[Ci-contre : Arthur Koestler travaillant paisiblement dans sa maison fermière galloise, 1948, Life Magazine]
Arthur Koestler : un auteur que j’ai découvert très tôt par son Testament espagnol, souvenir poignant de son incarcération en Espagne pendant la guerre civile de 1936-39.
Koestler, étudiant inscrit dans une corporation viennoise, laisse tout tomber pour poursuivre le rêve sioniste en Palestine et en revenir ruiné. Il entame une belle carrière de journaliste dans la presse berlinoise, qu’il abandonnera pour suivre un autre rêve, celui de l’utopie soviétique-communiste.
Agent du Komintern autour de Willy Münzenberg à Paris, il claudiquera d’une déception à l’autre. Son fragment d’itinéraire communiste nous permet d’entrevoir l’histoire secrète du Komintern et surtout de saisir de l’intérieur le heurt tragique entre trotskistes et staliniens. Les souvenirs pénibles du camp de concentration français du Vernet, où il sera incarcéré pendant quelques mois au moment de la “drôle de guerre” au titre de “ressortissant ennemi”, sanctionneront un certain divorce de notre auteur avec la France et son idéologie républicaine.
Après 1945, Koestler militera contre le communisme international, incarné par la Russie stalinienne, se fâchera avec Sartre, fera campagne avec Camus pour l’abolition de la peine de mort et pour la généralisation de l’euthanasie dans les cas désespérés. Mais surtout, dégoûté de la politique et des idéologies, il retournera à sa passion première : les sciences biologiques. De cette passion naîtra une critique des idéologies “réductionnistes”. Celles-ci, en effet, réduisent l’homme à une seule dimension. Nous avons dès lors un homme “réduit” (dans ses actions et ses potentialités), mutilé, errant dans le monde contemporain comme un pauvre rat de laboratoire (le « ratomorphisme », dira Koestler dans Le cheval et la locomotive).
La critique du réductionnisme et du ratomorphisme chez Koestler fera école : pour revendiquer une humanité pleine et entière, naturelle et affable (comme le réclamait son ami George Orwell), il faut liquider l’héritage des idéologies dominantes, idéologies froides dans leurs traductions soviétiques et communistes. Mais là, en prônant cette démarche, la leçon de Koestler n’est plus ancrée dans l’univers mental des gauches européennes classiques, où ses engagements de jeune homme l’avait confiné, un univers qu’il pose désormais comme une impasse, « a blind alley » : Koestler, dès le milieu des années 50, va bien au-delà du totalitarisme soviétique, adulé par la gauche française dans le sillage de Sartre et de Simone de Beauvoir, et du socialisme utopique du sionisme initial.
Koestler est donc bien l’auteur qui nous aide à comprendre le communisme de l’intérieur, à vivre avec lui l’impasse du sionisme en Palestine (comme le démontre aussi l’idéologie post-sioniste en Israël aujourd’hui) et à jeter les bases d’une approche holiste et non réductionnisme de l’homme, qui ne sacrifie plus ni à l’idéologie ni aux fantasmes religieux.
Robert Steuckers, 2011.