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Le bio, une échappatoire à la crise agricole ? (texte de 2016)

Entretien avec Pierre-Marie Launay, producteur laitier

Pierre-Marie Launay est producteur laitier en Bretagne. Il tient son exploitation à Merdrignac Côtes d'Armor) avec son épouse. Sur leur ferme de 70 hectares, on dénombre 55 vaches laitières. Confronté à la crise agricole, et plus particulièrement à la chute du prix du lait, Pierre-Marie Launay est passé à l’agriculture biologique il y a quelques années, après la crise de 2009 Alors que, dans ce secteur particulièrement, l’agriculture française s'enfonce chaque jour davantage dans la crise, il a bien voulu répondre aux questions de Monde&Vie.

Monde&Vie : Comment se traduit concrètement la crise agricole chez les producteurs laitiers ? Comment expliquer que des Français, qui travaillent d'arrache-pied, au prix de nombreux sacrifices, aient du mal à vivre de leur labeur ?

Pierre-Marie Launay : Il faut tout d'abord rappeler que les produits agricoles et plus particulièrement les produits laitiers sont des produits périssables et qu'il n'y a pas d'achat plaisir comme pour un parfum ou un vêtement. En clair, une variation de 3 % des volumes produits peut entraîner une variation de 70 % du prix payé aux producteurs. Aujourd'hui en Bretagne, une tonne de lait coûte 350 euros à produire, et elle est vendue 270 euros. La conséquence est simple : 400 tonnes de production moyenne annuelle donnent 32 000 euros de perte annuelle. On estime que 20 % des fermes laitières vont arrêter dans l'année et les autres voient leur endettement augmenter. Jusqu'à quand ? La préoccupation actuelle des banquiers est de savoir si l'État va garantir les emprunts agricoles.

Quelle est la responsabilité des politiques mondialistes et libre-échangistes (engagements internationaux de la France, PAC, Union européenne, OMC…) dans cette crise agricole ?

Cette situation de crise est la conséquence DIRECTE des décisions politiques. Les produits laitiers ont intégré l'OMC en 2009, ce qui a eu pour conséquence d'interdire les droits de douane. Par ailleurs, Bruxelles a supprimé les contingentements de volumes en 2015 ce qui mathématiquement a provoqué une augmentation de la production en Europe, alors que la consommation est stable.

Enfin, au niveau français, notre ministre de l'agriculture a déclaré qu'il ne pouvait rien faire face à Bruxelles. La pire des fautes, quand on est au pouvoir, c'est de ne pas pouvoir.

Il était de son devoir de défendre les paysans Français par exemple en faisant du chantage aux aides PAC. Je rappelle que la France verse plus d'argent à l'Europe qu'elle n'en récupère.

L'an dernier, vous expliquiez à nos confrères de Minute qu'en faisant du bio, vous étiez « sorti du système » et que cela vous avait permis d'échapper à la crise. Le bio serait donc une solution efficace pour les agriculteurs ?

Le marché bio est à l'opposé de ce qui a été écrit précédemment. La consommation est supérieure à la production, ce qui tire les prix vers le haut. Par ailleurs la nécessité d'attendre deux ans avant de livrer en bio permet d'anticiper les volumes produits et donc de les faire corréler avec les marchés. Le marché bio est en croissance de 15 à 18 % par an. Mais je précise que cette situation est valable pour la plupart des produits ayant une AOC ou une AOP tels que le Comté ou le Camembert de Normandie. Pas de surproduction, donc pas de chute des cours.

Qu'en est-il de l'efficacité du bio au sein du marché agro-alimentaire ? Les consommateurs pourront-ils vraiment s'y retrouver, dans la mesure où le bio est réputé plus cher, et où les volumes du bio sont bien plus faibles que les produits standards ?

Aujourd'hui le bio, comme tous les produits de qualité reconnue, tire son épingle du jeu, parce que c'est un moyen d'échapper au rouleau compresseur des importations massives. Le consommateur peut donc jouer un rôle en choisissant des produits de qualité, des produits locaux, ayant une identité. En augmentant la consommation cela permet à la filière de se structurer et de proposer des produits à peine plus chers que les produits tout venant. C'est de plus un cercle vertueux qui crée de l'emploi, protège l'environnement et assure la paix sociale. Et puis, réfléchissons, la nourriture indispensable à la vie, représente actuellement 12 % du budget du ménage type. Est-ce déraisonnable de le passer à 14 ou 15% ?

Enfin, il n'y a pas de pays sans paysans. Pour le centenaire de la guerre de 1914-1918, rappelons-nous que ce sont les paysans qui ont arrêté l'ennemi. Mon grand-oncle Victor Launay est mort le 21 février 1916, au bois des Caures. Qui, demain, sera prêt pour ce sacrifice ?

Propos recueillis par Thibault Bertrand monde&vie 16 mars 2016 n°921

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