Le royaume de France était en guerre contre les Provinces unies, depuis 1672. Le Roi-Soleil ayant besoin d'argent pour financer ce conflit, leva en 1674 de nouveaux impôts, frappant notamment le tabac, la vaisselle d'étain et les actes notariés, qui devraient désormais être rédigés sur papier timbré. Ces nouvelles taxes provoquèrent une flambée de colère, d'abord à Bordeaux, d'où le mécontentement gagna Nantes, puis Rennes.
Les Bretons avaient quelques raisons d'être mécontents de la décision de Louis XIV : d'une part, elle piétinait les libertés bretonnes, que François Ier en son nom et celui de ses successeurs, s'était engagé à respecter, par le traité de Vannes de 1532, qui unissait définitivement la Bretagne et la France.
Ses clauses prévoyaient, entre autres, qu'aucun impôt ne pourrait être perçu dans le duché sans le consentement des États de Bretagne. Or, Louis XIV fit enregistrer la taxe sur le papier timbré en 1673, puis celle sur le tabac, en 1674, et cela non par les États, mais par le Parlement de Bretagne.
« Vive le roi sans gabelle et sans édits ! »
Par ailleurs, ces mêmes États de Bretagne avaient racheté fort cher, en 1673, les édits instituant les nouveaux impôts… qui furent néanmoins rétablis un an après leur rachat. On comprend que les Bretons se soient sentis floués.
S'ajouta à cela la rumeur d'une prochaine introduction de la gabelle, impôt sur le sel auquel les Bretons n'étaient pas assujettis : au mois d'avril 1675, Rennes et Nantes s'insurgèrent contre les nouveaux impôts, au cri de « Vive le roi sans gabelle et sans édits ! » Sporadiques, les soulèvements durèrent jusqu'au mois de juillet, le mouvement touchant aussi, avec moins d'importance, Saint-Malo, Guingamp, Fougère, Dinan, Lamballe, Morlaix…
Le duc de Chaulnes, qui gouvernait la Bretagne au nom du roi et que les gouvernés surnommaient aimablement « le gros cochon », n'avait ni les moyens, ni l'autorité suffisante pour affronter la protestation, et fut contraint de demander des renforts. En les attendant, il dut quitter Rennes et chercher refuge à Port Louis.
Impôts royaux et droits seigneuriaux
Les campagnes commencèrent à leur tour à bouger au début du mois de juin, notamment en basse Bretagne. Conduits par des « capitaines de paroisse », de nombreux paysans étaient coiffés d'un bonnet rouge (le nom restera au mouvement), ou bleu en pays bigouden. Des greffes de juridiction, des bureaux de la ferme des impôts furent pillés. Le 21 juin, 2000 révoltés prirent la ville de Pontivy. La protestation, d'abord tournée contre l’État, en vint rapidement à viser aussi la noblesse et les droits domaniaux qui lui étaient dus, corvées et champarts. Des châteaux furent attaqués et pillés, les châtelains contraints de renoncer à ces droits, et quelquefois tués. Le duc de Chaulnes écrivait à Colbert : « Il ne s'agit plus de tabac. Les paysans sont attroupés en quelques lieux autour de Quimper Corentin. La ville est menacée. Paraît-il, leur colère est plus tournée vers les gentils hommes que vers l'autorité du Roi. Il est certain que la noblesse a traité fort durement leurs paysans. (…) La misère les a provoqués à s’armer autant que les exactions de leurs seigneurs et les mauvais traitements qu'ils en avaient reçu… »
La lettre, bien sûr, émanait du gouverneur, représentant le roi; mais les « codes paysans » rédigés par les insurgés pour exposer leurs doléances protestaient en effet contre les droits de champart et la corvée.
La sédition s'était par ailleurs dotée d'un meneur, Sébastien Le Balp, ancien notaire royal à Carhaix, qui, au témoignage d'un bourgeois de Calais, avait une telle aura auprès des paysans « qu'il s'était fait passer pour le chef, que lesdits révoltés suivaient entièrement ses ordres pour sonner les tocsins, pour s'attrouper et s'assembler où il voulait, [et] que pendant la sédition, il a été le premier en tête, à tous les incendies, pillages et désordres ».
Le Balp se trouvait à la tête de 6 000 bonnets rouges armés, et parvint à réunir 30 000 paysans avec lesquels il se proposait de marcher le 3 septembre sur Carhaix et Quimper, puis d'affronter les troupes royales envoyées en Bretagne à l'appel du duc de Chaulnes. Mais au soir du 2 septembre, au château du Tymeur, il fut tué d'un coup d'épée par le marquis Claude de Montgaillard, qu'il tentait de convaincre de rallier, avec son frère Charles, la cause des révoltés.
La répression s'abattit aussi sur les campagnes, où des paysans furent pendus
Privés de leur chef, les paysans se dispersèrent et n'opposèrent guère de résistance aux soldats du roi. Sur la rigueur de la répression, les opinions des historiens divergent. Les troupes qui survenaient n'étaient certes pas composées d'angelots un an plus tôt, sous M. de Turenne, elles avaient cruellement saccagé et pillé le Palatinat. Elles stationnèrent trois semaines à Nantes, un mois à Rennes, logées chez l'habitant et à ses frais - et il est certain que la soldatesque commit violences et dégâts, même s'il faut faire la part de la rumeur lorsque Mme de Sévigné écrit « l’autre jour, ils mirent un enfant à la broche ». En outre, à Rennes, le tiers de la rue Haute fut démoli, les habitants chassés.
La répression s'abattit aussi sur les campagnes, où des paysans furent pendus - à Combrit, quatorze au même arbre - et d'autres envoyés aux galères. Les clochers de certaines paroisses furent privés de leurs cloches et ceux de quelques bourgs rasés. Il semble cependant que la justice du roi ait eut la poigne moins lourde qu'il a parfois été écrit. Ainsi, François Bluche estime dans sa biographie de Louis XIV que l’abolition (amnistie) signée par Louis XIV le 5 février 1676 fut large : « à l’exception d'une centaine de grands coupables, tout le pays breton était pardonné ». L'historien n'en considère pas moins que la révolte des bonnets rouges est une tache sur le soleil du grand règne.
Jean-Pierre Nomen monde&vie 12 novembre 2013 n°883