Agnès Buzyn, ex-ministre de la Santé, a été mise en examen, le 10 septembre dernier, pour mise en danger de la vie d’autrui. Cette mise en examen, qui ne vaut pas déclaration de culpabilité, signifie qu’il existe des indice graves et concordants laissant penser qu’elle a commis une infraction, en l’espèce un délit qui pourrait lui valoir 15.000 euros d’amende et un an d’emprisonnement. Certains s’en réjouissent, d’autres au contraire s’en désolent, et pas nécessairement pour les raisons qu’on imagine.
Dans son action politique à la tête du ministère de la Santé, Agnès Buzyn a manifestement failli à ses devoirs : chacun se souvient de cette déclaration télévisée au cours de laquelle elle affirmait que la situation chinoise était sous contrôle et qu’il n’existait pas de risque sérieux que le coronavirus atteigne la France. C’était sans compter sur la réalité des faits, qui sont têtus et l’ont détrompée, comme on le sait. Que Mme Buzyn s’essaye sans succès à la prédiction, même médicale, n’est pas grave en soi. L’impréparation de notre système de santé, la destruction de centaines de millions de masques soi-disant périmés, l’absence de toute anticipation, l’inexistence des tests, l’incapacité de se fournir en produits d’hygiène élémentaire comme le gel hydroalcoolique, le sous-équipement des soignants, l’absence de respirateurs, la saturation – connue depuis des années- des services d’urgence, tout cela apparaît, en revanche, beaucoup plus sérieux.
Le ministre ne peut pas tout faire, tout savoir, tout contrôler. Mais lorsqu’il est en fonctions depuis trois ans, il a reçu et lu des rapports, des notes d’information et des alertes en provenance de ses services. Il a été informé des risques sanitaires. Il a eu l’occasion de s’entourer d’une équipe chargée de l’assister, de lui suggérer les actions à mettre en œuvre, de communiquer utilement. Dans un pays aussi administré que le nôtre, il est inconcevable que les responsables politiques ne soient pas avertis par avance. Dès lors, soit ils sont incompétents, soit ils sont impuissants, et sans doute les deux à la fois.
Il est donc compréhensible qu’on demande des comptes à un ministre dont l’inaction calamiteuse, les silences et les mensonges ont contribué, parmi tant d’autres, à la catastrophe d’une gestion erratique et inefficace de la crise.
Faut-il, pour autant, s’en réjouir ? Pas nécessairement, et pour deux raisons.
L’une tient au mode de jugement des ministres en exercice : ils sont jugés par une cour de justice composée de parlementaires, plus soucieux de défendre un ami politique, ou de le descendre dans le cas contraire, que d’agir en juristes qui sanctionnent en droit. La majorité actuelle ne condamnera jamais Mme Buzyn.
La seconde tient au principe même de l’intervention du juge dans la vie politique. Cette vieille habitude française a littéralement pourri le XVIIIe siècle et a provoqué le blocage des institutions aboutissant à la révolution de 1789. Ingrats, les révolutionnaires ont interdit aux juges toute immixtion dans les actes de gouvernement par une loi d’août 1790. Timidement, à partir du XXe siècle, les juges y sont peu à peu revenus. De nos jours, toute l’action politique est soumise à la censure des juges constitutionnel, administratif, européen, voire à l’appréciation des juges civils dans certains cas. Il ne s’agit pas de dénoncer, avec Zemmour, le gouvernement des juges et de s’en réjouir lorsqu’un opposant est mis en examen pour son action proprement politique.
En cela, cette mise en examen pose une vraie difficulté, qu’on aurait tort d’évacuer d’un dédaigneux « elle n’a que ce qu’elle mérite ».
La suite après les élections présidentielle et législatives…
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