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De la fin du présidentialisme

6a00d8341c715453ef0263e96fc064200b-320wi.jpgLa situation de plus en plus grave de ce pays pourrait et devrait inciter les Français, qui croient de moins en moins à la parole présidentielle, à réfléchir sur les moyens de reconstruire.

Or, les choses finissent le plus souvent comme elles ont commencé. Les érudits me pardonneront peut-être ce matin de ne pas mobiliser Anaximandre ou Heidegger[1]au service de cette réflexion à certains égards pessimiste. On se rabattra donc ce matin sur Euripide : "ce qui vient de la Terre retournera à la Terre".

Nous croyons trop souvent que l'élection présidentielle française est issue d'une pâle copie du modèle américain : celui-ci, certes, a dégénéré, dès la fin du XIXe siècle, au point qu'on n'imagine plus de l'imiter vraiment en France. Mais au départ il se fonde sur l'idée d'un suffrage indirect : en novembre ce sont des délégués que vont élire, État par État, les citoyens des États-Unis et formellement ce seront ces élus qui désigneront le chef de l'exécutif. En 2016, l'actuel titulaire n'avait pas obtenu la majorité des votes directs. La philosophie constitutionnelle fondatrice demeure celle d'un système fédéral.

Certains soulignent que lorsque fut modifié en 1962 l'article 7 de la constitution de 1958, la racine de cette décision remontait au discours de Bayeux. Prononcé en 1946 par le bénéficiaire de cette réforme, fondateur lui-même de la cinquième république ce morceau d'éloquence un peu pompeuse ne paraphrasait pas seulement Paul Valéry : "le vent se lève il est temps de vivre"[2]. Il affirmait pour doctrine l'accord entre le chef de l'État et le "peuple dans ses profondeurs". Cette supposition servit de viatique au parti gaulliste qui, diaboliquement, persiste aujourd'hui encore dans l'erreur qu'elle implique. Au moins en 1969 son prophète manifesta-t-il honnêtement son propre entêtement en démissionnant, après avoir été désavoué dans le cadre d'une procédure référendaire.

Mais, en fait, ce n'est ni en 1946, ni en 1962, qu'est née cette idée funeste d'élire ainsi le président d'une république : ce fut au terme de la désastreuse révolution de 1848, et sous l'inspiration de celui qui la conduisit quelque temps avant d'être recraché comme un caillou dans l'omelette : Alphonse de Lamartine. Il avait été mis à l'écart par l'Assemblée constituante en raison de ses vues chimériques et de ce qu'on appellerait aujourd'hui son incompétence. On dira de lui plus tard qu'il était "un incendiaire qui s'est fait pompier", en quoi, reconnaissons-le il a connu, et connaît encore, une descendance impressionnante. Mais dans un discours infiniment plus entraînant et poétique que celui d'un De Gaulle, ce dernier avatar du romantisme parvint à retourner la majorité des députés le 6 octobre 1848, en faisant voter les articles 46 et 47 de la constitution de notre deuxième république, bien avant les propositions de Tardieu – celui que Léon Daudet surnomma "le mirobolant" – et les dispositions qui prévalent aujourd'hui.

Le plus étonnant dans cette genèse du présidentialisme était que Lamartine avait réussi à la faire adopter en pensant à lui-même comme le prouvait clairement l'article 47 : au lieu d'un second tour, en l'absence d'une majorité de premier tour, l'assemblée choisirait parmi les 5 (cinq) candidats arrivés en tête ce qui, selon lui, devait permettre d'écarter ses deux principaux rivaux, Cavaignac et le prince Louis futur Napoléon III.

Nous savons aujourd'hui ce qu'il advint, qui s'empara du pouvoir et où il mena le pays : au désastre de Sedan.

Toutes choses égales par ailleurs, une même pente fatale conduit le régime actuel à une déception grandissante. Chaque élu, après un court moment de griserie, incite ses partisans eux-mêmes à regretter son prédécesseur.

Il semble urgent de dissiper l'illusion, si l'on veut éviter à la France la catastrophe finale.

JG Malliarakis 

Apostilles

[1] On peut quand même lire le chapitre sur la Parole d'Anaximandre dans "les Chemins qui ne mènent nulle part". Gallimard, Tel, 1986, pages 387-449.

[2] cf. Le Cimetière marin 1922.

https://www.insolent.fr/2020/10/de-la-fin-du-presidentialisme.html

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