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Petite généalogie du Pacte budgétaire européen (fin)

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Marché commun, marché unique : les deux termes sont souvent confondus alors qu'ils désignent deux étapes très différentes dans l'histoire de la construction européenne. Le marché commun est l'objectif assigné par le Traité de Rome (1957), et consiste principalement à supprimer les droits de douanes entre les États membres, afin de favoriser la prospérité économique qui doit résulter de la libéralisation des échanges. Le marché commun reste cependant un marché international ou, plutôt, inter-étatique, respectueux de la souveraineté des États. Cette étape est atteinte dès 1968, avec une avance d'un an sur l'objectif initial. Au début des années 1970, les gouvernants de l'Europe décident d'aller plus loin dans la constitution d'un marché intégré, entamant la souveraineté des États et des peuples. Ils décident de créer un marché unique ou intérieur.

La réalisation du marché commun ne permet en effet qu'une intégration limitée de l'économie européenne en raison de la disparité des situations nationales, tenant principalement à la disparité des normes, des standards techniques, depuis les taux de TVA appliqués aux différentes catégories de produits jusqu'à l'écartement des prises d'électricité, qui sont autant de traductions de l'histoire particulière de chaque État. La libre circulation des marchandises ou des personnes reste entravée par la diversité des systèmes normatifs. Le projet de réalisation d'un marché unique (ou marché intérieur) comme déterritorialisation généralisée des. flux économiques va alors être formulé. Il fait l'objet d'un nouveau traité, l'Acte unique européen, en 1986. Ce traité programmatique préconise un ensemble de réformes qui consistent en l'abaissement définitif et complet de toutes les barrières concernant la circulation des marchandises (marché unique), des capitaux et des services, notamment des services financiers et la liberté d'installation des établissements de crédit (espace financier européen). Dans le cadre de l'espace financier européen, il est aussi à l'origine du mouvement de privatisation de banques(15).

Des banques centrales sans contrôle démocratique

Afin de réaliser le marché unique, les États membres s'engagent à supprimer avant le 1er janvier 1993 les contrôles des marchandises et des personnes aux frontières intérieures, à faire disparaître les entraves techniques liées aux normes nationales, à rapprocher les taux de TVA. L'objectif est de parvenir à la création d'un marché intérieur défini comme un « espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon lès dispositions du traité ».

La création d'un marché intérieur appelle à son tour la création d'une Union économique et monétaire. L'intensification des échanges commerciaux est en effet perturbée par la variation des taux de change d'une monnaie à l'autre, qui fausse la régulation des prix par la seule loi de l'offre et de la demande. La monnaie commune, l'Ecu, adopté dès la fin des années 1970 et qui définit une valeur moyenne des monnaies nationales autour de laquelle ces monnaies fluctuent dans une certaine limite seulement, est d'une efficacité d'autant plus limitée que certains États sortent régulièrement du «serpent monétaire». La solution pour résoudre cet inconvénient est d'empêcher ces fluctuations en créant une monnaie unique purement et simplement substituée à celles des États, et en confiant à une Banque centrale européenne indépendante, conformément aux principes de l'ordo-libéralisme, la définition de la valeur de la monnaie16 II faut souligner qu'une telle pratique est directement contraire au principe, qui prévalait en France et dans de nombreux États jusqu'en 1992, de la subordination de la banque centrale à l'autorité du gouvernement et de sa responsabilité devant la représentation nationale, c'est-à-dire l'expression légale de la volonté populaire. C'est donc bien pour soustraire l'action des banques centrales au contrôle démocratique que, in fine, l'ordo-libéralisme justifie l'indépendance des banques centrales. Indépendance veut dire ici indépendance à l'égard des gouvernements, mais aussi des peuples. Au 1er janvier 1999, l'euro se substitue aux monnaies nationales avec un taux de change définitif et irrévocable. Tous les États de l'Union n'accepteront cependant pas de franchir ce pas. L'adoption d'une monnaie unique accentue en effet l'importance des transferts de souveraineté depuis les États vers l'Union, ce qui diminue d'autant la capacité des peuples à influencer les politiques publiques, puisque celles-ci sont de moins en moins maîtrisées par les Parlements nationaux. Par ailleurs, par le Traité de Maastricht (1992), les États s'engagent à ne pas dépasser le seuil de 3 % du PIB en déficit budgétaire. Le Pacte de stabilité et de croissance, signé en 1996, entré en vigueur en 1997 révisé en 2005 puis en 2011, prolonge les engagements contenus dans le Traité de Maastricht, réitérés dans les traités d'Amsterdam, Nice et Lisbonne. Il introduit un ensemble de critères que les États de la zone euro s'engagent à respecter vis-à-vis de leurs partenaires afin de coordonner leurs politiques budgétaires nationales et d'éviter l'apparition de déficits publics excessifs. Il assigne aux États de la zone euro l'objectif d'avoir à terme des budgets proches de l'équilibre ou excédentaires. La crise ayant perturbé la recherche de cet équilibre, plusieurs mécanismes d'urgence sont adoptés, dont le récent Mécanisme européen de stabilité, qui permet aux États en difficulté de bénéficier, sous conditions, de l'assistance européenne et internationale. Profitant de la situation de faiblesse objective dans laquelle se trouvent les États, les élites néo-libérales en profitent pour renforcer le carcan imposé aux budgets nationaux et les contraindre à une austérité qui, par le biais de la liquidation progressive des systèmes de protection sociale, est censée rendre à l'Europe sa compétitivité dans le monde.

* Par construction européenne, expression usuelle mais réductrice, on entend, ici, l'histoire des Communautés puis de l'Union européenne, à l'exclusion de celle du Conseil de l'Europe.

** Cf. notamment Bruno Jobert (éd.), Le tournant néo-libéral en Europe. Idées et recettes dans les pratiques gouvernementales, L'Harmattan, Paris 1994.

1). Perry Anderson, Le Nouveau Vieux Monde. Sur le destin d'un auxiliaire de l'ordre américain, Agone, coll. « Contre-feux », Marseille 2011 (4e de couverture).

2).Michel Crozier Samuel Huntington, Joji Watanuki, The Crisis of Democracy. Report on me Governability of Démocraties to me Trilatéral Commission, New York University Press, New York 1975.

3). Andrew Moravcik, The Choice of Europe. Social Purpose and State Power from Messina to Maastricht, Comell University Press, Cornell 1998.

4).Pour reprendre la formule des Économistes atterrés, L'Europe mal-traitée. Refuser le Pacte budgétaire et ouvrir d'autres perspectives, Les liens qui libèrent, Paris, 2012 (pp. 43 et ss).

5).On assiste ainsi à l'émergence d'une véritable raison d'État économique, les États (les gouvernants qui en maîtrisent les rouages), au nom d'un intérêt supérieur se mettant en situation d'échapper à la décision démocratique.

6).Pour une analyse plus fouillée, on peut se reporter à l'ouvrage collectif des Économistes atterrés (Benjamin Coriat, Thomas Coutrot, Dany Lang et Henri Sterdyniak), L'Europe mal-traitée, op. cit.

7). Encore que l'on a vu, plusieurs années de suite, les fonctionnaires fédéraux américains attendre avec une certaine angoisse le vote du budget fédéral par un Congrès américain qui menaçait de le refuser avec pour conséquence immédiate, au premier janvier de l'année suivante, l'impossibilité de payer les fonctionnaires.

8).Cf. François Denord, « Néo-libéralisme et "économie sociale de marché" : les origines intellectuelles de la politique européenne de la concurrence (1930-1950) », in Histoire, économie & société, 2008/1 pp. 23-33; Frédéric Dardot et Christian Laval, La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, La Découverte, Paris 2009 (spécialement pp. 328 à 353) Les Économistes atterrés, L'Europe mal-traitée. Refuser le Pacte budgétaire et ouvrir d'autres perspectives, op. cit. Voir aussi François Bilger La pensée économique libérale dans l'Allemagne contemporaine, LGDJ, Paris 1964, ainsi que le cours au Collège de France de Michel Foucault, Naissance de la biopolitique (1978-1979), Gallimard-Seuil, Paris 2004, (pp. 77 et ss).

9). Hermann Heller « Autoritärer Liberalismus », in Die Neue Rundschau (44), 1933, pp. 289 et ss., cité par Christian Joerges, « Que reste-t-il de la Constitution économique européenne après la constitutionnalisation de l'Europe ? Une rétrospective mélancolique », in Les Cahiers européens de Science Po, 2005, n°1 p. 14, note 25.

10). La Société du Mont-Pèlerin, créée par Friedrich Hayek en 1947 à Vevey, en Suisse, en réaction et pour combattre la diffusion des idées de Keynes et des keynésiens, réunit chaque année, en septembre, l'élite du monde libéral. Elle est, au dire même de son ancien président, Pascal Salin, une académie internationale d'intellectuels libéraux. Certains lui prêtent une grande influence dans la diffusion des idées néo- libérales, surtout à partir des années 1980.

11). Selon l'expression de Jacques Rueff, cité par François Denord, art cit.

12). François Denord, art cit.

13). Cf. Dani Rodrik, Nations et mondialisation. Les stratégies nationales de développement dans un monde globalisé, La Découverte, Paris 2008, p. 6.

14). Bruno Jobert, op. cit.

15). Catherine Sikakis-Kapetanakis, « La méthode Monnet, unification monétaire européenne et globalisation financière », in Political Economy and the Outlook for Capitalism, publication en ligne.

Éric Dehaye, « La justification ordo-libérale des banques centrales », in Revue française d'économie, vol.10, n°1 pp. 27-53.

Félix Mores éléments N°146 janvier-mars 2013

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