Dans un mouvement inédit à ce jour, magistrats, greffiers et avocats se sont rassemblés, en ce mercredi 15 décembre, devant les tribunaux pour protester contre la paupérisation de leur institution. Cette « mobilisation générale pour la Justice » fait notamment suite au suicide de cette jeune magistrate âgée de 29 ans, survenu il y a quelques semaines. Certains de ses collègues n’hésitent pas à en attribuer la raison à un surmenage en lien direct avec une pression hiérarchique et institutionnelle devenue insupportable.
Ce malaise de la Justice n’est pas récent. Il existe depuis de nombreuses années, et des mouvements « d’humeur » du corps judiciaire ont déjà eu lieu, par le passé, pour des raisons sensiblement identiques. Force est, cependant, de constater que loin de s’améliorer, la situation de notre Justice n’a cessé de se dégrader sans qu’aucun des pouvoirs qui se sont succédé jusqu’à présent n’ait pris, ou voulu prendre, la mesure de la gravité du sujet. Aujourd’hui, la Justice française souffre de nombreux maux. Et si les moyens humains et matériels défaillants sont régulièrement mis en avant pour justifier les difficultés rencontrées, ils ne suffisent plus à expliquer le marasme qui touche une institution au bord du gouffre.
La Justice française est l’une des plus mal loties d’Europe. Manque de magistrats et de greffiers, budgets insuffisants, prolifération et complexification des lois qui ne font qu’exacerber les manques précédemment évoqués : toutes les conditions sont réunies pour que nos magistrats sombrent peu à peu sous les effets de ce que les psychologues appellent le symptôme de la « tâche impossible ».
Mais à côté de ce phénomène bien réel, d’autres raisons expliquent cette situation. Ainsi, l’organisation de la Justice dans notre pays a pris un retard considérable. Incapable de s’adapter en profondeur aux nouveaux enjeux sécuritaires et judiciaires d’une société française en plein bouleversement, la Justice est restée figée, dans son fonctionnement, au début du siècle dernier. Avec un effectif qui n’a que peu évolué au fil des années, alors que le nombre des affaires traitées, civiles et pénales, a, lui, littéralement explosé. Ces éléments, liés à des réformes et des modifications structurelles pour le moins inopportunes (suppression des juges de proximité en 2017, par exemple) n’ont pas tardé à faire perdre à l’institution judiciaire toute efficacité. Et, de là provient une grave mise en cause de sa crédibilité et de son efficacité, tant par d’autres institutions que par une une grande majorité de Français.
Il n’est un secret pour personne que le divorce est désormais consommé entre les policiers et les juges. Les premiers accusant, parfois à juste titre, les seconds de laxisme. Les seconds mettant en cause de plus en plus souvent ouvertement, non sans raisons parfois, le professionnalisme et les compétences professionnelles des premiers. La conséquence directe de cette mésentente se traduit par des dysfonctionnements touchant les deux institutions, dont les premières victimes sont les justiciables. Tout naturellement, cela entraine une défiance à l’égard des juges et une perte de confiance dans la Justice qui touche actuellement près de deux Français sur trois.
Outre ces ruptures graves et anciennes, d’autres éléments pèsent lourd, comme la défiance vis-à-vis d’un ministre de la Justice qui n’a pas été accepté par les magistrats et dont l’incompétence dans les fonctions qui sont les siennes s’affiche chaque jour davantage. À n’en pas douter, c’est d’une réforme importante et profonde que notre Justice a besoin. Mais encore faut-il que les magistrats eux-mêmes acceptent de se remettre en question. Qu’ils voient la société telle qu’elle est et non telle qu’ils la voient du fond de leurs salles d’audience ou de leurs cabinets. Des états généraux de la Justice peuvent effectivement ouvrir des pistes mais pas à quelques mois d’une élection présidentielle et pas avec un ministre dont les sympathies vont davantage aux détenus qu’à ceux qui les condamnent.
Olivier Damien
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