Tout est parti de quelques enseignants-chercheurs, attachés à une demi-douzaine d’écoles d’agronomie, de sciences politiques ou d’économie, mais fins limiers et désireux de donner à leurs étudiants de master un sujet d’étude « concernant » et d’actualité : la mise en œuvre par la France de la prochaine politique agricole commune (PAC), qui doit s’appliquer entre 2023 et 2027. Le résultat est inattendu pour le gouvernement : une lettre commune, adressée lundi 20 décembre au président de la République, protestant contre le plan stratégique national (PSN) français – l’ensemble de mesures chargées de transcrire au niveau de chaque Etat membre de l’Union européenne la nouvelle PAC –, qui n’est « clairement pas à la hauteur des enjeux économiques, sociaux et environnementaux » de l’évolution du modèle agricole dominant. Celui-ci est largement structuré par la PAC, le plus gros programme de subventions publiques au monde.
La quarantaine d’étudiants, futurs agronomes ou agroéconomistes, ayant planché sur le sujet disent « ne pas pouvoir souscrire silencieusement aux propositions retenues dans le PSN français » et choisissent ainsi, quelques jours avant la présidence française de l’Union européenne, d’interpeller directement le chef de l’Etat. Cette adresse intervient alors que la France a soumis, mercredi 22 décembre, son PSN à la Commission européenne. Elle s’inscrit en droite ligne d’une série de critiques sévères, portées par les avis et expertises d’instances consultatives officielles et par les communautés scientifiques compétentes.
« La politique agricole commune étant un sujet très technique, nous nous sommes réparti le travail, chaque groupe étant chargé d’analyser un domaine précis du plan national stratégique », raconte Gilles Collombet-Gourdon (AgroParisTech), l’un des auteurs. Les étudiants des masters concernés de six établissements – Montpellier SupAgro, AgroCampus Ouest, AgroSup Dijon, AgroParisTech, Sciences Po Lille et Sciences Po Paris – ont ainsi travaillé ensemble, avant de rassembler leurs contributions et de rendre public le résultat, sous la forme d’une longue lettre d’objections argumentées, adressée à l’Elysée.
Ils y concluent que le PSN « incarne davantage l’immobilisme qu’une volonté de changement ». « Leur démarche est tout à fait fondée, estime l’économiste Jean-Christophe Bureau, professeur à AgroParisTech et spécialiste réputé des politiques agricoles. C’est une génération qui a, vis-à-vis de la question environnementale, un fort sentiment d’urgence : ils se disent qu’il est déjà trop tard pour attendre encore sept ans pour agir. A mon avis, ils ont raison, tant le plan présenté est en contradiction avec les objectifs environnementaux affichés. »
Première source d’étonnement : le hiatus entre les avis exprimés au cours de différentes consultations et les mesures finalement prévues par le PSN. Dans leur missive, les étudiants rappellent que l’Autorité environnementale a rendu un avis sévère sur le PSN, et que France Stratégie, une institution dépendant de Matignon, ainsi que le Conseil économique social et environnemental ont tous deux insisté dans leurs avis respectifs sur la nécessité d’une transition agricole. « De manière d’autant plus préoccupante, rappellent-ils, le PSN ne prend pas en compte la consultation citoyenne ImPACtons !, soit 1 083 recommandations ayant mobilisé 12 656 citoyens et citoyennes. »
Sont notamment reprochés les aides à l’hectare, qui maintiennent l’avantage aux grandes exploitations, en particulier céréalières, par rapport à la filière fruits et légumes, qui occupe moins de surfaces. Une preuve supplémentaire de la « présidence des riches » d’Emmanuel Macron. Le maintien d’aides à l’hectare non plafonnées et non dégressives, ajoutent les auteurs, « est aussi le moteur d’une course à l’agrandissement des exploitations », donc à la disparitions des petites exploitations. Une fuite en avant délétère, argumentent-ils, « l’augmentation continue de la taille, et donc du poids financier des structures, rend[ant] l’installation et la transmission en agriculture de plus en plus complexe, avec des exploitations qui ne trouvent plus de repreneurs ou repreneuses ». La présidence des riches, vous dis-je ! L’effet est déjà massif et ne sera pas entravé par le PSN. D’après le dernier recensement agricole, plus de 100 000 exploitations ont disparu ces dix dernières années, soit 21 % de l’ensemble des fermes françaises.
Autre exemple, écrivent les jeunes scientifiques, « en l’état actuel, 81 % des exploitations agricoles françaises pourront bénéficier de l’écorégime sans opérer de changement dans leurs pratiques ». Les écorégimes, censés rémunérer les pratiques vertueuses pour l’environnement, ne pourront jouer leur « rôle de transformation des pratiques agricoles ».
Leurs aînés ne disent d’ailleurs pas autre chose. En mai, plus de 700 scientifiques des organismes de recherche publics et des universités – économistes, agronomes, écologues, biologistes de la conservation, etc. – avaient également appelé le gouvernement « à définir un plan stratégique national ambitieux, qui soit un réel outil pour la transition agroécologique, et à rendre des arbitrages justes, qui reposent sur les bénéfices sanitaires, sociaux et environnementaux des pratiques, et non sur le seul poids des parties prenantes dans les négociations ».
Les jeunes agronomes et futurs spécialistes des systèmes alimentaires constatent que ces différentes prises de positions, préalables à la leur, n’ont eu aucun écho dans le PSN français. Au point que celui-ci ne permettra pas, selon eux, de participer à la réalisation des objectifs de la stratégie européenne « De la ferme à la fourchette » – volet agricole du Pacte vert de la Commission européenne : réduction de 50 % de l’usage des pesticides, des antibiotiques et des engrais minéraux d’ici à 2030, 25 % de surfaces agricoles cultivées en agriculture biologique d’ici à 2030, et la neutralité carbone d’ici à 2050. DE LA FRIME.
L’Union européenne est bien, comme nous ne cessons de l’affirmer, une association de malfaiteurs et Emmanuel Macron… son acolyte.
Le 24 décembre 2021.
Pour le CER, Jean-Yves Pons, CJA.