En bonne logique, l’université a vocation à demeurer le sanctuaire réservé à la controverse et à l’échange d’idées, fussent-elles – ce qui est d’ailleurs hautement conseillé – contradictoires. Voilà qui semble être de moins en moins le cas ; la preuve par Sciences Po Grenoble et cette polémique n’en finissant plus d’enfler, depuis décembre 2020, entre Klauz Kinzler, professeur d’allemand et de civilisation allemande, et sa hiérarchie.
En bonne logique, toujours, la hiérarchie de Sciences Po Grenoble, qui se veut inclusive et bienveillante tout comme le maire de la ville Éric Piolle, chantre de la coolitude écologique, aurait dû chercher à apaiser un climat en voie de surchauffe. En fait, pas du tout. À l’origine du drame, une simple discussion, consacrée à l’éventuel bien-fondé du concept « d’islamophobie ». Klauz Kinzler : « Je contestais le titre d’une journée de débats dans lequel “racisme, antisémitisme et islamophobie” étaient mis sur le même plan. » La voix du bon sens, en quelque sorte, ces trois phénomènes étant par nature distincts.
Le racisme consiste à hiérarchiser les races. L’antisémitisme à théoriser son ressentiment vis-à-vis des Juifs, ou des juifs, selon que l’on parle de l’origine ethnique ou de la religion. Quant à l’islamophobie, terme renvoyant à la « peur de l’islam », il relève encore d’un autre concept, surtout lorsque les gens taxés de cette même « islamophobie » sont avant tout islamo-sceptiques, si ce n’est carrément antimusulmans ; sachant que dans ces deux cas de figure, la « peur » n’entre pas forcément en ligne de compte. Et après ? Doit-on être islamophile, sachant que personne n’oblige quiconque à se montrer cathophile ? Sommes-nous sommés d’aimer l’islam ou toute autre religion ? Même si cela n’a aucun sens, le sujet mérite effectivement d’être débattu, ne serait-ce que pour mettre les mots idoines sur ce que certains tiennent pour problème pour la société et d’autres pour chance pour la France. Mais voilà qui est, semble-t-il, trop demander.
Et l’habituelle sarabande de se mettre en place, avec élèves insultant leur professeur sur les réseaux asociaux et autres inscriptions sur les murs, le désignant comme « fasciste ». Quelle imagination… Mais quel rapport, surtout, sachant que le fascisme mussolinien n’avait que faire, ni en bien ni en mal, du monde islamique ? Il n’empêche que, jeté en pâture à la nouvelle Inquisition, Klauz Kinzler tente de se défendre, accordant de longs entretiens à nos confrères de Marianne et de L’Opinion. L’occasion pour lui de faire valoir son point de vue – qui en vaut bien un autre. Mais qu’un de ses professeurs soit publiquement traîné dans la boue importe peu à Sabine Saurugger. La directrice de l’école en question accuse aujourd’hui Kinzler de « mettre en danger la vie de toute la communauté de l’IEP de Grenoble ». Rien que ça…
De son côté, la victime, déjà mise sous protection policière un mois durant, n’a désormais plus qu’un droit, celui de se taire, puisque suspendu de ses fonctions en attente d’une décision du conseil de discipline. Ce qui signifie donc que Sabine Saurugger a d’ores et déjà anticipé les éventuelles décisions de cette instance. Non sans raison, la France se plaint de la traditionnelle lenteur des tribunaux. Cette fois, la justice est vite expédiée.
Nonobstant, la même Sabine Saurugger, et à rebours de ce qu’elle interdit à ses subordonnés, ne se prive pas de s’exprimer dans les médias, ayant elle aussi accordé un entretien à Marianne. De son côté, Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, a décidé de couper les subsides de l’IEP grenoblois – 100.000 euros sur un budget de 15 millions d’euros, c’est peu –, mais, à l’en croire, c’est pour le principe : « Sciences Po Grenoble est depuis trop longtemps dans une dérive idéologique et communautariste inacceptable. » Il n’est jamais trop tard pour découvrir que l’eau, ça mouille.
Nicolas Gauthier