Le « scoop » de Paris Match et BFM-TV n’en était pas un. N’en déplaise à Nicolas Sarkozy, qui s’était aussitôt réjoui qu’éclate enfin la vérité sur l’affaire du financement libyen supposé de sa campagne présidentielle en 2007. Dans l’article paru le 21 novembre 2020 dans l’hebdomadaire et la courte vidéo diffusée par la chaîne d’information, l’intermédiaire Ziad Takieddine revenait sur ses accusations de corruption contre l’ancien chef de l’Etat. Cette rétractation prend désormais les contours d’une manœuvre visant à faire témoigner l’affairiste franco-libanais en ce sens. Une « subornation de témoin », selon les termes de l’enquête pénale en cours, qui a déjà valu à cinq personnes d’être mises en examen, dont la sulfureuse Michèle Marchand, figure de la presse people et amie intime des Macron, et Noël Dubus, un homme déjà condamné pour escroquerie…( Ne manquez surtout pas de relire ceci : https://conseildansesperanceduroi.wordpress.com/2018/10/21/chronique-dune-imposture-annoncee-dis-moi-qui-sont-tes-amis-et-je-dirai-qui-tu-es-suite/ ).
Depuis les révélations de Libération et de Mediapart, sur le rôle trouble joué dans cette affaire par Noël Dubus et Michèle Marchand (dite « Mimi »), dirigeante de l’agence photographique Bestimage et proche des couples Macron et Sarkozy, l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) tente de préciser les circonstances et l’ampleur de la manipulation. Avec en filigrane, une question centrale : Nicolas Sarkozy était-il au courant ?
C’est en tout cas ce qu’a assuré Noël Dubus lors de son audition, début juin, devant les juges d’instruction Vincent Lemonier et Noémie Nathan. Il a raconté avoir rencontré l’ancien président de la République à trois ou quatre reprises à son domicile parisien, notamment en décembre 2020, à chaque fois en compagnie de Michèle Marchand. Il aurait alors été question de l’entretien avec Ziad Takieddine et de la confirmation à venir de ses propos devant un notaire.
Nicolas Sarkozy se serait montré aussi enthousiaste qu’impatient. Une version démentie avec force par Mimi Marchand lors de sa garde à vue. « Je n’ai jamais parlé de Noël à qui que ce soit », a-t-elle dit, jurant n’avoir jamais amené personne, pas même son mari, chez Nicolas Sarkozy. Elle n’a toutefois pas fait mystère de ses motivations ni de son parti pris, affirmant qu’elle voulait « tuer Mediapart », à l’origine des révélations sur l’affaire libyenne.
Noël Dubus assure que c’est « Mimi » qui lui a demandé, en septembre 2020, d’organiser l’entretien litigieux. Devant les enquêteurs, il a indiqué avoir versé plusieurs milliers d’euros à Takieddine et un de ses proches, concomitamment au changement de version de ce dernier. Par ailleurs, la photographie d’une dédicace du livre Le Temps des tempêtes signée par son auteur, Nicolas Sarkozy, a été retrouvée en pièce jointe d’un mail adressé par M. Dubus à une correspondante inconnue. Il y est écrit : « Pour Noël, merci pour tout, votre ami ». Des investigations sont actuellement en cours pour déterminer si ce document est authentique.
Contrairement à ce qu’elle avait d’abord affirmé, assurant n’avoir joué aucun rôle dans l’organisation de l’interview de Ziad Takieddine à Paris Match, Mimi Marchand apparaît finalement avoir eu une place centrale. Les derniers éléments de l’enquête ont tout d’abord confirmé sa présence au Liban lors de sa réalisation, ce qu’elle avait nié au départ. Plusieurs écoutes réalisées sur son téléphone permettent en outre de l’entendre dire qu’elle aide Nicolas Sarkozy, notamment pour lisser ses relations avec l’actuel président de la République, Emmanuel Macron. Elle n’a pas démenti non plus que M. Sarkozy lui ait promis de lui trouver du travail dans le groupe Accor, au sein duquel il siège au conseil d’administration…
Ces gens-là sont tous pourris.
Les enquêteurs ont aussi retrouvé dans son téléphone la copie d’un document, baptisé « sommation interpellative », comportant une vingtaine de questions auxquelles répondra plus tard Ziad Takieddine devant un notaire au Liban et dans lequel il confirmera les propos tenus à Paris Match où il dédouane l’ancien chef de l’Etat. Le document devait ensuite être envoyé au Parquet national financier. Pour quelle raison disposait-elle de ce document ? Par qui a-t-il été rédigé ? Qui d’autres dans l’entourage de Nicolas Sarkozy en a été destinataire ? Mystère. Toujours est-il qu’une fois encore, Paris Match était aux premières loges pour rendre compte de cette deuxième étape du revirement de Takieddine, comme en témoigne un article du 23 décembre 2020.
Ces publications successives, puis la révélation des coulisses de l’entretien mené avec Ziad Takieddine ont provoqué un émoi important au sein de la rédaction de Paris Match qui, dans un courrier, a demandé des comptes à son directeur, Hervé Gattegno, par ailleurs directeur de la rédaction du Journal du dimanche. Deux titres détenus par le groupe Lagardère, où Nicolas Sarkozy siège au conseil de surveillance, et possiblement bientôt au conseil d’administration.
« Ces faits (…), s’ils étaient démontrés, porteraient atteinte à la crédibilité de notre titre et de la rédaction dans son ensemble », s’émeut la lettre, en date du 18 juin, se désolant que la « direction [n’ait] pas jugé bon de s’expliquer sur cet épisode ». « Paris Match n’a commis aucun délit, soudoyé ni manipulé personne, participé à aucune manœuvre contraire à l’éthique », avait expliqué M. Gattegno, dans un éditorial du 9 juin, en pointant « les errements d’une justice déboussolée ».
Le 11 juin, un juge des libertés et de la détention a donné son feu vert à l’exploitation du matériel informatique et téléphonique de l’auteur de l’interview, François de Labarre, assurant que cela ne portait pas atteinte au secret des sources des journalistes. Plusieurs messages, désormais versés à la procédure, posent des questions sur le rôle de Bestimage (et donc sa directrice, Mimi Marchand) et la connaissance qu’en avait la direction de l’hebdomadaire.
Le rédacteur en chef photo de Paris Match, Guillaume Clavières, expliquait par exemple dans un SMS du 12 novembre 2020 qu’il ne fallait pas « évoquer l’agence Bestimage ». « Il fallait créditer [en légende photo de l’article du 21 novembre 2020] le photographe Valiela », assure-t-on dans son entourage évoquant une question de droit d’auteur. Dans un autre échange postérieur avec François de Labarre, Hervé Gattegno affirmait pour sa part ne pas vouloir « éclairer les coulisses ». Et le journaliste de lui répondre : « Ça sent la subornation de témoin. » « Le ton était ironique. Je faisais référence dans ce message de mars 2021 à l’annonce par Le Point [le 10 décembre 2020] d’une enquête pour subornation de témoin, finalement démentie par le Parquet national financier »,précise l’auteur du reportage sur Ziad Takieddine.
« Mon échange avec François de Labarre n’a pas du tout le sens que Mediapart lui prête. Je ne réponds jamais, par principe, aux questions relatives au making of de nos enquêtes », déclare pour sa part Hervé Gattegno, qui réaffirme n’avoir « commis aucune infraction ».
Et s’il s’agissait plutôt d’une association de malfaiteurs du genre « LES COPAINS ET LES COQUINS » ?
Le 2 juillet 2021.
Pour le CER, Jean-Yves Pons, CJA.