Si l’on pouvait résumer en quelques lignes ce que nous sommes devenus…
C’est le magasine GQ qui s’en est fait l’écho, évoquant « une idée absurde qui est en train d’accoucher d’un conflit encore plus absurde ». De fait…. On se souvient de la polémique Salvatore Garau, du nom de l’auteur de la sculpture qui avait cette toute petite caractéristique… de ne pas exister. Le 18 mai dernier, elle a été vendue pour 15.000 euros : « Un certificat d’authenticité a été délivré à l’acheteur. Les conditions de son installation sont les suivantes : l’œuvre doit être installée au centre d’une pièce vide dans une maison indépendante et doit être délimitée par un bandeau collé sur le sol. Cette sculpture invisible mesure 150 centimètres de diamètre. »
Mais ce n’est pas fini, ma petite dame.
« Un artiste du nom de Tom Miller menace aujourd’hui de poursuivre en Justice l’artiste italien pour lui avoir volé son idée d’une œuvre inexistante. L’Américain explique qu’il a présenté en 2016 une sculpture invisible intitulée Nothing (« Rien ») dans la ville de Gainesville, en Floride. Tom Miller aurait tenté de rentrer en contact avec Salvatore Garau pour demander à être crédité – sans succès. L’avocat de Tom Miller, Richard Fabiani, a fait parvenir une lettre au plasticien italien afin de régler ce différend à l’amiable. »
Mais avant Nothing, déjà, existaient – ou plutôt n’existaient pas – que dalle, nada, peau de zeb, n’est-ce pas ? (Non) peints à quatre mains par Raymond Devos et Alice au pays des merveilles.
C’est un procès sans fin de poupées russes qui se prépare, et un débouché formidable pour l’art contemporain. Ni matières premières, ni stock, ni sueur, ni charges sociales. Les maires des territoires, si soucieux de ne pas passer pour des philistins bouseux au front bas, trépigneront pour avoir leur non-œuvre d’art. Ne dites pas que cela coûtera cher au contribuable pour « rien » : l’absence de pollution visuelle, la disparition des amoncellements hétéroclites sur les ronds-points de sous-préfecture remplacés par un néant jugé plus artistique et plus contemporain qu’eux a un prix. C’est mieux que rien, a-t-on coutume de dire. Mais parfois, rien, c’est mieux. S’il faut payer pour ça, pourquoi pas ?
Un jour, bien sûr, tout cela s’effondrera comme un château de cartes, un jeu de Mikado ou, tiens, le mur de Berlin. Pffft, zou… d’un coup ! Ce divorce fracassant entre « le progrès » et le réel explosera, comme une évidence. Tel l’enfant du conte d’Andersen, l’Occident se réveillera et criera avec effroi, ébahi de ne pas l’avoir pas vu jusqu’ici, que le roi est nu. Dans tous les domaines. Non, rien n’est pas une œuvre d’art. Non, un homme n’est pas une femme, même s’il le dit très fort. Non, deux femmes, pas plus que deux hommes, ne peuvent enfanter. Non, l’immigration n’est pas « plutôt stable », et ce ne sont pas vos lunettes qui vous trahissent mais les politiques, si vous constatez que votre quartier a bien changé. Non, le voile islamique n’a pas la même signification qu’un chapeau à plumes ou un béret basque. Non, le drapeau algérien et les youyous devant les mairies ne sont pas des valses de Vienne. Non, l’offrande d’un bouquet de fleurs n’est pas une agression… On pourrait continuer à l’infini.
Oui, un jour, bien sûr. La question est de savoir quand.
Gabrielle Cluzel
Tribune reprise de Boulevard Voltaire