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La Révolution : « Il faut tout détruire puisque tout est à recréer »

Entretien avec Philippe Pichot-Bravard

Philippe Pichot-Bravard est docteur en droit, maître de conférences en histoire du droit. Il a publié La Révolution française (Via Romana, Prix Renaissance des Lettres 2015)

Nous lui avons demandé si l'histoire de France commençait en 1789.

Que dit la Révolution de nos ancêtres les Gaulois ?

L'opposition entre le peuple, qui serait issu des Gaulois, et la noblesse, qui descendrait des Francs est un thème présent au cours de la Révolution. Xavier Martin lui avait consacré une.étude, « L'image du Gaulois dans le miroir du Français révolutionnaire ». Sieyès, notamment, l'exploite dans Qu’est-ce que le Tiers-état ? Mais il ne fait que reprendre - contre la noblesse - une théorie élaborée en sa faveur par Boulainvilliers au début du XVIIIe siècle. Pour le Marquis de Boulainvilliers, la noblesse descendrait des Francs qui ont conquis et soumis la Gaule au Ve siècle, alors que le peuple descendrait des Gaulois, vaincus par les Francs.

Sur ce droit de conquête, devaient se fonder les droits et libertés historiques de la noblesse, lesquels furent, à son grand dam, au fil du temps, amoindris par la monarchie. Boulainvilliers, encore plus aristocrate que libéral, était hostile à la monarchie il rêvait d'une république aristocratique. Cette théorie éthniciste n'a évidemment aucun fondement historique elle est l'une des nombreuses illustrations de cette instrumentalisation de l'Histoire à des fins politiques, dont témoigne de nos jours les distorsions que l'on inflige au « roman national ». Au plan généalogique, peu de familles aristocratiques eussent été capables de prouver des origines chevaleresques antérieures à la guerre de Cent ans, tant le second ordre s'est renouvelé au fil des siècles. La théorie de Boulainvilliers fut contestée d'ailleurs, dès le XVIIIe siècle, par ceux qui soulignèrent, à l'instar de l’abbé Dubos, la dette des institutions franques à l'égard des institutions romaines, thème souvent repris aujourd'hui.

La France est-elle née en 1789 ?

La France n'est pas née en 1789 Elle est née entre le règne de Clovis et celui de Philippe Auguste. Le baptême de Clovis et le sacre de Pépin-le-Bref ont forgé son âme. Le traité de Verdun lui a donné des frontières, que nos rois, à partir du XIVe siècle, ont, peu à peu, repoussées vers l'Est. Philippe II et Saint Louis ont fédéré toute la population autour de la Couronne « fontaine de justice ». La victoire remportée par Philippe II à Bouvines le 27 juillet 1214 fut la première grande victoire nationale. Ce fut l'un des rares moments d'unanimité nationale.

La France doit beaucoup à l’ancienne royauté. Malgré la politique de table rase, malgré les terribles destructions de la Révolution, la royauté nous a laissé un riche héritage territorial, culturel et institutionnel. Songez à l’œuvre patiente des quarante rois qui ont, règne après règne, arrondi le pré carré. Depuis la fin de la monarchie, la France ne s'est agrandie que de Nice et de la Savoie. Songez au rayonnement de la langue française, à ces collections d'oeuvres d'art, de châteaux, d'églises et d'abbayes qui enrichissent notre patrimoine et y attirent chaque année des dizaines de millions de visiteurs. De la royauté, la France a hérité également l'Académie française, l'académie de Marine, celle des sciences ou de médecine, ainsi que certaines de ses écoles militaires. Nos institutions et notre droit ont conservé beaucoup de l'ancienne monarchie le conseil d'État rétabli par Napoléon Bonaparte n'est que la résurrection du conseil d'État de l’ancienne monarchie, notre cour des comptes est l'héritière de la chambre des comptes créée par Philippe V (XIVe s.), le contrôle de constitutionnalité effectué par le Conseil-constitutionnel participe de la même préoccupation que la vérification des lettres patentes du Roi qu’effectuaient les anciens Parlements lors de leur enregistrement, les préfets de nos départements et de nos régions sont les héritiers des intendants établis par Louis XIII et Louis XIV, le préfet de police de Paris est l'héritier du lieutenant général de police institué par Louis XIV lors de la rédaction des codes napoléoniens, de nombreuses dispositions de l'ancien droit ont été conservées, dispositions puisées, notamment, dans les ordonnances de Louis XIV et de Louis XV. Songez, par exemple, au rôle essentiel joué dans notre procédure pénale par le juge d'instruction, héritage de l'ordonnance de Villers-Cotterêts et de l’ordonnance criminelle de 1670. Songez, également, à la législation régissant les eaux et forêts.

La dette de la France contemporaine à l'égard de l'ancienne monarchie est immense et imprescriptible.

Comment la Révolution se situe-t-elle par rapport à cet héritage imprescriptible de la monarchie ?

La Révolution française a eu pour ambition essentielle de régénérer la société et de régénérer l'homme, c'est-à-dire, de donner naissance à une société nouvelle et à un homme nouveau, « le citoyen », auquel J. de Viguerie vient de consacrer une très belle étude. Le mot « régénération » souligne le caractère religieux de cette ambition, caractère dont témoigne, dès la Fête de la Fédération, la volonté d'établir une religion du citoyen, selon la théorie qu'en avait proposé Rousseau dans Le Contrat Social. Pour cette religion civile, la Patrie révolutionnaire est la divinité, dont la Constitution et les droits de l'homme sont l'Évangile. L'idée de l'homme nouveau est bien présente dès 1789 « Chargée défaire le bonheur d'un peuple, […] il fallait renouveler ce peuple même changer les hommes changer les choses, changer les mots [...] Il faut renouveler ce peuple, le rajeunir changer ses formes pour changer ses idées, changer ses lois pour changer ses mœurs, et tout détruire, oui, tout détruire, puisque tout est à recréer », explique, par exemple, le député Rabaut Saint-Étienne, dès le 12 novembre 1789. L'ambition de « changer les hommes » est nourrie par la conception matérialiste et sensationniste de l'homme que portent les penseurs des Lumières et les acteurs de la Révolution. Si l'homme n’est qu'une petite machine réagissant aux sensations qu'il perçoit, si l'homme est façonné par son environnement, alors il devient techniquement concevable de changer cet homme en changeant cet environnement, en manipulant les sensations qu'il perçoit. De cette régénération, la loi est l'instrument privilégié, ce qui suppose que le législateur intervienne dans tous les domaines de la vie sociale, chose proprement inconcevable au temps de la monarchie absolue. La mission régénératrice assignée à la loi a survécu à Brumaire. Elle apparaît ainsi, comme l'a montré Xavier Martin, lors de la rédaction du code civil, entre 1800 et 1804. Outre la loi, les fêtes révolutionnaires sont un outil de toute première importance. À l'occasion de grands rassemblements, il s'agit de mobiliser tous les arts (chant, musique, danse, sculpture, rhétorique afin de faire impression sur chaque citoyen et de le transformer à son insu. De plus, l'instauration d'un nouveau calendrier, en 1793 est explicitement justifiée par Fabre d'Églantine par la volonté de « régénération du peuple français ». On entend « substituer […] au prestige sacerdotal la vérité de la nature ». Dans l’esprit des conventionnels, la déchristianisation du calendrier doit engendrer la déchristianisation des mentalités. Sous le Directoire, le gouvernement se donne beaucoup de mal pour faire respecter ce calendrier révolutionnaire dont pas grand monde ne veut. L’enjeu est d'importance : « Le calendrier républicain [...] est une des institutions les plus propres à faire oublier jusqu’aux dernières traces du régime royal, nobiliaire et sacerdotal » explique un arrêté du 3 avril 1798. Ce calendrier ne sera abandonné qu'en 1806. Enfin, autre outil de régénération ayant conservé toute son actualité l'instruction publique, dont le conventionnel Marie-Joseph Chénier a pu dire, le 5 novembre 1793, qu'elle avait d'abord pour but : « de former des républicains ».

Vous décrivez la juxtaposition de deux France...

La Révolution a voulu donner naissance à une France nouvelle. Cette France nouvelle, révolutionnaire, repose sur des valeurs idéologiques les valeurs énumérées dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Appartenir à cette France consiste à adhérer à ces valeurs, qui sont les clauses du contrat social.

Il y a près de vingt ans, le Professeur de Viguerie, dans un essai magistral intitulé Les Deux Patries, a montré que les révolutionnaires avaient de la patrie une conception complètement différente de celle que nourrissaient les Français de l'Ancienne France. Pour les Français de l’Ancienne France, la patrie, c'est la terre et les morts, mais aussi, ce qu'a oublié Barrès, les berceaux. C'est la communauté de ceux que l'on aime. Pour les révolutionnaires, la « Patrie » se définit par des idées et non par une histoire, un territoire et une population. La patrie n'est plus la terre des pères mais la communauté des citoyens associés entre eux par un contrat. Lui appartenir implique l'adhésion aux valeurs énumérées dans la constitution et non un enracinement dans l'espace et le temps. Pour les révolutionnaires, les termes « patrie », « constitution », « liberté », « pacte social » et « Révolution » sont interchangeables. Servir la Patrie, ce n’est pas servir la France mais servir la Révolution. Ainsi un patriote est nécessairement révolutionnaire un adversaire de la Révolution est, ipso facto, un étranger, un traître en puissance. N'étant pas un citoyen, son humanité se réduit à bien peu de choses elle est même remise en cause ce qui explique l'aggravation des persécutions sanglantes après la déclaration de guerre de l’Assemblée au roi de Bohème et de Hongrie au printemps 1792.

Propos recueillis par Thibault Bertrand monde&vie 12 octobre 2016 n°930

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