Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Paradis fiscaux : l'enfer du décor (texte de 2016)

Paradis fiscaux  l'enfer du décor .jpeg

Il est clair que les paradis fiscaux ne sont que la résultante du déchaînement fiscal, s’il est vrai que fiscalement les citoyens vivent un enfer.

Rappelons qu'un paradis fiscal n'est pas forcément un paradis bancaire ni toujours un centre offshore, c'est-à-dire étranger, même si l'inverse est souvent vrai… Certes, parmi les quatre critères retenus par l'OCDE pour définir un paradis fiscal existe le secret bancaire mais il y a aussi et surtout les facilités d'installation, la faiblesse des impôts et le peu d'entrain mis dans la coopération judiciaire mais aussi fiscale. En réalité, la nature du paradis choisi par l'investisseur dépend des motivations qui le poussent à y placer son argent. Ce n'est pas la même chose de dissimuler l'argent de la drogue ou du crime, de ne pas déclarer au fisc ses revenus ou simplement de chercher à payer moins d'impôt. Le premier est très gravement illégal, le deuxième est gravement illégal et le troisième est… parfaitement légal. Contrairement à la présomption de culpabilité instillée par la presse.

Le Ciel est à Londres

Le paradis fiscal est en fait à la finance ce que le football est au chômage : un exutoire. Il est devenu indispensable à la survie du capitalisme, dans la mesure où il répond à la contradiction entre mondialisation et hypertrophie fiscale, fluidifiant en quelque sorte le capitalisme. Si les pays occidentaux ne peuvent qu'augmenter leur fiscalité pour faire face à leurs besoins croissants et à des déficits abyssaux, ils doivent dans le même temps offrir des refuges aux investisseurs. D'où l'existence de paradis fiscaux qui, au demeurant, ne sont pas forcément loin sous les tropiques, le premier d'entre eux étant… la City de Londres qui abriterait 55 % des dépôts offshore. En dehors des micro-États comme Monaco ou le Liechtenstein, on peut d'ailleurs aussi s'interroger sur l'attrait de certains pays européens comme les Pays-Bas qui accueillent le siège social d’Airbus ou Gemalto et hébergent des filiales financières, dites « holding de consolidation », issues de presque toutes les grandes entreprises françaises, y compris celles à capitaux publics comme Renault… Or, si ces compagnies vont faire fructifier ou circuler leur trésorerie chez les Bataves, ce n'est certainement pas par amour de la tulipe. Une fiscalité apaisée et rassurante y est pour quelque chose (un « tax ruling » pouvant même être conclu en arrivant pour garantir la paix avec l'administration pendant plusieurs années). En France, les fameuses « zones franches » permettant l'installation de jeunes entreprises en franchise d'impôt ne sont rien d'autre elles aussi que des paradis fiscaux sous forme d'enclaves territoriales.

On voit donc que le paradis fiscal est le refuge contre l'enfer fiscal, un lieu de respiration pour une économie asphyxiée par les taxes. Les États, et notamment la France, sont placés sous un régime à la fois hypocrite et schizophrénique consistant à vitupérer contre les paradis fiscaux tout en les alimentant, voire en les encourageant à chaque nouvel impôt créé. L'Occident est en fait entré dans un cercle vicieux dont il aura bien du mal à sortir. Sa dette l'oblige à augmenter les impôts, donnant toujours plus de raison d'être aux paradis fiscaux, mais comme cela ne suffit pas, les États vont ensuite rechercher dans ces mêmes territoires l'argent placé par leurs contribuables précisément pour fuir l'impôt. Autrement dit, quel que soit le discours officiel, les États ont aujourd'hui besoin des paradis fiscaux à la fois pour que l'argent circule et en tant que réserves financières où piocher quand les fins de mois sont difficiles. Ainsi, les États-Unis ont obligé quasiment tous les États du monde à signer avec eux des accords bilatéraux dits « FATCA » (Foreign Account Tax Compliance Act) aux termes desquels ceux-ci s'engagent à déclarer (ou dénoncer ?) à l'administration fiscale étatsusiennes tous les avoirs financiers détenus chez eux par des ressortissants américains. Quant à la France, elle budgétise désormais l'argent que lui rapportent les rapatriements fiscaux opérés par le biais du fameux « Service de Traitement des Déclarations Rectificatives » chargé de négocier avec les contribuables les redressements et amendes consécutifs à la non-déclaration de leurs comptes à l’étranger (presque 5 Mds € en 2015).

Présumé coupable…

À force de criminaliser le paradis fiscal, le ministre des finances finit d ailleurs par voir dans chaque contribuable un criminel en puissance puisque son dernier rapport intitulé « Résultats de la lutte contre la fraude fiscale », qui parle tout de même de plus de 21 Mds € en 2015 pour la France, embrasse en réalité l'ensemble des redressements opérés dans l'année, y compris donc les rectifications d'erreur de bonne foi, voire les rectifications qui seront en définitive abandonnées. Face à une telle présomption de culpabilité de tous les contribuables, surtout les plus riches, les paradis fiscaux ont encore de beaux jours devant eux, car finalement, le seul moyen d’échapper à l'impôt, ce n’est pas de faire évader les capitaux mais les citoyens eux-mêmes, l'exil étant sans nul doute la meilleure technique d'optimisation fiscale…

Manuel Calambra monde&vie 27 avril 2016 n°923

Les commentaires sont fermés.