas un homme parfait ! La manière dont il divorce d'avec sa femme, Aliénior d'Aquitaine, n'était justifiable ni du point de vue de la politique capétienne, ni du point de vue moral. Et pourtant il est inconsolable. Il aurait voulu entrer au monastère, mener la vie de recueillement qu'il a aimé dans sa jeunesse. Mais son frère aîné, Philippe, est mort de la manière la plus inopinée à cheval en plein Paris, un cochon a traversé son chemin, sa chute fut mortelle. Le cadet a dû remplacer son aîné au pied levé, avec l'aide de Suger, ce moine qu'il soutiendra dans la construction de la basilique Saint-Denis. Louis est ami de Suger. Ce qui les unit ? La méditation, le goût de la prière, l'attrait pour la lumière. Les cathédrales sont des trésors de lumière. Et cette lumière s'acquiert comment ? Par le travail opiniâtre, qui permet de dépasser les pesanteurs de la matière. Suger, l'ami du roi n'est pas un de ces favoris superficiels, qui se vautrerait dans sa réussite sociale. Il sait ce qu'il veut : la lumière. Il est prêt à tous les efforts pour l'obtenir. Le fameux bleu de Chartres qui filtre la lumière de façon si extraordinaire, c'est lui qui l'a découvert - à Saint-Denis. On imagine qu'elle dut être son exigence. Il fit inscrire sur les portes de sa cathédrale, ces mots qui résument son existence : « Ce n'est ni l'or ni la dépense mais la perfection du travail qu'il faut admirer. ici Si l'œuvre est étincelante, cet éclat doit illuminer les âmes pour les conduire, par ces lumières matérielles, à la vraie lumière dont le Christ est la porte ». Prie pour concevoir le goût et la soif de la lumière. Travaille pour discipliner cette lumière, en en faisant une théophanie, une manifestation créée de l'Incréé, une parabole de la vérité.
Le diable n'est jamais loin de Dieu
Prie et travaille ! Pourtant tout n'est pas si simple dans la vie chrétienne. Il ne suffit pas de se mettre en quête pour trouver ce que l'on cherche. Dans les cathédrales, le thème des labyrinthes était très présent. Beaucoup ont été détruits, parce que l'époque classique ne comprenait pas cette image du labyrinthe. Descartes a voulu faire de l'idée de Dieu quelque chose de simple et d'évident. Il n'y a à son époque que les jansénistes pour reconnaître « la quête gémissante » (Pascal) en quoi consiste une vie consacrée à Dieu. C'est à Chartres qu'est conservé le plus beau labyrinthe qui nous reste. Il a été redécouvert il y a quelques années, comme si on redécouvrait en même temps que dans toute vie chrétienne se trouve le négatif et le travail du négatif. Nous ne devons pas nous arrêter à la lumière que portent les vitraux, mais nous laisser porter au-delà d'elle-même, dans ce voyage à l'Infini qui seul justifie une existence. Les bâtisseurs de cathédrale avaient compris que Dieu ne vient pas seulement à l'idée, qu'il vient au cœur et que nos cœurs sont toujours le théâtre de luttes difficiles; que sur terre, comme dans l'art médiéval, le diable n'est jamais loin de Dieu.
Patrick Sbalchiero. Des hommes pour l'éternité, l'incroyable épopée des bâtisseurs de cathédrales, éd. Artège. 222 p.. 16.90 €.
Abbé G. de Tanoüarn Monde&Vie 29 mai 2020 n°986