Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Misère de l'altermondialisme 3/3

L'enjeu de la démondialisation

À l'échelle globale, agir sur les causes signifie aller vers un monde multipolaire, fondé sur l'existence de blocs régionaux autonomes, afin de garantir le maintien de la diversité collective et la possibilité de la décision politique(8). Mais cela signifie aussi qu'il faut promouvoir le localisme. Ainsi que l'a rappelé Régis Debray, quand tout pousse au global, il faut tirer vers le local. Le local et non le national, puisque l'État-nation est désormais entré en crise et devient de plus en plus impuissant(9). Relocaliser la production et la consommation est un impératif prioritaire à une époque où les produits industriels destinés à l'alimentation humaine doivent parfois parcourir des milliers de kilomètres avant de finir dans les assiettes(10). Parvenir à l'autosuffisance alimentaire et énergétique est d'autant plus nécessaire que le coût des transports aériens va devenir prohibitif dans les décennies qui viennent, ce qui ne manquera pas de permettre à certaines productions locales de redevenir compétitives face aux importations. « L'idée de produire et de consommer selon des circuits courts pour contrecarrer la mondialisation marchande et l'uniformisation des modes de vie fait son chemin », observe Jean-Yves Camus(11). C'est tout l'enjeu de la démondialisation.

Le concept de « démondialisation » est apparu en 2002 sous la plume du sociologue philippin Walden Bello qui, dans son livre Deglobalization. Ideas for a New World Economy (ouvrage traduit en France en 2011), se prononçait pour le démantèlement des grandes institutions financières internationales et la relocalisation des activités économiques(12). Cette idée a été reprise par Edgar Morin, pour qui « la démondialisation donnerait une nouvelle viabilité à l'économie locale et régionale », en même temps qu'elle signifierait le « retour d'une autorité des États »(13) par Jacques Sapir, qui affirme que l'histoire et la politique sont appelées à reprendre leurs droits, car la globalisation marchande et la globalisation financière ont déjà atteint leurs limites, la démondialisation passant d'abord par une renationalisation des politiques commerciales14 par Frédéric Lordon, qui en tient pour une renationalisation de la dette des États(15) et par bien d'autres. Sur le plan politique, la même thématique a été soutenue à droite par Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan, à gauche par Jean-Pierre Chevènement, Arnaud Montebourg(16) et Jean-Luc Mélenchon. Ce qui montre bien que le clivage gauche-droite, devenu totalement obsolète, a aujourd'hui laissé la place à un nouveau clivage entre adversaires (de droite et de gauche) et partisans (de droite et de gauche) de la mondialisation.

Face aux échecs de la «mondialisation heureuse», l'heure est au désenchantement. La dérégulation financière a abouti à la grande crise mondiale qui s'est ouverte en 2008 aux États-Unis et qui n'est toujours pas terminée. François Lenglet écrit : « Nous sommes à la veille d'un gigantesque retournement idéologique comme il en survient un ou deux par siècle, dont l'ombre portée s'étendra sur les décennies qui viennent »(17). Interrogé sur l'altermondialisme, Edgar Morin déclarait voici quelques années : « Il faut lier révolution et conservation. Il n'y a pas de conservation sans révolution. Il n'y a pas de révolution sans conservation »(18). On ne saurait mieux dire.

Notes :

1). Cf. sur ce point la pénétrante analyse de Takis Fotopoulos, « Globalisation, the Reformist Left and the Anti-Globalisation Movement », in Democracy and Nature, juillet 2001

2). Frédéric Lordon leur a répondu dans son article « Qui a peur de la démondialisation ? », in Le Monde diplomatique, juin 2011

3). Cf. Quelle « autre mondialisation ? », n° spécial de la Revue du MAUSS, 2e sem. 2002.

4). Robert Kurz, Avis aux naufragés. Chroniques du capitalisme mondialisé en crise, Lignes, Paris 2004, p. 167

5). Tariq Ramadan, « Les défis du pluralisme », in Politis, 19 juin 2003, p. 19.

6). Jean Baudrillard, « La violence de la mondialisation », in Le Monde diplomatique, novembre 2002, p. 18.

7). Serge Latouche, « D'autres mondes sont possibles, pas une autre mondialisation », in Revue du MAUSS, 2e sem. 2002, pp. 81-82 « La décroissance permet de s'affranchir de l'impérialisme économique », site Reporterre, 16 juillet 2013. En Italie, le philosophe marxiste Costanzo Preve, ardent partisan de la « deglobalizzazione », qualifiait pour sa part le mouvement altermondialiste d'« opposition de Sa Majesté » (« Destra-sinistra, comunitarismo, comunismo, antiglobalizzazione », in Comunitarismo, octobre 2001 pp. 18-21). Cf. aussi André Bellon, Pourquoi je ne suis pas altermondialiste, Mille et une nuits, Paris 2004, Christophe Ramaux, « Misères de l'altermondialisme », in Mouvements, janvier-février 2004, pp. 163-169, Thierry Pouch, « Nostalgie ou alter-mondialisme? », in Les Temps modernes, mars-juin 2005, pp. 310-325.

8). Cf. Chantai Mouffe, « Cosmopolitan Democracy or Multipolar World Order? », in Soundings, hiver 2004.

9). Cf. l'excellent ouvrage de Jerry Mander et Edward Golsmith (éd.), The Case Against Global Economy and fora Turn toward the Local, Sierra Club Books, San Francisco 1997

10). À propos de la viande de cheval retrouvée voici quelque temps dans des lasagnes « au bœuf » surgelées, le site Pièces et main-d'œuvre précisait qu'il s'agissait de « viande découpée en Roumanie vendue par un trader hollandais à un trader chypriote, qui l'a revendue au groupe français Poujol, holding de la société Spanghero, fournisseur de Comigel, une entreprise de Metz qui fabrique des lasagnes au Luxembourg pour les vendre à Findus, entreprise suédoise appartenant au fond anglais Lion Capital » (texte en ligne, 12 février 2013).

11). Jean-Yves Camus, « La question identitaire et l'avenir de l'Europe », in Géopolitique, avril-juin 2013, p. 81

12). Walden Bello, La démondialisation. Idées pour une nouvelle économie mondiale, Le Rocher Paris 2011

13). Edgar Morin, La voie, Fayard, Paris 2011

14). Jacques Sapir La démondialisation, Seuil, Paris 2011

15). Frédéric Lordon, « Et si on commençait par la démondialisation financière? », in Le Monde diplomatique, mai 2010.

16).Arnaud Montebourg, Votez pour la démondialisation, Flammarion, Paris 2011 préface d'Emmanuel Todd.

17). François Lenglet, La fin de la mondialisation, Fayard, Paris 2013.

18). Edgar Morin, Libération, 5 février 2001 p. 27

Alain de Benoist éléments N°150 janvier-mars 2014

Les commentaires sont fermés.