Il s’en est fallu de peu, en 1871, pour que le Louvre, incendié par les communards, ne soit détruit avec ses collections.
Le 21 mai 1871, l’armée pénètre dans Paris par la Porte de Saint-Cloud. Le sang va couler.
Depuis le 18 mars, la Commune, un pouvoir insurrectionnel né du double refus du gouvernement conservateur institué après la chute de Napoléon III et de la paix conclue avec les Prussiens, faisait régner sur la capitale une dictature révolutionnaire nourrie par le souvenir des Grands Ancêtres et baignée de romantisme. Thiers, chef du pouvoir exécutif, va liquider la Commune avec une brutalité rare : du 21 au 28 mai, la Semaine sanglante, une guerre civile qui ne dit pas son nom, fera environ 5 000 morts dans les deux camps (1 000 soldats, 4 000 insurgés), chiffre auquel il faudra ajouter les 17 000 victimes de la répression postérieure.
Que Thiers ait eu la main lourde est une certitude aujourd’hui admise par tous. Mais que la Commune ait été un moment de folie est un constat auquel bien peu semblent prêts, tant cet épisode fait partie de la légende dorée de la gauche française. Historien et spécialiste du second Empire, Nicolas Chaudun, lui, n’a pas de ces pudeurs. Selon lui, la Commune, « trou noir » et « stade ultime d’une nécrose virulente du corps social », fut « le chapitre dont le grand roman français aurait dû faire l’économie ». L’auteur porte ce jugement dans l’avant-propos d’un livre où il relate une page méconnue de cette tragique Semaine sanglante. Les communards, pendant l’assaut des versaillais, ont incendié, à grands seaux de pétrole, les Tuileries, le palais d’Orsay, l’Hôtel de Ville, le Palais de justice ou les Gobelins. On sait moins que le Louvre a failli y passer, le brasier allumé rue de Rivoli ayant gagné l’aile ouest du palais, du pavillon de Marsan au pavillon de Flore, et la Bibliothèque impériale, qui faisait face au Palais-Royal. Quatre-vingt mille livres seront consumés, mais le musée sera sauvé grâce à son conservateur, Barbet de Jouy, et à un commandant de chasseurs, Bernardy de Sigoyer, qui allait jouer les pompiers avec ses hommes. Chaudun rend hommage à ces héros obscurs, dans un récit superbement écrit et trépidant comme un roman, où tout est authentique, à l’exception d’un personnage que l’auteur confesse avoir inventé. Un bonheur de lecture, et une charge roborative contre le mythe de la Commune.
Jean Sévillia
Le Brasier. Le Louvre incendié par la Commune, de Nicolas Chaudun, Actes Sud, 204 p., 19,80 €.