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En matière de défense, le réalisme de l’Allemagne est… allemand !

Tardif mais brutal et impressionnant. Est-ce la fin des illusions, surtout des nôtres ?

Car en la matière, justement, mieux vaut sans doute la prévoyance de la fourmi que la prodigalité de la cigale.

Depuis la chute du mur de Berlin et de l’Union soviétique, les Allemands ont cru qu’en délégant la quasi-totalité de leur sécurité et de leur défense aux Etats-Unis et à l’OTAN, ils pourraient s’adonner à la seule activité qui leur importait : commercer tranquillement avec le reste du monde (y compris la Russie) et développer leur économie à cet effet en faisant, en outre, l’économie d’un lourd budget de défense nationale (l’inverse de la vision gaullienne chez nous). Ils ont longtemps cru aussi que la politique américaine les dédouanait de leurs responsabilités dans la gestion de l’ensemble des crises mondiales.

C’est ainsi que les Allemands ont construit leur prospérité, durant ces soixante-dix dernières années, sur cette première illusion que l’Allemagne, en tant que nation, n’avait pas besoin de s’occuper des affaires du monde puisque les Etats-Unis le faisait à leur place… Mais il l’ont bâtie aussi sur cette seconde illusion que le commerce adoucit les meurs et que la seule force commerciale de leur pays allait leur permettre de construire un environnement apaisé dans lequel… « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil !« 

Or, l’Allemagne se réveille aujourd’hui, après l’invasion de l’Ukraine par la Russie (le pays a la mémoire courte !), complètement atterrée en constatant qu’elle n’est plus du tout adaptée au monde réel. Y COMPRIS EN CE QUI CONCERNE LA DEFENSE DE SON TERRITOIRE. C’est pour elle un choc psychologique considérable qui impose une véritable révolution culturelle à laquelle l’opinion publique germanique n’était manifestement pas préparée.

C’est la raison pour laquelle on ne peut qu’être stupéfait du revirement spectaculaire et, pour tout dire, historique du discours que le chancelier social-démocrate (SPD) Olaf Scholz a prononcé, dimanche 27 février, à la tribune du Bundestag. En trente minutes, le chancelier allemand n’a pas seulement pris acte de la « césure » que constitue l’attaque de l’Ukraine par la Russie. Trois jours après le début des opérations militaires, c’est une redéfinition en profondeur de la politique étrangère et de défense de l’Allemagne qu’il a proposée. Avec, à la clé, quelques annonces spectaculaires.

La principale concerne le budget de la défense. En plus d’une enveloppe immédiate de 100 milliards d’euros, celui-ci sera augmenté « d’année en année afin d’atteindre plus de 2 % de notre PIB », a annoncé M. Scholz. Ce « plus de » est une petite révolution puisqu’il va au-delà de l’objectif de 2 % fixé par l’OTAN à ses membres. Un objectif qui ne figure même pas dans le contrat de coalition du nouveau gouvernement allemand, les sociaux-démocrates et les écologistes s’y étant opposés.

« Il est clair que nous devons investir beaucoup plus dans la sécurité de notre pays, afin de protéger notre liberté et notre démocratie. » Cette phrase, de la part d’un chancelier social-démocrate, est également, en soi, une autre révolution. Ces dernières années, le SPD s’est en effet illustré, au sein de la grande coalition d’Angela Merkel, par sa très grande réticence à l’idée d’une politique de défense ambitieuse. Dimanche, M. Scholz a opéré un virage à 180 degrés par rapport à cette culture pacifiste si chère à son parti.

En qualifiant de « priorité absolue » la construction de la « prochaine génération d’avions et de chars de combat avec nos partenaires européens, et en particulier la France », il s’est clairement positionné en faveur de projets essentiels à l’avènement d’une Europe de la défense, dissipant les doutes que les partenaires de l’Allemagne nourrissaient, ces derniers temps, sur la volonté de celle-ci de s’engager dans cette voie. Idem pour les drones armés, au sujet desquels il s’est explicitement prononcé, ce que Berlin n’avait pas fait jusque-là.*

En l’espace de quelques jours, le chemin parcouru par l’Allemagne est en réalité considérable. Mardi 22 février, au lendemain de la reconnaissance de l’indépendance des républiques séparatistes de l’est de l’Ukraine par Vladimir Poutine, M. Scholz annonçait la suspension du gazoduc Nord Stream 2, projet soutenu par Berlin et symbole de toute la culture politique allemande fondée sur l’idée que les intérêts économiques priment sur les logiques de puissance.

Samedi, le gouvernement allemand faisait savoir qu’il allait livrer des armes à l’Ukraine, ce qu’il avait refusé jusque-là malgré les demandes insistantes de Kiev, au nom du principe, hérité de l’après-guerre, selon lequel l’Allemagne ne livre pas d’armes létales à des pays situés dans des zones de conflit.

Après la mise à l’arrêt de Nord Stream 2 et le revirement concernant les livraisons d’armes, le discours prononcé par M. Scholz devant le Bundestag aura donc marqué une étape supplémentaire dans cette révolution « copernicienne » à laquelle l’Allemagne se trouve contrainte par des événements qui l’obligent à réviser certaines de ces certitudes et à balayer des dogmes qui étaient au fondement de l’identité qu’elle s’est forgée après la seconde guerre mondiale : celle d’une grande puissance économique et industrielle, fondamentalement pacifiste, pour laquelle les questions de défense restaient secondaires et sans grand dessein géopolitique.

De ce point de vue, le discours tenu dimanche par M. Scholz marque une rupture. Avec l’invasion de l’Ukraine, « le monde est entré dans une nouvelle ère », a martelé plusieurs fois le chancelier allemand. Prenant la parole quelques minutes après lui, sa ministre des affaires étrangères, Annalena Baerbock, a été encore plus explicite. « Quand le monde change, la politique doit changer , a-t-elle déclaré, ajoutant que l’Allemagne est en train de rompre avec une forme de retenue particulière et solitaire en matière de politique étrangère et de sécurité. »

Pour l’Allemagne, qui depuis « l’Ostpolitik » engagée par Willy Brandt, dans les années 1970, s’est toujours efforcée de maintenir coûte que coûte de bons rapports avec la Russie, le réveil est brutal. Dans son discours, M. Scholz a certes insisté sur la nécessité de soutenir le peuple russe et de bien faire la distinction entre celui-ci et son président. Mais, de fait, le Kremlin, avec lequel le chancelier disait encore il y a quelques semaines qu’il souhaitait un « dialogue constructif », n’est plus un partenaire. Pour le SPD, en particulier, la rupture est violente.

Près de trois mois après son élection à la tête du gouvernement allemand, M. Scholz a sans doute véritablement enfilé, ce dimanche, son costume de chancelier. Avec, en prime, la satisfaction de se voir soutenu par les conservateurs de la CDU, dont le chef de file, Friedrich Merz, a salué son discours et l’a fait applaudir. Ce soutien, à vrai dire, était plutôt inattendu : élu récemment à la tête de la CDU, M. Merz s’était jusque-là préparé à incarner une opposition musclée à la coalition « feu tricolore » de M. Scholz.

Mais la conversion de ce dernier à une politique de défense ambitieuse, précisément celle que réclament les conservateurs, lui a, en quelque sorte, coupé l’herbe sous le pied. Comme si, ce dimanche, M. Scholz s’était rappelé deux leçons chères à Angela Merkel : la capacité de changer du tout au tout sa politique en réaction à un événement extérieur, comme celle-ci l’avait fait, par exemple, en 2011, en décidant de la sortie du nucléaire quarante-huit heures après la catastrophe de Fukushima ; et le fait de se sentir très libre par rapport aux dogmes de son propre parti. Quitte à adopter des positions plus proches de certains de ses adversaires que de sa famille politique, au risque de désorienter la seconde mais avec l’avantage de neutraliser les premiers.

Nous ne pouvons que le féliciter pour un tel pragmatisme. Même s’il nous faut hélas nous en inquiéter aussi… Car la différence entre l’Allemagne et la France d’aujourd’hui, c’est que la première a les moyens de ses choix quand la seconde est loin, très loin de les avoir.

Le 1er mars 2022.

Pour le CER, Jean-Yves Pons, CJA.

(*) On est en droit, pourtant, de s’étonner du constat suivant : le gouvernement allemand vient de révéler que la Bundeswehr (ses forces armées) est actuellement, à la fois, très largement sous-dotées en personnel militaire et terriblement sous-équipée en matériel de combat. Or, l’Allemagne est un membre important de l’OTAN depuis 1954 sans qu’aucune autorité de cet organisme de défense collective ne s’en soit inquiétée jusqu’alors ! Il n’y a pas que les voies du Seigneur qui soient impénétrables…

https://conseildansesperanceduroi.wordpress.com/2022/03/01/en-matiere-de-defense-le-realisme-de-lallemagne-est-allemand/

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