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Les deux faces du libéralisme (texte de 2015)

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Près d'une centaine de personnes ont assisté le 5 décembre dernier à la conférence organisée à Montpellier à l'occasion de la sortie de La gauche du capital de Charles Robin. Sans surprise, le NPA a dénoncé une « bouillie confusionniste »

L'auteur de La gauche du capital a grandi dans un quartier populaire de Béziers, où les garçons ont généralement le choix entre le rugby et le rugby Frondeur, il a choisi la philosophie et la boxe ! Tant mieux la philosophie y a gagné un cogneur, qui sait viser juste et droit.

Lecteur attentif et curieux, toujours un œil qui traîne sur les dernières nouveautés d'éditeurs dissidents, webradios improbables, fanzines et webmagazines mauvais genre, l'ami David L'Épée a, le premier, dans ces colonnes (Éléments n°146, janvier-mars 2013), entrevu chez Charles Robin un jeune penseur en rupture de ban idéologique. À 26 ans, l'élève de Jean-Claude Michéa, qui a milité pendant quelques années au Nouveau parti anticapitaliste (NPA) d'Olivier Besancenot, venait de publier à compte d'auteur son mémoire universitaire sous le titre Le Libéralisme comme volonté et comme représentation. Enthousiaste, le collaborateur d'Eléments avançait alors à propos de ce jeune Biterrois inconnu : « S'il est vrai que la valeur des idées se reconnaît à l'engouement qu'elles suscitent chez les plus jeunes, tout laisse à croire que les thèses de Michéa ont de l'avenir. Non content d'être souvent lu ces dernières années par la jeune génération, il a trouvé en la personne de Charles Robin, doctorant de 26 ans à Montpellier, un successeur enthousiaste. » Deux ans plus tard, à l'heure où le même Charles Robin fait paraître aux éditions Krisis La gauche du capital, sans doute l'essai le plus percutant qu'on ait pu lire depuis bien longtemps, l'intuition de David L'Épée prend des airs de prémonition.

En 245 pages, Robin démontre que le fameux « libéralisme libertaire », syntagme créé par Michel Clouscard, n'est pas un oxymore, mais bien un pléonasme. Il y a une solidarité de l'ensemble des formes du libéralisme. D'où la question qu'il adresse à ses anciens camarades : « Il serait peut-être temps que tous ceux qui tiennent absolument à voir dans la célébration inconditionnelle du "cosmopolitisme" et de la "diversité culturelle" un positionnement révolutionnaire de nature à déstabiliser dangereusement l'appareil d'État s'interrogent sur les motivations obscures qui poussent les partisans déclarés du libéralisme économique à plaider ardemment en faveur d'une dérégulation de l'immigration et d'une libéralisation intégrale du droit de circulation ».

Entre stupéfaction et éclats de rire

L'essayiste décortique la posture anticapitaliste d'une extrême gauche française qui a « bel et bien renoncé à tout objectif de transformation socialiste de la société ». Et qui le cache à peu près aussi bien que le Parti socialiste... C'est dire l'étendue du désastre... Il suffit pour cela d'entendre Olivier Besancenot expliquer que les « révolutionnaires ne se sont jamais battus pour autre chose que pour l'épanouissement personnel ». Après lecture des faits accumulés par l'auteur, on hésite entre stupéfaction et éclats de rire, car il ne reste plus rien de cette famille politique, sinon qu'elle fonctionne aujourd'hui « comme le plus puissant vecteur des valeurs et des codes du capitalisme » auprès d'un certain électorat. Menée d'une main ferme, l'enquête est de celle qui fait tomber bien des masques. Des éclats de rire quand Charles Robin évoque les ateliers conférences qui se tiennent au sein du NPA sur la « signification sociale des pratiques sexuelles liées à l'usage des sextoys », dont il ressort que les animateurs auraient finalement toute leur place comme meilleur VRP du mois dans une multinationale quelconque. De la stupéfaction aussi quand les dirigeants trotskystes troquent l'emblème historique de la faucille et le marteau pour un mégaphone.

« Divorce idéologique »

Qu'on ne se méprenne pas le livre de Charles Robin n'a rien d'un amer et stérile règlement de compte, « avatar particulièrement envahissant de la société du spectacle », prévient-il. Ses exemples sont comme une ponctuation, raison pour laquelle ils sont dévastateurs. Mais surtout, le « divorce idéologique » de Charles Robin d'avec sa « famille politique biologique » n'est absolument pas le résultat d'une opposition soudaine à un « idéal égalitaire et solidaire auquel ce mouvement est traditionnellement associé ». Mais bien, tout au contraire, parce qu'il « adhère fermement au projet d'une société qui aurait fait sienne le mot d'ordre de Karl Marx : "De chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins" (qui si l'on y réfléchit bien, est tout sauf un précepte "de gauche"). » À la suite de Jean-Claude Michéa, mais avec un goût plus affirmé du réel, du témoignage et de l'anecdote qui illustre toujours son propos philosophique, Charles Robin met en exergue l’extraordinaire travail de décomposition épistémologique et de pollution conceptuelle accompli par les idéologues d'extrême gauche ». Pollution qui « a atteint un tel degré de pénétration psychique que la simple évocation de l'idée selon laquelle l'ouverture massive des frontières au flux migratoires répondrait d'abord à une revendication patronale et, par extension, à un projet gouvernemental, est obligatoirement vécue comme une scandaleuse profanation du droit sanctuarisé à la libre circulation des individus ». La décolonisation de l'imaginaire est en marche.

Charles Robin, La gauche du capital, libéralisme culturel et idéologie du Marché, Krisis, 245 p. 18 €

pascal Eysseric éléments N°154 janvier-mars 2015

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