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Au cimetière des illusions

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Avec l'âge les souvenirs se fixent et se trient selon des logiques, des algorithmes dira-t-on, que nous comprenons mal.

Ainsi, en 1963, au sortir d'un débat où j'étais intervenu au nom des étudiants qui osaient se dire nationalistes face à la meute hurlante des marxistes de tous poils, j'avais sympathisé avec un personnage aujourd'hui disparu.

Durant notre trajet de retour j'avais surtout repéré, dans le métro ses jolis boutons de manchettes irlandais. L'unique petit magasin qui les vendait alors à Paris devait renoncer quelques années plus tard à cet honnête commerce, et c'est 40 ans plus tard, en Irlande, que ma fille put en dénicher de pareils…

Durant notre conversation j'appris que, dans sa génération, les gens partageant nos convictions communes s'étaient retrouvés au sein du parti républicain de la liberté. Cette appellation me paraissant curieuse, sa réponse m'avait presque convaincu : pourquoi pas "républicain de la liberté" ? Pourquoi pas en effet.

Bref il s'agissait d'un homme de droite, mot qu'à l'époque on n'employait jamais pour définir la lutte contre le communisme. Il existait quelque 300 définitions du mot socialisme, c'est entre elles qu'il convenait de choisir.

Or, mon nouvel ami me fit lire un surprenant et mystérieux manifeste. C'était un document tapé à la machine, qui s'intitulait message d'Uppsala.

Il convient d'en rappeler le contexte. C'était l'époque de la rupture entre l'URSS de Khrouchtchev et la Chine de Mao. Le schisme entre les deux pôles du communisme international se développait de manière rampante depuis 1959. Staline et le gouvernement installé à Pékin en octobre 1949, avaient signé un pacte sous forme d'un "traité d'amitié, d'alliance et d'assistance mutuelle". Mais à partir du règne de Nikita Khrouchtchev à Moscou, et, détail trop souvent oublié, de l'ascension à Pékin de Liu Shaoqi, président de la république à partir d'avril 1959, et qui le restera jusqu'en 1968, les relations entre les deux États n'avaient cessé de se dégrader.

Or, en Occident, deux illusions, deux politiques, rivalisaient sourdement.

Les uns considéraient, qu'il fallait miser sur la Chine et par exemple, lâcher le soutien au Sud Vietnam. Cette idée tendait à contenir le danger principal représenté par l'URSS. Ce sera, à partir de 1971, la décision désastreuse de Nixon conseillé par Kissinger.

Ne croyons pas qu'il s'agissait en l'occurrence d'une vision qu'aurait partagée le général De Gaulle dont on ne retiendrait, dans ce sens, que son fameux discours prononcé à Phnom Penh en septembre 1966(1)⇓ . Lors du 50eanniversaire de sa disparition, on a voulu nous imposer, chapitre de référence du fameux "roman national", une prétendue volonté inébranlable d'opposition aux deux blocs conduisant à une ligne internationale constante. Et, malheureusement cette doctrine mythique réapparaît, plus ravageuse encore, sous Macron mais aussi sous la plume d'un Hubert Védrine, lui-même ancien collaborateur de Mitterrand. En réalité, de 1958 à 1969 la cinquième république a dû naviguer entre plusieurs, au moins quatre, politiques extérieures contradictoires(2)⇓ .

Et si l'on se reporte simplement à la déclaration de candidature de son successeur Georges Pompidou en mai 1969, on découvre que la seule mention qu'il faisait alors de sa fidélité à la politique extérieure gaullienne portait sur le rapprochement des mois précédents avec les États-Unis… Personne ne protesta au sein du parti gouvernemental. En réalité, la "majorité", comme on disait à l'époque, se préoccupait surtout des affaires intérieures.

Symétriquement, comme "Les Deux tontons" chantés par Georges Brassens l'autre tendance a toujours produit les mêmes résultats mortifères. Dès les années 1960, elle suggérait de se rapprocher de l'Union soviétique. Peu importait que cet empire fût la métropole du communisme international, et l'adversaire désigné, depuis 1949, de l'ordre stratégique et du système d'alliance.

Plusieurs raisons étaient invoquées. Divergentes selon les secteurs d'opinion, elles ne convergeaient que sur ce point de l'ouverture à l'est.

Le "message d'Uppsala", rédigé semble-t-il en région parisienne, document cité plus haut me paraît avoir été, à ma connaissance, le premier à prétendre explicitement que la Russie devait être considérée comme le "bouclier de la race blanche" face, évidemment, au "péril jaune".

Les autres illusions soviétophiles ont toutes sombré. Plus personne ne croit plus vraiment, même dans notre pauvre France, ni à l'internationalisme prolétarien, ni à la collectivisation des grands moyens de production et d'échange. Les nostalgies lointaines ne se manifestent même plus. Des préjugés marxistes demeurent, mais à l'état édulcoré ; ils inspirent encore l'étatisme et le fiscalisme qui conservent de beaux jours devant eux ; le rêve latino-américain, le syndrome proche-oriental, les délires antiracistes, féministes voire animaliers ont pris le relais à gauche.

En revanche à droite une vieille chimère russophile rôde à la pleine lune dans le cimetière des illusions… comme si la graine semée par le message d'Uppsala avait fait école… comme si le prétendu "réalisme biologique", qui prit la suite à partir de 1964, n'avait pas été matraqué par toutes les lois mémorielles. Les lecteurs du "message" de 1963, continuèrent de développer ses thèses pendant quelques années : ils se réclamaient sans hésiter de Vacher de Lapouge. Adversaires radicaux du christianisme, ils cultivaient une curieuse admiration pour le polythéisme. L'ami des années 1960, évoqué plus haut, retrouvé de loin en loin plus tard, s'en réclamait sans hésiter et mourut dans cette conviction. Ce sont d'autres droitiers qui portent aujourd'hui le même étrange flambeau : 80 % des responsables actuels de la droite française portent, en ce moment même, ce rêve, toujours déçu, d'une Sainte Russie protectrice des chrétiens alors que, pourtant, dans les faits, elle entretient pieusement les statues de Lénine, réhabilite Staline, et ressemble à peu près autant au Tsar romantique Alexandre Ier que François Hollande ressemblait à saint Louis et Macron à Napoléon.

Ah, chère droite française…

JG Malliarakis

Apostilles

  1. Disponible sur le site de l'INA 
  2. cf. la remarquable vidéo réalisée en 2020, pour L'Opinion, par Jean-Dominique Merchet. Celui-ci explique les 4 orientations successives, toutes avortées : "Pourquoi la politique étrangère du général De Gaulle a été un échec". 

https://www.insolent.fr/2022/02/au-cimetiere-des-illusions.html

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