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Brexit : la bombe à retardement du protocole nord-irlandais.

Le premier ministre britannique, Boris Johnson, a choisi la veille de la trêve du Parlement britannique – et le jour de la fête nationale belge – pour signifier à Bruxelles, mercredi 21 juillet, qu’il souhaitait renégocier dans son ensemble le très sensible protocole nord-irlandais. Ultime joute avant la pause estivale, geste politique à l’égard d’une communauté loyaliste en difficulté, ou réel souci d’améliorer un texte jugé inadéquat ? « Nous n’accepterons pas une renégociation du protocole », a aussitôt répondu Maros Sefcovic, le vice-président de la Commission européenne, préférant ne pas jouer immédiatement la surenchère.

Le protocole nord-irlandais constitue une partie cruciale du traité du divorce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE). Entré en vigueur début 2021, il régit le statut dual de l’Irlande du Nord, la province faisant toujours partie du Royaume-Uni, mais restant dans le marché intérieur de l’UE pour les marchandises. Le but était d’éviter le retour d’une frontière terrestre avec la République d’Irlande et de ne pas mettre en péril le traité du Vendredi saint (Good Friday Agreement), ayant mis fin aux « Troubles » en 1998.

Le protocole avait été validé à contrecoeur par le gouvernement Johnson fin 2019. Mais, depuis le début de l’année, Londres rechigne à appliquer le texte et à procéder aux contrôles douaniers nécessaires pour les biens transitant de Grande-Bretagne vers l’Irlande du Nord.

Face à l’insistance britannique, Bruxelles a fait quelques concessions, acceptant en particulier de prolonger jusqu’à fin septembre la mise en place de contrôles douaniers sur la viande préparée et émincée. Pas suffisant pour Boris Johnson qui, dans un rapport publié mercredi, affirme qu’« il est aujourd’hui clair que nous ne pouvons pas appliquer ces dispositions [douanières] d’une manière durable, en tout cas pas de la manière inflexible que souhaite l’UE ». Le premier ministre va jusqu’à menacer d’activer l’article 16 du protocole, permettant sa suspension unilatérale, si Bruxelles n’accepte pas de réécrire le texte… Les choses sont claires !

S’exprimant à la Chambre des communes, David Frost, ex-négociateur en chef du Brexit, a ajouté refuser d’aller « de période de grâce en période de grâce » et réclamé une « pause » dans l’application du protocole, pour laisser du temps à une renégociation. Londres réclame que les contrôles douaniers ne soient exercés que sur les produits transitant par l’Irlande du Nord à destination de la République d’Irlande. Et refuse surtout que la Cour de justice de l’UE ait encore son mot à dire dans la gouvernance du protocole.

A en croire le gouvernement britannique, le texte provoquerait de graves perturbations en Irlande du Nord. Mercredi, les médias nationaux citaient Archie Norman, président de la chaîne de grands magasins Marks & Spencer (et ex-député conservateur), qui assurait que la situation deviendrait « incendiaire » si le protocole était maintenu en l’état, avec des risques de « rayonnages vides »les contraintes pour exporter de Grande-Bretagne vers les ports nord-irlandais étant supposées trop lourdes.

Sur le terrain, le protocole est très critiqué par la communauté loyaliste, fidèle au lien avec le Royaume-Uni, qui s’est senti trahie par le gouvernement Johnson – il avait promis qu’il n’y aurait « jamais de frontière douanière » en mer d’Irlande. Mais l’accord constitue surtout le symbole d’un lien distendu entre Londres et Belfast.

Mercredi, la Commission européenne préférait temporiser. « Nous sommes prêts à chercher des solutions créatives, dans le cadre du protocole et dans l’intérêt de toutes les communautés en Irlande du nord », a fait savoir Maros Sefcovic, tout en rejetant la renégociation du texte. « La situation en Irlande du Nord est compliquée. L’UE ne peut pas se comporter comme un éléphant dans un magasin de porcelaine », explique un diplomate. « L’UE a su se montrer flexible », poursuit Maros Sefcovic.

Outre la prolongation jusqu’à fin septembre de la période de grâce sur l’exportation des viandes préparées et émincées, l’UE a annoncé qu’elle changerait sa législation pour que les médicaments puissent transiter facilement en mer d’Irlande. Bruxelles a aussi fait des concessions pour les déplacements des chiens d’aveugle et accepté d’exonérer les conducteurs britanniques d’une assurance automobile dès lors qu’ils entrent dans l’UE.

Méfiante envers la volonté des Britanniques de respecter leurs engagements, l’UE n’a pas interrompu pour autant les procédures qu’elle avait lancées contre le Royaume-Uni, quand Boris Johnson avait annoncé, unilatéralement, repousser l’application du protocole nord-irlandais. Le 15 mars, elle avait lancé une procédure d’infraction contre Londres, qui avait décidé de décaler du 1er avril à octobre la mise en place des contrôles sanitaires et phytosanitaires entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord pour les supermarchés. Cette procédure peut aller jusqu’à un recours devant la Cour de justice de l’UE. Ce dont se soucie comme d’une guigne Boris Johnson !

« Pour l’instant, Londres n’a fait que des déclarations. Nous allons analyser ce qu’a dit M. Frost et voir ce qu’il se passe cet été. Ensuite, il sera temps de prendre des décisions », décrypte un diplomate. En plus d’enclencher la phase deux de la procédure d’infraction, la Commission peut aussi lancer formellement la procédure pour le règlement des différends commerciaux, qui peut se conclure par des mesures de rétorsions commerciales.

Les discussions entre Londres et Bruxelles vont donc se poursuivre. Jeudi, à l’occasion d’une réunion des ambassadeurs des Etats membres auprès de l’UE, les Vingt-Sept devaient aborder le sujet. A terme, si cela continue, « il faudra répondre durement aux provocations britanniques. C’est aussi une question de crédibilité de l’UE : si le Royaume-Uni ne respecte pas les traités qu’il a signés avec l’UE et que celle-ci ne répond pas, tout le monde se sentira autorisé à faire de même », juge un diplomate de façon péremptoire.

Mais en réalité, n’en doutez pas, les Britanniques arriveront, d’une manière ou d’une autre, à leurs fins.

Alors, quand la France se décidera-t-elle à larguer les amarres ?

Le 23 juillet 2021.

Pour le CER, Jean-Yves Pons, CJA.

https://conseildansesperanceduroi.wordpress.com/

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