Le pays s’effondre ? Amusons-nous ! Allons faire une galipette dans les jardins de l’Elysée en compagnie du chef de l’Etat ; écoutons-le s’exclamer, apparemment surpris : « Putain, ils sont là ! », en découvrant au détour d’un bosquet le groupe « heavy metal » nantais, Ultra Vomit. Ces scènes font partie du « coup de com’ » d’Emmanuel Macron, diffusé dimanche sur YouTube avec la complicité des « influenceurs » humoristiques McFly et Carlito, qui comptent plus de 6 millions d’abonnés.
La vidéo, tournée au cœur de la présidence et construite sur un « concours d’anecdotes », a été vue par plus de 7 millions de personnes en 24 heures. Dans son dernier essai, l’ancien maire socialiste de Sarcelles, François Pupponi, écrit (1) : « La France est au bord du chaos. Elle est en miettes. Fracassée. Eparpillée. « Façon puzzle », dirait-on avec Michel Audiard, s’il y avait encore une infime possibilité d’en rire. Ce n’est plus le cas ». Mais si, rions ! A L’Elysée, rien n’est grave. En tout cas, tout est permis pour tenter d’attirer l’électorat incertain des 18-24 ans, tandis que celui des 25-34 ans glisse pour partie vers le RN. Jamais l’infantilisation de la politique macronienne n’avait été si loin dans sa caricature. Jamais la propagande n’avait été autant assumée. Relire l’Ecclésiaste : « Malheur au pays dont le roi est un enfant ».
Tout à son obsession de « transformer » le pays en le déconstruisant, le président s’en prend à sa propre fonction, qu’il avait dit vouloir rehausser après l’épisode François Hollande. Le marketing en politique n’est assurément pas une nouveauté, et moins encore la politique-spectacle. Mais un stade supplémentaire a été franchi, hier, dans le degré zéro de la réflexion. Car c’est un vide qui est proposé à l’électorat le plus jeune, représenté par ce duo en baskets, portant T-shirts et bonnet sur la tête pour l’un. Le footballeur Kilian MBappé a également été enrôlé un instant par le chef de l’Etat dans cette opération de dépolitisation.
La flatterie révèle d’ailleurs le mépris dans lequel est tenue cette jeunesse manipulable par la culture manga et la rigolade. Dans cet épisode burlesque, le divertissement est l’unique message. « Il n’y a pas de hiérarchie », dit l’un des youtubeurs à l’adresse du président, qualifié de « directeur de la Gaule ». L’un d’eux lui confie sa consommation de cannabis : « J’avais un oinj au bec, de la pure weed ». En gage, Macron a promis de mettre la photo des deux compères en vue, lors de l’un de ses prochains grands discours; pourquoi pas celui du 14 juillet. Pour sa part, le rappeur Youssoupha, qui appelle au meurtre d’Eric Zemmour et au viol de Marine Le Pen, a été choisi par la Fédération française de football pour représenter l’hymne national des Bleus. L’Elysée, en campagne présidentielle, a donné son feu vert à l’indécence et au racolage.
(1) Lettre à mes compatriotes musulmans, Editions du Cerf
Ivan Rioufol
Texte daté du 24 mai 2021 et repris du blog d’Ivan Rioufol