L'expression anglaise de "hung parliament", désigne une situation jugée peu enviable. Elle résulte d'une élection législative dans laquelle aucun parti n'a obtenu la majorité absolue. On doit alors se résoudre à une coalition et à des formules de consensus. C'est désormais devenu la règle en Allemagne.
Le cas passe pour rare en Grande-Bretagne, du fait du scrutin de circonscription majoritaire à un tour. Ce système était parvenu à partir des années 1920 à réduire à la portion congrue le vieux parti whig. Or, on doit noter tout de même que le gouvernement Cameron de 2010 avait dû composer avec les libéraux-démocrates, et celui de Theresa May, en charge de la négociation du Brexit, à partir de 2017, et jusqu'en 2019 avec les unionistes nord-irlandais.
Les commentateurs parisiens agréés ne savent rien, car grosso modo ils ont été élevés dans le principe selon lequel "rien n'a existé avant la mort de John Fitzgerald Kennedy". Ils croient donc la chose impossible en France sous la cinquième république. En cela ils se trompent grandement. Par exemple, et nous aurons l'occasion d'y revenir, en 1967, et après une réélection du vieux général plus douloureuse que prévu en 1965, les élections législatives de 1967 se sont révélées désastreuses, le parti gaulliste n'obtenant en fait que quelque 200 sièges sur 477, 242 avec les giscardiens, qui allaient deux ans plus tard le désavouer. On parlera de "cactus" dans la majorité.
Cette année-là, dès le lendemain du second tour de scrutin, le respectable sénateur Marcilhacy, présidant la conférence Molé-Tocqueville, pouvait surprendre son auditoire en parlant à ce sujet d'une situation révolutionnaire. Et en 1968, le gouvernement Pompidou se trouva en effet paralysé face à l'émeute, notamment par cette absence d'une véritable cohésion politique et économique.
Présenté comme une assurance contre ce type de scénarios, la réforme stupide et chiraquienne, – on me pardonnera le pléonasme – instituant le quinquennat, assortie de l'inversion perverse du calendrier en 2002, ne change rien. L'hypothèse devient de plus en plus tangible.
Ce 1er juin, en effet, à 12 jours du premier tour des élections législatives l'interrogation progresse et l'inquiétude commence à gagner le camp présidentiel.
En toute tradition il revient au chef du gouvernement de conduire la majorité en vue de sa reconduction à la tête du pays. La moindre des courtoisies à l'égard de Mme Borne oblige à s'abstenir de tout commentaire. On oubliera donc sans difficulté toute référence à une constitution, théoriquement parlementaire. En son article 21 elle lui assigne la mission de "dirige[r] l'action du Gouvernement. [Et d'être] responsable de la défense nationale".
Quittons une seconde cette description idéelle et revenons dans le monde réel. Le principe selon lequel un ministre battu doit démissionner a été réaffirmé. Or, on sait, ou du moins on devrait savoir que la collaboratrice du président fait campagne dans la 6e circonscription du Calvados. Celle-ci regroupe une dizaine de cantons. Cette terre dépend de la Suisse normande, et la bonne ville de Condé-sur-Noireau y compte une des meilleurs imprimeurs de France, l'excellent Charles Corlet, également investi dans l'édition régionaliste. Sur le terrain, il lui faudra conserver le siège d'un élu macronien, Alain Touret, issu des radicaux de gauche. Étiqueté LREM en 2017 il lui a laissé sa place. Parviendra-t-elle au moins à la conserver ? Pas gagné d'avance pour cette femme de gauche. Cette seule question nous semble donner le ton de la situation.
L'addition des petites fautes de goût de ces derniers jours, y compris sur le terrain européen dont Macron cherche à faire une marque de fabrique, mais aussi les incidents scandaleux et révélateurs du Stade de France ou les choix de la présidence depuis le 24 avril ont contribué à pourrir le débat.
Tout cela peut conduire à des votes sanctions. C'est au pied du mur qu'on voit le maçon. C'est à la barre des tempêtes que l'on voit le marin. Je crains fort que le commandement du vaisseau France n'ait été confié qu'à des marins d'eau douce.
JG Malliarakis