Le sommet de Versailles, au-delà des déclarations martiales, a manifesté la faiblesse européenne face à la détermination de Vladimir Poutine. L’annonce du renforcement des sanctions économiques, tout en veillant, au prix de contorsions sémantiques, à préserver nos approvisionnements énergétiques russes en attendant de bâtir une hypothétique indépendance, ne change rien au drame ukrainien.
Depuis des années, la nomenklatura française rêve d’une « Europe puissance » qui prendrait le relais d’une France devenue trop petite pour se faire entendre dans le concert des nations. Illusion, car l’eurocratie rejette l’idée même de puissance européenne considérée comme une réminiscence de son impérialisme passé.
Pire : les eurocrates ont construit l’impuissance européenne au nom d’une idéologie mercantile et mondialiste qui a entraîné la dépendance de l’Europe au nom du libre-échange et de la spécialisation des productions, tandis que l’atlantisme des États membres rendait l’Union européenne vassale des États-Unis sur le plan militaire et diplomatique.
La pandémie a révélé notre dépendance en matière de médicaments. Un rapport du Parlement européen indique que 40 % des médicaments commercialisés dans l’Union européenne proviennent de pays tiers, que 60 à 80 % des ingrédients pharmaceutiques sont produits en Inde ou en Chine. À l’heure où la guerre bactériologique est une menace réelle, on mesure les risques d’une telle situation.
Le rebond économique qui a suivi la fin des confinements a mis en lumière la dépendance de nos économies en matière de composants électroniques fabriqués en Asie. Bruno Le Maire et le commissaire Breton s’en sont émus, mais cette situation est la conséquence des choix économiques faits par l’Union européenne depuis des décennies. Il est un peu tard pour appeler à la réindustrialisation alors que la politique commerciale européenne a eu pour objet ou pour effet la désindustrialisation de l’Europe.
Alors qu’au nom de la politique écolo-climatique de l’Union européenne, l’économie européenne est conduite à marche forcée vers le tout électrique, les autorités européennes réalisent soudain que l’Union européenne se retrouve en situation de double sujétion à l’égard de la Chine, tant en ce qui concerne la fabrication des batteries qu’en matière d’extraction et de raffinage des métaux rares.
Alors que nous étions de plus en plus subordonnés au plus grand État totalitaire communiste du monde, la dépendance de l’Union européenne à l’égard des ressources énergétiques de la Russie ne cessait de croître. Pourtant, à la suite des États-Unis, Bruxelles s’acharnait à envenimer les relations avec ce grand voisin. O,r le COMECON avait organisé la dépendance des pays de l’Est à l’égard de l’URSS au nom de « la division internationale socialiste du travail ». Situation que l’on aurait dû prendre en considération lors de l’élargissement. Ainsi, la République tchèque est dépendante à 100 % du gaz russe, la Hongrie à 95 %, l’Allemagne à 80 %…
Pour faire bonne mesure, la plupart des États membres, sous tutelle et sous commandement américains, ont refusé, des années durant, de consentir aux dépenses nécessaires à leur défense. Or, après avoir contribué à semer le chaos aux marges de la Russie, les États-Unis n’ont aucune intention d’intervenir autrement que par des sanctions dont nous ressentirons aussi les conséquences.
Désarmés sur le plan militaire, les Européens le sont aussi sur le plan diplomatique. Leur suivisme à l’égard des États-Unis les a largement discrédités. Le fait que ce soit Israël et la Turquie qui jouent le rôle d’intermédiaires entre les belligérants en dit long sur notre perte d’influence. De surcroît, M. Macron devrait savoir qu’une diplomatie efficace exige de la discrétion et que les mises en scène tapageuses servent peut-être sa campagne mais pas la paix.
La guerre en Ukraine jette une lumière crue sur la déroute de la caste qui gouverne l’Union européenne. Elle a cru pouvoir dissoudre le politique dans l’économie et la technocratie. Et voici que la politique, avec ses questions essentielles de souveraineté, d’indépendance et de puissance, se rappelle à elle dans le tragique de l’Histoire.
Stéphane Buffetaut