Ce texte de Nicolas Lebourg a été publié début 2009 sur Fragments sur les Temps Présents, pour cause d’actualité nous le republions.
Le nationalisme-révolutionnaire se veut l’un des phénomènes politiques les plus originaux de ces dernières décennies. Il équivaudrait à un néo-fascisme qui serait un fascisme de « gauche », économiquement socialiste, globalement pro-soviétique durant la Guerre froide, souvent philo-maoïste. Cela a mené à la production d’autres désignations, toutes basées sur l’attirance de l’oxymoron provocateur : « gauchistes de droite », « nationaux-communistes », « fascistes de gauche », « nazi-maoïstes », « rouges-bruns », entre autres. Il est en tous cas certain que le nationalisme-révolutionnaire se construit via une propagande sur le thème du fascisme de gauche et une stratégie qui se veut un léninisme de droite. L’histoire du nationalisme-révolutionnaire reste cependant indubitablement liée à l’humiliation de l’échec de l’Algérie française qui oblige les néo-fascistes à chercher une nouvelle voie tant en leurs pratiques qu’en leur idéologie.
Oscillations
Deux courants naissent de cet effort, la Nouvelle Droite et le nationalisme-révolutionnaire. Ils proviennent d’une matrice commune : Pour une Critique positive, publiée par Dominique Venner en juillet 1962. Parmi les idées qui découlent de cet opuscule, largement inspiré du Que faire ? de Lénine, se trouvent tout à la fois la nécessaire alliance internationale des nationalistes et l’abandon du nationalisme français au bénéfice d’un nationalisme européen.
Il instaure la division de l’extrême droite en deux camps : d’une part les « nationaux », « conservateurs », de l’autre les « nationalistes », « révolutionnaires ». La querelle entre les nationalistes et les nationaux, c’est en fait un peu l’éternelle polémique entre les dissidents fascistes de l’Action Française et Maurras, entre les collaborationnistes et Vichy. Le distinguo existait en Allemagne dès 1928.
Idéologiquement, les nationalistes-révolutionnaires (dits NR) ont pour autre événement fondateur la réunion à Venise le quatre mars 1962 de l’essentiel des forces néo-fascistes ouest-européennes. Elles s’y engagent à fonder un parti nationaliste européen intégré travaillant à l’édification d’une Europe unitaire, tout à la fois troisième force et troisième voie entre l’URSS et le communisme et les USA et le capitalisme. La première mise en forme de ce discours est le fait d’anciens d’Europe-Action, la revue fondée par Dominique Venner et Alain de Benoist. Au nom du « socialisme-européen », ils tentent d’opérer la jonction avec la gauche et la mouvance régionaliste, en fondant toute une nébuleuse de bulletins officiellement autonomes.
Cette « oscillation idéologique » a été rendue possible par l’adoption de la représentation de l’espace politique par l’image du « fer à cheval » où les extrêmes se rapprochent (popularisée en france par Jean-Pierre Faye en 1972). Cette idée typique de la Révolution Conservatrice allemande de l’entre-deux-guerres témoigne du rôle de l’appropriation de cette mouvance, également assimilée grâce aux échanges avec la jeunesse de l’extrême droite allemande. Son acculturation achève le processus de mise en place d’un courant NR en France. Naissant les uns des autres, les principaux groupes qui se désignent ensuite comme « NR » sont : l’Organisation Lutte du Peuple (1972), les Groupes Nationalistes-Révolutionnaires de base (1976), le Mouvement Nationaliste Révolutionnaire (1979), Troisième Voie (1985), Nouvelle Résistance (1991), et Unité Radicale (1998).Les mouvances dites « socialiste-européenne », « solidariste », « nazi-maoïste » et « national-bolchevique » sont dénuées d’autonomie et sont à intégrer à l’histoire du nationalisme-révolutionnaire.
Néanmoins, l’intérêt pour les gauchismes n’a jamais été jusqu’à l’imprégnation idéologique. La convergence droite/gauche touche en fait des aspects d’auto-représentation et des choix (économiques, de soutien à tel ou tel belligérant dans un conflit, de mode d’appréhension des modalités techniques de l’action partisane, etc.), non la culture politique. La vision du monde des NR est fasciste et le fascisme est d’extrême droite. Pour les NR, l’expérience fasciste fut un échec empirique critiquable mais se situant dans des conditions spatiales et temporelles spécifiques. Le contexte géopolitique ayant changé, ils promeuvent un néo-fascisme qui se veut un mouvement de libération nationale en lutte contre les pouvoirs colonisant l’Europe. Ils ont ainsi usé d’un binôme URSS-USA, puis après 1967 USA-Israël, et, suite à la Guerre du Kosovo, USA-Islam, afin d’en faire la figure de l’ennemi « colonialiste ». S’opposer à celui-ci serait donc œuvrer pour « un programme de libération nationale et sociale du peuple » européen, selon une formule du Parti Communiste Allemand (1930) qu’ils ne cessent de citer.
Orientations
La « troisième voie » NR, politique, économique, géopolitique, serait en fait l’équivalent européen des régimes populistes du Tiers-monde (en particulier le péronisme, le nasserisme, le baasisme et la Jamahiriya libyenne). Les NR mettent en avant une continuité entre les notions d’ethnie, de peuple, de nation, de construction européenne, de socialisme et d’Etat. Leur antisémitisme n’est pas d’ordre biologique ou religieux mais conspirationniste et politique. Le juif est conçu tel l’agent du cosmopolitisme, qui empêche l’édification du socialisme national, et du sionisme, qui vise à régenter le monde avec l’appui des USA via le processus de mondialisation.
En définitive, le nationalisme-révolutionnaire puise autant dans les idées des fascismes que dans la Révolution Conservatrice allemande, dans les nationalismes du Tiers-monde que dans les propagandes soviétiques et gauchistes. Multipliant les groupuscules, il participe activement à la production des structures et discours nationaux-populistes mais s’affirme simultanément en opposition totale au système politique – ainsi de François Duprat, cheville ouvrière et stratège du Front National, mais qui recycle en France la propagande jusqu’au-boutiste du national-bolchevisme allemand. Ayant placé l’unité européenne en horizon d’attente, envisageant une révolution politique planétaire, les NR oeuvrent à une action et une idéologie internationales capables de réaliser leurs objectifs. Ils entreprennent dès lors des tactiques différentes au sein des nombreux champs politiques nationaux et internationaux auxquels ils participent.
À suivre