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Joe Biden : l’image écornée du « tombeur de Donald Trump ».

Aux yeux de ses thuriféraires, la déroute de l’administration Biden en Afghanistan paraît désormais une tache indélébile. Il est vrai que la conférence de presse explicative du président des Etats Unis, lundi 16 août et après les images dévastatrices de la veille en provenance de Kaboul, fut pour eux un calvaire, tant par l’argumentaire exposé que par l’évanescence physique de l’orateur.

Après un week-end passé à Camp David, le président démocrate a défendu le retrait américain et voulu réintroduire un semblant de cohérence dans le chaos. Le voilà confronté à la plus grave crise de ce début de présidence, hors Covid-19, dont l’impact à long terme au sein de l’opinion publique américaine reste à mesurer même s’il apparaît déjà catastrophique à l’étranger. Mais l’idée que se fait l’Amérique d’elle-même paraît ici engagée.

La cohérence revendiquée par Joe Biden est celle de sa politique étrangère : focalisée sur la rivalité avec la Chine, refusant tout gaspillage humain, militaire et financier dans des engagements extérieurs sans fin. Cet argumentaire pèse peu devant l’impression de déroute et d’improvisation qui escorte le retrait américain. Un retrait « difficile et désordonné », a concédé le président, tout en défendant son « engagement ». Ajoutant pourtant avec bon sens que « Les événements que nous voyons actuellement sont la triste preuve qu’aucune quantité de force militaire n’aurait permis d’obtenir un Afghanistan sûr, uni et stable, connu dans l’histoire comme le cimetière des empires », exprimant une conviction ancienne.

Les Etats-Unis, a-t-il poursuivi, n’ont jamais eu comme objectif de « construire une nation » en Afghanistan. « Notre mission (…) n’a jamais été censée créer une démocratie unifiée centralisée », a souligné le président, en précisant que l’objectif unique « reste aujourd’hui, et a toujours été, d’empêcher une attaque terroriste sur le sol américain ». Relisez bien cette phrase car tou y est : les jeux sont faits. Biden sait très bien que le terrorisme islamique n’est pas près de frapper les Etats-Unis. En revanche, sa capitulation en rase campagne sacrifie manifestement l’Europe. Mais les Européens en ont-ils conscience ? Pas sûr.

Joe Biden a reconnu que la prise de contrôle du pays par les talibans avait été surprenante de rapidité. Une façon elliptique d’évacuer la déroute des experts militaires et civils, qui n’avaient pas anticipé un tel scénario éclair, retenant plutôt un calendrier de plusieurs semaines ou plusieurs mois. La responsabilité du président américain est directement engagée en raison de son empressement politique à conclure le retrait. Joe Biden a mis en avant le déploiement en catastrophe de 6 000 soldats, afin d’assurer l’évacuation du personnel civil sur place ainsi que des Afghans menacés, notamment ceux qui ont travaillé pour les Etats-Unis. Joe Biden a promis un usage « dévastateur » de la force aux talibans, si ces derniers tentaient d’entraver ces opérations d’évacuation.

Pour le reste, le président américain a voulu partager le fardeau de la catastrophe. D’abord avec son prédécesseur, Donald Trump, selon les termes de l’accord conclu avec les talibans à Doha, au Qatar, en février 2020. Joe Biden a rappelé la « froide réalité »de l’alternative à laquelle il a été confronté : mettre cet accord en œuvre ou bien provoquer une escalade dans le conflit, nécessitant une recrudescence de la présence militaire américaine…

Ensuite, Joe Biden a mis en cause de façon rude les dirigeants afghans,« incapables de négocier pour l’avenir de leur pays », qui ont « abandonné et se sont enfuis ». Il a aussi souligné l’effondrement moral de l’armée afghane. « Les troupes américaines ne peuvent et ne devraient pas se battre et mourir dans une guerre que les forces afghanes ne veulent pas livrer pour elles-mêmes. Nous avons dépensé plus de 1 000 milliards de dollars. Nous avons formé et équipé des forces militaires afghanes fortes de 300 000 soldats. (…) Ce que nous n’avons pu leur fournir, c’est la volonté de se battre pour cet avenir. » Ce qui n’est pas faux.

Quatrième président à devoir gérer la présence militaire en Afghanistan depuis 2001, devenue au fil des ans un trou noir financier nourrissant une corruption incomparable (ne manquez surtout pas de relire notre dernier article sur le sujet : https://conseildansesperanceduroi.wordpress.com/2021/08/16/afghanistan-il-est-temps-de-dire-stop/), Joe Biden avait choisi, après son entrée en fonctions, de faire coïncider le retrait des derniers 2 500 soldats présents en Afghanistan avec le 20e anniversaire des attentats du 11-Septembre. « Après vingt années, j’ai appris dans la douleur qu’il n’y avait jamais de bon moment pour retirer des troupes américaines, a-t-il dit. C’est pour cela que nous y sommes encore. »

Les images diffusées en boucle sur les chaînes d’information – comme celles de talibans paradant en armes devant l’enceinte de l’ambassade américaine à Kaboul – provoquent une crispation bipartisane, dans les rangs démocrates et républicains. « Les terroristes et les rivaux majeurs comme la Chine observent la honte d’une superpuissance mise à terre », a souligné le sénateur républicain Mitch McConnell. Les scènes de panique à l’aéroport de Kaboul illustrent à quel point l’administration américaine a été prise de court. Il y a quelques jours encore, elle négociait avec la Turquie pour qu’Ankara prenne en charge la gestion sécuritaire de ce lieu-clé.

A Washington, l’unanimité qui existait de longue date en faveur d’un départ d’Afghanistan laisse place aujourd’hui à un malaise en partage. Kaboul n’est pas Saïgon, mais Kaboul rappelle Saïgon, et le cauchemar vietnamien. Cela suffit pour froisser une autre promesse de Joe Biden, à son arrivée à la Maison Blanche : le retour de l’expertise, du professionnalisme, des cadors en politique étrangère, après l’ère Trump. Hélas, il a fait chou blanc. Au printemps, l’absence de concertation, en vue du retrait américain, avec les alliés européens encore déployés en Afghanistan, avait constitué un signal inquiétant. Les équipements militaires abandonnés sur place aux talibans confirment ce pressentiment : la lecture politique et le désir de rupture l’ont emporté sur la logique opérationnelle.

L’Afghanistan renvoie l’Amérique à ses vulnérabilités du moment autant qu’à ses errements passés. L’exemplarité revendiquée par les Etats-Unis a vécu de longue date, mais sa puissance militaire demeure l’un de ses atouts enviés. Or, voici que les talibans paradent, revendiquant une victoire par épuisement. Le choc des derniers jours, malgré la rationalisation tentée par la Maison Blanche, risque de provoquer des soubresauts régionaux importants, entre la Chine, le Pakistan, la Russie et l’Iran, tous géographiquement concernés au plus haut degré. La satisfaction d’une déroute américaine n’est pas du tout un gage de sérénité à moyen ou long terme pour ces pays, face au dossier afghan (https://conseildansesperanceduroi.wordpress.com/2021/08/11/avec-la-prochaine-victoire-des-talibans-en-afghanistan-la-diffusion-de-lheroine-dans-le-monde-nest-pas-pres-de-diminuer/).

Insistant lundi sur la nécessité de se concentrer sur les « menaces d’aujourd’hui », Joe Biden a semblé ne pas retenir l’hypothèse d’une résurgence d’Al-Qaida en Afghanistan, qui pourrait pourtant redevenir un abri pour des groupuscules extrémistes armés, fomentant des actions anti-occidentales. Selon le président américain, la lutte antiterroriste doit se déployer sur de nombreux théâtres d’opération simultanés et ne nécessite pas de présence militaire permanente au sol. « America is back », clamait Joe Biden pendant sa campagne présidentielle.

« America is gone », constatent les Afghans, qui retournent à l’obscurantisme, de gré ou de force.

https://conseildansesperanceduroi.wordpress.com/

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