Ernst Jünger est un représentant typique de ce courant et l’un de ses plus brillants polémistes. Cet auteur, alors connu pour ses récits sur la Grande Guerre (Orages d’acier, publié à compte d’auteur en 1920[25]) a, dans les années 1920 et jusqu’en 1930, une forte activité politique. Durant cette période il écrit plus de 130 articles dont beaucoup traitent de polémique et de néo-nationalisme, publiés en particulier dans la revue Die Standarte (L’Etendard) qui dépend du Stahlhelm (Le Casque d’Acier), une association conservatrice d’anciens combattants, et dans la revue Widerstand (Résistance), organe de la grande figure du national-bolchevisme allemand Ernst Niekisch, à laquelle il collabore plus ou moins régulièrement.
Ses positions sont à cette époque radicales : il se prononce pour une politique sociale novatrice et pour un esprit révolutionnaire (il s’oppose à la bourgeoisie et au capitalisme) et milite pour une jeune élite intellectuelle, issue des tranchées, tout en défendant une position nationaliste. Jünger est durant cette période, fasciné par le modèle soviétique/marxiste mais il montre une indifférence à l’économie. Cependant, pour cet auteur, selon l’excellente expression de Louis Dupeux, il s’agit d’« utiliser le nationalisme comme un explosif et non d’en faire un absolu ». Après la disparition de Die Standarte en 1926, il participe à plusieurs revues de cette tendance. Puis, à partir de 1930, il s’éloigne du militantisme politique pour se consacrer à la littérature et à l’entomologie.
Proche des théories de Jünger, le courant du national-bolchevisme est une autre tendance intéressante, même s’il est minoritaire, de la Révolution Conservatrice. Le plus connu de ces groupes est animé par l’ex socialiste Ernst Niekisch[26]. Après la Première Guerre, Niekisch découvre dans la révolution bolchevique de 1917 une forme russe du « prussianisme » et c’est ainsi qu’il déboucha, en novembre 1931, sur le « national-bolchevisme », une forme ultra-nationaliste du socialisme plongeant simultanément dans l’extrémisme völkisch et dans le pessimisme culturel le plus noir, rejetant toutes dimensions occidentales de la société allemande : libéralisme et démocratie, capitalisme et marxisme, bourgeoisie et prolétariat, mais aussi bien christianisme et humanisme.
D’ailleurs, les groupuscules nationaux-bolchevistes, se déclarèrent prêts à marcher avec les communistes et la Russie soviétique, afin de liquider l’ordre « occidental » et le traité de Versailles en se servant du communisme comme d’un bélier, étant bien entendu que les valeurs d’autorité et de nationalité l’emporteront un jour sur le marxisme, en Russie comme en Allemagne. La plupart des nationaux-bolchevistes des années trente, stimulés par un nationalisme radical, s’efforcent de concrétiser et renforcer leur position, en combinant les deux totalitarismes modernes : le totalitarisme politique « découvert » par Jünger et quelques autres et le totalitarisme économique de la Russie du Plan. Le national-bolchevisme peut donc être considéré comme un totalitarisme achevé, ou comme une sorte de paroxysme de la version la plus « moderne » de la Révolution conservatrice. Tout en se convertissant à l’irrationalisme, Niekisch portait à l’absolu les grandes valeurs de l’extrême droite du temps : la Nation, l’Etat et le Peuple.
Dernière grande tendance de la Révolution Conservatrice, la plus éclectique et la plus ancienne, les völkischer. Le courant völkisch[27] est une forme du néo-paganisme germanique apparu à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, héritée des « Teutomanes ». Le courant völkisch est[28] une forme du néo-paganisme allemand de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Il existe, en tant que tel, depuis le début du XIXe siècle en Allemagne mais est né en Autriche. Les origines de ce courant de pensée plongent dans différentes genèses selon Christophe Boutin: « […] ce courant occultiste puisait à diverses sources : au fonds romantique et à son goût pour le secret d’une part ; à la doctrine de la franc-maçonnerie ensuite, qui avait toujours considéré comme prioritaire la lutte contre le christianisme et cherchait donc à revenir à une spiritualité “païenne” ; à l’enseignement enfin de la Société Théosophique, avec ses “Supérieurs Inconnus”, Steiner tentant pour sa part avec sa Société Anthroposophique de donner à cette dernière un “caractère germain” tout en excluant le racisme doctrinal »[29].
Il est important par le nombre de groupuscules mais peu en nombre d’adhérents. Foncièrement raciste, ce courant est lié au romantisme né au XVIIIe siècle en réaction aux Lumières et au rationalisme. Par la suite, les apports de la biologie et du darwinisme allaient lui faire substituer peu à peu, au moins à les confondre, les notions de « Peuple » et de « Race », et établir une hiérarchie entre ces dernières, l’« Aryen » (ou le « Germain ») étant placé au sommet de la race blanche. L’influence d’auteurs comme Gobineau (1816-1882), Vacher de Lapouge (1854-1936), Houston Stewart Chamberlain (1855-1927) ou Ludwig Woltmann, fut important. D’ailleurs, ce courant rencontrera le courant antisémite et leurs doctrines finiront par se fondre au cours du dernier tiers du XIXe siècle. Il n’est donc pas étonnant que les völkischer, par réaction nostalgique, ravivent le contre-modèle d’une communauté agraire allemande idéalisée, le mythe d’une nation originelle solidaire, d’une démocratie primitive librement soumise à des élites naturelles. Par conséquent, ils prennent la défense des populations menacées par l’évolution de la société : populations rurales, petits commerçants, artisans et petites noblesses contre la bourgeoisie libérale.
La reconstitution d’un passé germanique largement mythique éloigne les völkischer des religions monothéistes pour tenter de recréer une religion païenne, aryenne, purement allemande. D’ailleurs la notion de peuple est alors interprétée le plus souvent non pas comme une catégorie sociologique mais comme une entité quasi mythique, originelle, éternelle à l’instar de «la Nature»[30]. Elle consiste souvent en un culte solaire, qui va généralement de pair avec toutes sortes de manifestations d’occultisme « aryen » ou, du moins, avec la symbolique aryenne (calendrier völkisch, runes germaniques…). Cette « religiosité » est pratiquée très sérieusement dans la variété proprement «germanique» du courant nudiste, la nudité accroissant l’harmonie avec la nature. Ce nudisme nordique à connotation religieuse est pratiqué en particulier dans les communautés agraires qui se développent après 1918. Cependant, certains partisans de cette tendance, refusant le paganisme, vont élaborer une vision, raciste, darwiniste et fortement imprégnée de manichéisme et de gnosticisme du christianisme développant l’idée que le Christ est aryen.
Les milieux artistiques, furent largement présents parmi les völkischer : le peintre reconnu et professeur d’université, Ludwig Fahrenkrog (1867-1952), ce peintre était connu alors pour avoir osé représenter dans une de ses œuvres un Christ imberbe, et/ou Hugo Höppener (1868-1948), connu sous le nom de Fidus, qui fit partie des « Monte Veritaner ». et qui fut aussi l’un des promoteurs du nudisme et du végétarisme. Fidus est avant tout connu pour ses tableaux et ses gravures représentant une humanité « régénérée », des corps nus et sveltes s’offrant aux caresses du soleil, des éphèbes saluant l’aube, le tout souvent entouré de runes.
À suivre