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Faut-il féliciter Erdogan ?

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Dans le trouble actuel du monde, et quand on ne connaît pas les traditions subtiles de la diplomatie d'Ankara héritière de l'empire Ottoman, les palinodies internationales d'Erdogan peuvent surprendre. Particulièrement étonnantes dans l'affaire ukrainienne, elles lui ont néanmoins valu les félicitations de Victoria Nuland.

Sous-secrétaire d'État pour les Affaires politiques depuis 2021 dans le gouvernement Biden(1)⇓, cette aimable New-Yorkaise veut voir dans la liaison d'affaires turco-ukrainienne, et dans les propositions d'un arbitrage turc entre les citoyens Poutine et Zelensky, médiation dédaignée par les Russes, la marque de la fidèle appartenance à l'OTAN du chef et fondateur de l'AKP.

Au nom des États-Unis elle tient donc à féliciter Recep Tayyip Erdogan.

Sans doute a-t-elle raté quelques épisodes depuis l'esclandre de l'intéressé à Davos en janvier 2009, date à partir de laquelle il n'a cessé, pas à pas, d'infléchir sa politique extérieure, vis-à-vis du Proche-Orient d'abord, puis sur la scène mondiale.

Maître complet des médias de son pays, depuis l'étrange tentative de coup d'État de 2016, il est parvenu à renverser une tendance constamment dominante de l'opinion turque, majoritairement favorable à l'occident, depuis la fondation de la république, et aux pays démocratiques depuis 1946. Ce retournement s'est retrouvé dans les sondages pour la première fois en 2021 : A la question posée par l'institut Metropoll "vers quels pays la politique extérieure de la Turquie devrait-elle se tourner ?", 39,4 % répondent désormais Chine et Russie contre 37,5 % Europe et USA. Un an plus tôt janvier 2021, la même question donnait 40,9 % de réponses en faveur de l'Europe et des États-Unis et 27,6 % seulement pour la Chine et la Russie.

Or, ce glissement intervient à un moment où dans la crise ukrainienne, Ankara choisit précisément de s'éloigner, pour le moins, de ses nouveaux amis.

Ce 1er février à Kiev, le président ukrainien Volodymyr Zelensky pouvait annoncer ainsi la prochaine signature d'un accord de libre-échange avec la Turquie. Dans un discours prononcé devant la Rada, il évoquait donc résolument le message fort que devait représentera une telle coopération économique. Elle devait être concrétisée, deux jours plus tard, le 3 février lors de la venue de Recep Tayyip Erdogan.

Il s'agira, déclare-t-on, pour les deux pays, de doubler le volume de leurs échanges commerciaux, qui s'élève actuellement à 5 milliards de dollars, pour atteindre le niveau de 10 milliards de dollars

Or, cette visite ne tend pas seulement à compléter un accord de caractère commercial. Outre une pléiade de collaborateurs et ministricules, le président turc est notamment accompagné de deux poids lourds caractéristiques de son gouvernement : Mevlüt Çavusoglu ministre des Affaires étrangères et son homologue de la Défense le général Hulusi Akar. Nommé à ce poste en 2018, il occupait précédemment depuis 2015 les fonctions de chef d'État-major.

Leur arrivée dans la capitale ukrainienne correspond officiellement au 10e Conseil suprême de coopération stratégique entre l'Ukraine et la Turquie.

Ce dont les Turcs cherchent à assurer la commercialisation auprès du gouvernement de Kiev ne doit donc pas seulement être comptabilisé en dollars. Il s'agit en effet principalement de développer la livraison de drones offensifs fournis au partenaire ukrainien les 12 premiers spécimens de ces Bayraktar TB2 avaient été livrés en 2019 par l'entreprise Bayraktech(2)⇓.

Ce groupe basé à Istanbul est aujourd'hui dirigé par Omer Bolat, ancien président de l'organisation patronale islamiste Müsiad. Il appartient à la famille Al-Bayrak, dont le rejeton n'est autre que le gendre du président Recep Tayyip Erdogan, Berat Albayrak, brièvement ministre des Finances, démissionnaire en 2020, et dont le rôle reste pour le moins controversé.(3)⇓

Les matériels sophistiqués que l'industrie militaire turque s'emploie de plus en plus à exporter, ont joué un rôle clef dans le récent conflit du Haut-Karabakh. Ils seront destinés en particulier à renforcer les moyens militaires ukrainiens dans le Donbass.

Un tel rapprochement occidental fait écho à diverses tentatives récentes d'Ankara en direction de pays qui, dans la région, aussi bien Israël que les Émirats arabes unis, se trouvaient, depuis plusieurs années, dans les plus mauvais termes avec le gouvernement d'Ankara. Mais très clairement la raison commune de toutes ces démarches exportatrices est le besoin désespéré de la Turquie de surmonter sa crise économique et monétaire avant l'élection présidentielle prévue en 2023.

Pas sûr par conséquent que Mme Nuland soit fondée à applaudir Recep Tayyip Erdogan. Il est vrai qu'avec un allié à géométrie variable comme lui, l'OTAN n'a pas besoin d'ennemis.

JG Malliarakis  

Apostilles

  1. L'invasion, ici particulièrement agaçante, du franglais amène nos commentateurs agréés à trouver chic de traduire le "faux-ami" administration par son identique français, alors que ce mot désigne aux États-Unis ce que nous appelons, dans la langue de Molière, de La Fontaine et de quelques autres, le "gouvernement". Le terme américain "government" correspond, lui, à ce que nous appelons l'État.
  2. Bayraktar TB2
  3.  On est allé jusqu'à le surnommer ministre du Pétrole de l'État islamique. D'après Wikipedia : En décembre 2016, WikiLeaks publie plus de 57 000 courriels, de 2000 à 2016, qui auraient été obtenus par RedHack, et que WikiLeaks a déclaré provenir des mails personnels de Berat Albayrak. Ceux-ci étaient censés relier Berat Albayrak au trafic de pétrole de l'Etat Islamique. The Independent a indiqué que les courriels montraient que "Albayrak avait une connaissance intime des problèmes de personnel et de salaire chez Powertrans, une entreprise qui a obtenu de façon controversée le monopole du transport routier et ferroviaire de pétrole vers le pays depuis le Kurdistan irakien", ajoutant que "les médias turcs ont rapporté en 2014 et 2015 que Powertrans avait été accusé de mélanger le pétrole produit par l'EI dans la Syrie voisine et de l'ajouter aux expéditions locales qui ont finalement atteint la Turquie". Berat Albayrak avait précédemment nié qu'il avait le moindre lien avec Powertrans. À la fin de 2016, toutefois, pour calmer le jeu John R. Bass, l'ambassadeur des États-Unis à Ankara, a déclaré que les allégations concernant l'implication du gouvernement turc dans le commerce du pétrole de l'EI n'étaient pas fondées, citant les excuses officielles émises par la CIA concernant ses affirmations de 2014. En avril 2017, les autorités turques bloquent l'accès à Wikipedia à travers le pays. En avril 2018, il a été révélé que l'article de Wikipédia sur Albayrak faisait partie des quatre pages qui ont conduit à l'interdiction de l'encyclopédie en ligne...

https://www.insolent.fr/2022/02/faut-il-feliciter-erdogan-.html

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