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L'Europe a-t-elle (encore) un avenir ? 2/2

Les Européens doivent se considérer comme une puissance réémergeante.jpeg

L'Europe, non-lieu

Un étrange syndrome frappe les Européens : l'ère du vide annoncée par Gilles Lipovetsky(15). Cette perte de sens, marquée du double sceau de l'hyper individualisme et de la déliaison sociale, s'accompagne d'une xénomanie pathologique corrélée avec le nihilisme de notre époque consumérisme, hédonisme et métissage obligatoire. Voici venu le temps d'une « Europe fatiguée d'avoir été longtemps sur la brèche, qui pense aux vacances et rêve d'une société de soins »(16). L'Europe est entrée de plain-pied dans l'ère post-nationale exaltée par les héritiers de la déconstruction et les thuriféraires du « patriotisme constitutionnel » théorisé par Jurgen Habermas, obsédés par l'idéologie du métissage et qui partent en chasses de toutes les formes de « culturalisme » ou d' « essentialisme », appelant à l'avènement d'une Europe désincarnée, régie par un universalisme abstrait, « pure ouverture à la généralité humaine qui n'aurait ni existence particulière ni être propre » (Marcel Gauchet).

Les tenants de cette « idéologie du vide » (Peter Sloterdijk)(17) - qui rejoignent en cela ceux de l'euroscepticisme historiographique(18) postulent l'impossibilité absolue de parvenir à une définition de l'« européanité » et de l'Europe sinon comme un non-lieu (« L'Europe n'est pas un lieu, mais plutôt une idée » affirme le Commissaire du people BHL) gouverné par les seules lois de la démocratie postnationale, l'économie de marché et l'État de droit.

C'est aussi cette vision que cultive l'essayiste Alain Mine qui, dans Un petit coin de paradis (sic), dresse le portrait - pour s'en réjouir - d'une Europe qui ne s'appartient plus et qui est devenue le lieu « de toutes les horreurs sociétales en vogue »(19) relayée par la novlangue de la Commission européenne et la « vigilance » des ligues de vertu (MRAP, SOS-Racisme) qui communient dans le fantasme de la « société ouverte » prônée par Karl Popper, à laquelle fait écho la « multitude civile » du néomarxiste Antonio Negri, idiot utile du mondialisme.

Sans identité singulière, renonçant à un récit commun, à une culture de référence, à un socle historique et ethno-culturel, l'Europe sans feux ni lieux est dans l'incapacité de définir ses propres frontières. En bref, « l'Europe ne sait plus qui elle est, ni ce qu'elle veut » (Hubert Védrine) et ressemble de plus en plus à une « coquille vide » diluée dans ses élargissements successifs, et dont le référentiel exclusif serait l'universalisme, l'hypermoralisme des droits de l'homme(20) et le dogme du libre-échange, sans finalités propres.

Qui est l'homme européen ?

L’homo europeus est le réceptacle vivant d'un héritage qui traverse les siècles : la source hellène lui révèle l'idée de la démocratie, le sens du Bien, du Beau et du Vrai (entre Polyclète et Aristote); le christianisme fait de lui une personne ouverte sur la transcendance; il découvre dans les forêts de Germanie le sens de la communauté (la Volksthing, assemblée d'hommes libres), il apprend le droit issu de la res publica romaine, il navigue vers la Celtie où naît la quête aventureuse, et il vibre aux inspirations sacrées de la spiritualité slave héritée de Byzance.

Ainsi prend-il conscience que sa patrie continentale symbolise la complexité et la tragédie de l'histoire, illustrées par les figures d'Ulysse, d'Arthur, de Don Quichotte et de Faust : « Le héros européen sera l'homme qui atteint dramatiquement le plus haut point de conscience et de signification le saint, le mystique, le martyr. Tandis que le héros américain sera l'homme le plus conforme au standard du bonheur, celui qui réussit, celui qui ne souffre plus parce qu'il s'est parfaitement adapté [...] l'Européen connaît la valeur essentielle des antagonismes, de l'opposition créatrice, tandis que l'Américain considère l'existence de l'opposition comme l'indice d'un mauvais fonctionnement, qu'il faut éliminer, doucement ou brutalement pour arriver à l'unanimité, à l'homogène »(21).

« L'Européen n'est pas un représentant d'une identité quelconque, mais un amant de l'histoire » (Jean-Marie Domenach). Plus encore, les Européens forment, selon l'expression de l'historien Charles-Olivier Carbonnel, un « être historique ». Paradoxalement, comme l'exprime l'ancien député européen, Jean-Louis Bourlanges : « l'Union européenne ne s'est pas construite sur l'histoire, mais contre l'histoire [...] Nous avons donc, à partir des années cinquante, construit un système qui a en fait été une négation de l'histoire »(22). II y a nécessité pour l'Europe de s'incarner dans un continuum civilisationnel, dans des lieux, dans des hommes et des femmes qui ont fait l'histoire du continent. L'Europe a besoin de hauts-lieux (Stonehenge, Acropole d'Athènes, sanctuaire de Delphes, chapelle palatine d'Aix-la-Chapelle, Mont Saint-Michel, cathédrale de Chartres, Tour de Belém, monastère royal de Yuste, porte de Brandebourg, la Hofburg de Vienne) et de figures (Charlemagne, William Wallace, Charles Quint, Henri le Navigateur, Charles V de Lorraine, Patrick Pearse, Sophie Scholl, Claus von Stauffenberg).

Être Européen, c'est avoir la conscience d'un héritage spirituel(23) symbolique, et patrimonial commun, héritage auquel sont liées des valeurs qui forment une façon spécifique d'être au monde. Il est donc temps de ré-enchanter l'Europe, de retrouver son essence, un « socle commun d'un narratif partagé par tous »(24). Seule une Europe consciente d'elle-même pourra se projeter avec confiance dans l'avenir et susciter l'enthousiasme pour faire face aux défis et enjeux du monde globalisé.

Pour une politique de puissance

-Politique de défense intégrée, industrie européenne de l'armement et réhabilitation de l'esprit de défense (« capacité à conserver un horizon de guerre », Dominique Venner).

-Politique industrielle et patriotisme économique à l'échelle de l'Europe(25) dans les secteurs stratégiques (énergie, santé, aéronautique, aérospatial) : relocalisations, instauration d'un protectionnisme européen (élévation des droits de douanes pour les produits en provenance des pays émergents, dérogation au dogme libre-échangiste de l'OMC et clauses de réciprocité) et rétablissement de la préférence communautaire.

-Politique familiale et nataliste européenne, couplée avec une politique d'incitation au retour des populations extra-européennes.

-Constitution sur la base d'un nouveau traité d'essence fédérale d'une avant-garde politique(26) bâtie sur un noyau dur historique, incluant l'Europe carolingienne et danubienne [France-Allemagne-Bénélux-Italie-Espagne-Portugal-Autriche-Hongrie] politiquement intégrée et tendue vers un objectif une véritable politique de puissance.

Il importe de réveiller la « puissance au bois dormant »(27), car, « si l'Europe veut garder la maîtrise de son destin, elle, qui a vécu à l'ombre des États-Unis, va être obligée d'agir politiquement »(28). Une citation du philosophe espagnol Ortega y Gasset éclaire de sa lumière lointaine l'instant-clef qui décidera du sort de l'Europe : « C'est le réalisme historique qui m'a appris à reconnaître que l'unité de l'Europe comme société n'est pas un idéal, mais un fait d'une très ancienne quotidienneté. Et lorsque l'on a vu cela, la probabilité d'un État général européen s'impose. Quant à l'occasion qui subitement portera le processus à son terme, elle peut être [...] la natte d'un Chinois de derrière l'Oural ou bien une secousse du grand magma islamique »(29). Nous y sommes.

1). Richard N. Coudenhove-Kalergi, Pan-Europe, Genève, Paneurope Suisse, 1997, p. 16.

2). Philosophie magazine, « Le déclin de l'empire européen », septembre 2010.

3). « Faire l'Europe, c'est très dur », in La Croix, 8-9 mai 2010.

4). Un monde sans Europe ?, Fayard / Conseil économique de la Défense, Paris 2011

5). Hubert Védrine, « Le déclin de l'empire européen », in Philosophie magazine, septembre 2010, p. 43.

6). Peter Sloterdijk, Si l'Europe s'éveille. Réflexions sur le programme d'une puissance mondiale à la fin de son absence politique, Mille et une nuits, 2003, p. 40.

7). Patrice Buffotot, Europe des armées ou Europe désarmée, Michalon, Paris 2005, p. 7

8). Laurent Zecchini, « Dépenses militaires. Un réarmement mondial », in Le Monde, 20 juin 2007

9). Peter Sloterdijk, op. cit., p. 68.

10). Serge Sur, « Les bords mystérieux de l'Occident », in «L'Occident en débat», Questions internationales, janvier-février 2010, p. 6.

11). Marc Joly, Le mythe Jean Monnet, CNRS, 2007

12). Michel Loetscher, Louise Weiss. Une Alsacienne au cœur de l'Europe, Place Stanislas, 2009 François Foret, Légitimer l'Europe. Pouvoir et symbolique à l'ère de la gouvernance, Presses de Sciences Po, Paris 2008, p. 23.

13). « Sylvain Tesson, La quête du paladin », in Éléments, juillet-septembre 2011 p. 25.

14). Christian Saint-Etienne, La fin de l'euro. Bourrin, Paris 2009.

15). Gilles Lipovetsky, L'ère du vide. Essais sur l'individualisme contemporain, Gallimard, Paris 1983.

16). Régis Debray, Éloge des frontières, Gallimard, Paris 2010, p. 15.

17). Sloterdijk, op. cit., p. 50.

18). « L'Europe n'est pas une fraction déterminée de l'étendue. Pas davantage une continuité », écrit Emmanuel Berl dans son Histoire de l'Europe d'Attila à Tamerlan (1969).

19). Philippe Muray, Festivus, Festivus. Conversations avec Elisabeth Lévy, Flammarion, Paris 2008, p. 15.

20). Alain de Benoist, Au-delà des droits de l'homme, Krisis, Paris 2004.

21). Denis de Rougement, 28 siècles d'Europe, Bartillat, Paris 1990.

22). Elie Barnavi et Paul Goosens (éd.), Les frontières de l'Europe, Musée de l'Europe/De Boeck, 2001 p. 80.

23). « L'Europe se mutile en refusant d'assumer la totalité de ses héritages. Voilà pourquoi il m'a semblé que la peur panique de mentionner les racines chrétiennes de l'Europe au nom de la laïcité était absurde et dommageable pour son identité », Élie Barnavi, op. cit., p. 47

24). Élie Barnavi, op. cit., p. 46.

25). Bernard Carayon, Patriotisme économique. De la guerre à la paix économique, Rocher 2006.

26). Henri de Grossouvre (éd.), Pour une Europe européenne, Xenia, Vevey 2007

27). Jean-Marc Huissoud et Pierre Royer (éd.) Europe. La puissance au bois dormant. Rapport Anteios 2009, PUF Paris 2009.

28). Pierre Manent, in Le Spectacle du Monde, décembre 2010.

29). José Ortega y Gasset, La révolte des masses. Belles-lettres, Paris 2010.

Jean de Lothier éléments n°142 janvier-mars 2012

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