Friche industrielle de Revin
« Paroles, paroles, paroles, paroles, paroles
Encore des paroles que tu sèmes au vent »
(Dalida)
« Le sanglier des Ardennes, notre emblème, est courageux et tenace, mais il ne se fait pas avoir aussi facilement que ça. Les Ardennais n’aiment pas qu’on se moque d’eux. » Comme d’autres citoyens et acteurs locaux de la vallée de la Meuse, le député (LR) des Ardennes Pierre Cordier est remonté. Tous se rassemblaient ce mardi 3 août, en fin de matinée, pour demander des comptes : alors qu’il devait injecter plus de 5 millions d’euros pour aider à redynamiser ce territoire, l’Etat a décidé de se retirer du projet de relocalisation et d’implantation des cycles Mercier à Revin (Ardennes).
L’occasion semblait pourtant belle pour cette ville de 6 000 habitants, au taux de chômage élevé (26 %), qui abritait autrefois les usines de machines à laver Arthur Martin, avant d’être marquée par la crise industrielle. Jusqu’à 270 emplois « 100 % locaux » devaient normalement voir le jour à partir de la fin de 2021, afin de fabriquer 500 000 vélos Mercier par an, un mode de transport tant vanté par les pouvoirs publics. La marque de bicyclette centenaire, associée aux heures de gloire de Raymond Poulidor, souhaite revenir en France après avoir délocalisé en Asie, alors que le marché du vélo est en pleine croissance. « Ce projet coche toutes les cases, sur la réindustrialisation ou l’écologie », note Jean-Marc Seghezzi, PDG de CEMF et des cycles Mercier.
Le 15 mars, Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires, s’était rendue à Revin et avait confirmé le soutien financier de l’Etat, qui devait dépasser les 5 millions d’euros, au titre du dispositif Territoires d’industrie et du fonds « friches industrielles ». En tout, sur un projet au coût évalué entre 11 millions et 15 millions d’euros, l’investissement était assuré pour les deux tiers par l’Etat et les collectivités locales.
C’était compter sans le revirement de Bercy. Mercredi 28 juillet, Jean-Marc Seghezzi reçoit une réponse négative de la Banque publique d’investissement. Le lendemain, le couperet tombe pour de bon : la préfecture des Ardennes annonce le retrait inattendu de l’Etat. « Les services de l’Etat ont relevé des faits suffisamment graves pour considérer en responsabilité qu’il n’est pas possible d’engager de l’argent public », a annoncé le préfet, Jean-Sébastien Lamontagne.
Pour les élus engagés depuis plusieurs mois sur ce dossier crucial, les éléments donnés ne suffisent pas à expliquer un tel rétropédalage. Pierre Cordier, qui regrette par ailleurs le manque d’anticipation de Bercy, demande des précisions : « On met 6 millions sur la table, et du jour au lendemain on ne suit plus, car, je cite ce qui m’a été dit : “Il y a du lourd” sur le porteur du projet… C’est un peu flou. »
« On aurait pu se prémunir de toute annonce publique à renfort de présence ministérielle, quand on voit le résultat aujourd’hui, déplore Jean Rottner (LR), président de la région Grand-Est. Il n’y a eu aucune concertation avec tous les acteurs. C’est une décision venue d’en haut. Un tel dossier peut se traiter plus en confiance. »
A Bercy, on affirme pourtant que plusieurs éléments tangibles ont été soumis aux collectivités. L’enquête a mis en évidence les participations du porteur de projet, M. Seghezi, dans des « sociétés offshore », ainsi qu’une entorse, il y a plusieurs années, à une réglementation européenne concernant l’importation de vélos : l’entrepreneur aurait contourné des droits de douane antidumping concernant les vélos venant de Chine, en faisant croire que les vélos venaient du Sri Lanka, par l’intermédiaire de sociétés créées dans ce pays.
Pourtant, M. Seghezzi affirme avoir été blanchi dans cette enquête. Le PDG, qui craint surtout un lobbying de ses concurrents auprès des instances de l’Etat, qualifie ces allégations de « diffamatoires » : « Il faudrait qu’ils amènent la preuve de cela, et c’est totalement hors sujet par rapport au dossier. »
En réalité, tout cela ne serait pas arrivé si l’on n’avait pas autorisé le rachat de Mercier par un fonds de pension luxembourgeois (Starship Investments) ni la délocalisation de ses usines en Asie dans les années 2000 !
Pour le PDG, le choc est d’autant plus grand que le chantier devait débuter le 1er septembre, pour une entrée en production au début de 2022. « On a fait un travail de fou, les machines sont commandées, les permis de construire ont été validés, on a plus de 300 candidatures à Pôle emploi en stand-by… » Depuis le mois de février, la création de ces emplois avait suscité un grand espoir dans cette région du nord des Ardennes. « Dès le 15 mars, les gens envoyaient leurs CV et lettres de motivation à Pôle emploi. Dans ma permanence, les gens venaient me voir pour que je les recommande », décrit Pierre Cordier, qui ne masque pas sa déception. Le recrutement des cadres avait même été commencé.
Pierre Cordier souhaite être reçu à Bercy, et, pour Jean Rottner, « il faut que le projet continue d’être soutenu par les banques, que les aides publiques des collectivités puissent se dégager, et il faut qu’on en sache plus, en toute clarté, sur ces accusations ». S’il évoque un possible déplacement de son projet dans une autre région française, voire au Portugal si l’Etat ne change pas d’avis, Jean-Marc Seghezzi demeure déterminé, et en appelle au premier ministre : « J’espère qu’on aura un changement de décision, sinon on se défendra. J’ai le soutien de l’intégralité des intervenants. »
Et que dit Jupiter de cet imbroglio ? Nul ne le sait encore…