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La question du blé, la malice de Poutine et la bêtise occidentale – par François Martin

Depuis des semaines, la propagande occidentale répète que les Russes vont être responsables d’une famine mondiale, parce qu’ils interdisent l’exportation des céréales des « pauvres Ukrainiens » (1). En réalité, ceux qui se donnent la peine d’étudier un peu le dossier se rendent vite compte que cette assertion est fausse (2), pour plusieurs raisons :

Si les bateaux, par le passé, ne pouvaient pas atteindre les ports d’Odessa et de la région pour charger les céréales, c’est parce que les Ukrainiens en avaient miné les chenaux d’accès, afin de se protéger contre une attaque russe par la mer (3). Pendant des mois, tout en accusant les Russes d’entretenir la famine, ils ont refusé de déminer les ports. Auparavant, la Russie avait proposé que les Ukrainiens, dans l’attente d’un accord, exportent leur blé par le train via la Biélorussie et la mer Baltique, mais Kiev a refusé, probablement parce que le trafic via Odessa les intéresse beaucoup plus, puisqu’il permet, au retour des bateaux, d’alimenter l’Ukraine en armes, qui peuvent être dissimulées plus facilement dans les hangars d’un port que sur les grandes routes et voies ferrées toutes droites venant de Pologne, où tout se voit et où l’on tire dessus comme à la foire.

Les Russes ne le savent que trop, qui ont donné leur aval, à Istanbul, pour ne pas attaquer Odessa par la mer pendant le processus d’exportation du blé (permettant ainsi le déminage), mais qui ont exigé de leur côté d’inspecter les bateaux, à l’aller et surtout au retour, pour être certains qu’ils ne transportent pas d’armes. Ceci a ouvert la porte à l’accord, mais au départ, c’est bien le refus de déminage ukrainien qui avait provoqué le blocage, alors même que l’occident et l’Ukraine se servait de celui-ci pour accuser les Russes d’affamer le monde. Une méthode typique de la stratégie médiatique occidentale, qui cherche, à l’inverse même de la vérité, à présenter les choses de façon à alimenter un « antirussisme primaire », violent et permanent. En effet, il s’agit de maintenir les opinions dans l’approbation des sanctions et de leurs conséquences, de la livraison des armes et en résumé, d’une « atmosphère de guerre » qui leur fera accepter tous les sacrifices demandés. On crée ainsi, artificiellement, une « économie de guerre » fantasmée.

Propagande

Mais surtout, alors que l’on présentait autrefois le blocage des bateaux ukrainiens par les Russes comme la source du problème, et aujourd’hui, le déblocage ainsi que la fin du risque de famine dans le monde, comme la grande victoire des Ukrainiens, rien n’est plus faux. Pour le comprendre, il suffit de regarder les statistiques d’exportation de blé des deux pays : ainsi, l’Ukraine exporte 18 millions de tonnes par an, et la Russie 34 millions. Ce n’est donc pas, en premier lieu, le refus de l’exportation du blé d’Ukraine qui bloque l’alimentation du monde, mais bien celui de l’exportation  du blé russe. Or ce pays se trouve en butte aux sanctions occidentales, qui interdisent à ses bateaux l’accès aux ports occidentaux, et également aux banques occidentales spécialisées, spécialement les anglaises, l’assurance et la réassurance de ceux-ci. Alors que nous accusons les Russes d’entretenir la famine, c’est donc nous, en bloquant leurs bateaux, qui en sommes les premiers responsables. Mais foin de la vérité, lorsqu’il s’agit, à tout instant, d’accuser Poutine d’affameur du monde.

Poutine se tait et gagne le bras de fer diplomatique

Face à ces mensonges, Poutine aurait pu « monter au créneau », dénoncer la contradiction à cor et à cri. Si, à un certain moment, lors d’un discours à destination des Russes, il a bien clarifié les choses, il s’est gardé d’en rajouter. Silencieusement, il a laissé monter la pression. Par contre, on peut penser qu’il s’est expliqué face au Président sénégalais Macky Sall, lors de sa visite à Moscou le 2 Juin, et que sa diplomatie, partout dans le monde, et surtout chez ses acheteurs, a joué à fond. En réalité, derrière les trompettes médiatiques, tout le monde savait, les Occidentaux y compris, que le dossier ukrainien ne pouvait être débloqué sans que le soit aussi le dossier russe.

Il existait donc, dans cette affaire comme dans beaucoup d’autres, une distorsion entre diplomatie et discours médiatique, distorsion dont Poutine s’est servi pour obtenir gain de cause, tout en laissant dire aux Occidentaux et à l’Ukraine qu’ils avaient « gagné »… En effet, l’accord d’Istanbul, qui lève les freins au mouvement des bateaux russes en même temps qu’il permet aux bateaux ukrainiens l’accès à Odessa, est une grande victoire pour les Russes (4), qui ont ouvert la porte à la levée des sanctions sur un de leurs produits phares, en attendant d’autres accords du même genre. Dans le monde qui attend l’arrivée du blé, personne n’est dupe. Chacun pensera sans doute que Poutine a bien joué, et que les Occidentaux sont des imbéciles arrogants et menteurs, qui se sont fait rouler.

Le fiasco du Razoni

La suite est intéressante :

Le premier bateau, le Razoni, chargé de maïs qui devait livrer la première cargaison, symboliquement, au « Liban martyr », le 7 Août, s’est détourné de sa route. Selon ce qui semble, il est actuellement à l’ancre quelque part le long des côtes turques, et fait monter les enchères, pour vendre le blé au plus offrant (5). Combien va toucher le capitaine ? Le Ministre des transports ukrainien ? Zelensky lui-même ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi l’Ukraine ne maîtrise-t-elle pas sa chaîne logistique ? Et où doit aller l’argent ? Victimisation, « beau rôle » (« nous voulons aider le Liban »), mépris des engagements pris, procédures lucratives et mafieuses, toute la méthode ukrainienne est là. Pour les pays qui attendent le blé, ce spectacle sera catastrophique. Ils ne manqueront pas de répéter aux Russes à quel point ils tiennent à ce que, de leur côté, ils respectent leurs contrats rubis sur l’ongle. Les Russes, évidemment, ne manqueront pas de le faire, et le prestige de Poutine, auprès des « non-alignés », les seuls en réalité qu’il est important de convaincre, ne va faire qu’augmenter.

Bien plus, alors que les Ukrainiens ont fait sortir leurs premiers bateaux à grands renforts de trompettes (6), Poutine n’a pas fait de vagues pour les siens. Tout au plus s’est-il plaint que, si lui-même avait respecté sa parole en levant le blocage d’Odessa, les Occidentaux ne respectaient pas la leur, puisque tant l’ouverture de nos ports que l’ordre aux banques anglaises et à la Lloyds pour l’assurance des bateaux russes tardaient à venir. Nous jouions aux « petits malins ». Mais sans qu’il n’ait eu besoin de hausser le ton, chacun, à l’ouest, a compris tout de suite que Poutine bloquerait à nouveau le processus si on ne lui donnait pas ce qu’il veut, et qu’il dévoilerait la supercherie. Certainement, il obtiendra ce qu’il demande, mais cet épisode fait penser à un adulte parlant à des gamins pris en faute….

Méthode Poutine contre méthode occidentale

Cette affaire du blé, comme beaucoup d’autres, est emblématique de la « méthode occidentale » et de la « méthode Poutine ». Pour nous, la propagande la plus simpliste (7) : de « gros mensonges » constamment répétés, qui dupent les opinions crédules (et pour combien de temps ?). En face, l’exploitation de ces mensonges par des discussions, des pressions et finalement des accords diplomatiques, dont les russes ne se vantent pas. Et c’est Poutine qui perd la guerre médiatique ? Au contraire, il la retourne. Ceux qui ont fait du judo et connaissent « Tomoe nage » (8)  savent ce que je veux dire.

Notes :

  • Dans un très intéressant article, Eric Verhaeghe explique comment ces assertions sont formées, dans de véritables agences de propagande paragouvernementales occidentales. https://lecourrierdesstrateges.fr/2022/08/08/comment-la-caste-a-militarise-et-industrialise-la-propagande-officielle-par-eric-verhaeghe/
  • Cette « puissance » de ces agences est aussi leur défaut, parce que les informations qu’elles diffusent, des produits simplistes fabriqués et vendus « à la chaîne », principalement pour enrégimenter les opinions occidentales, sont incapables de s’adapter aux changements des réalités ou de convaincre d’autres publics. Elles créent ainsi des distorsions entre propagande et réalité, que les russes, comme on va le voir, s’efforcent d’exploiter.
  • Ils l’avaient d’ailleurs tellement mal fait que certaines de ces mines se sont décrochées et ont flotté jusqu’au Bosphore, provoquant la panique des navires et des turcs.
  • Et les occidentaux le reconnaîtront d’autant moins qu’ils n’ont cessé d’affirmer le contraire…
  • https://www.la-croix.com/Economie/destination-premier-cargo-ukrainien-reste-mystere-2022-08-08-1201228148#:~:text=Le%20Razoni%2C%20premier%20navire%20qui,les%20vendre%20au%20plus%20offrant.
  • Zelensky est venu à Chornomorsk, près d’Odessa, inspecter les chargements le 29/07, devant les caméras du monde entier
  • Certains m’objecteront que le régime poutinien n’est pas non plus exempt de propagande à usage interne, et ils auront raison. La différence, c’est que nous, nous utilisons aussi notre propagande à usage externe, pour convaincre ceux, les seuls qui comptent, à savoir les 80% de pays « observateurs » du monde, qui ont condamné l’attaque russe, mais n’ont pas voté les sanctions. Cf la tournée pathétique d’Emmanuel Macron en Afrique, où il s’est évertué à expliquer doctement aux chefs d’Etat que la Russie était colonialiste, alors que toute l’Histoire de la décolonisation de l’Afrique est traversée par l’aide du « grand frère soviétique ». Les africains ont dû penser que nous étions vraiment finis… Pour les convaincre de ses bonnes raisons, Poutine n’a donc pas besoin de se servir de sa propre propagande. Il lui suffit de se servir de la nôtre…

https://lecourrierdesstrateges.fr/2022/08/16/la-question-du-ble-la-malice-de-poutine-et-la-betise-occidentale-par-francois-martin/

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