La guerre en Ukraine perdure. Le western proposé aux Européens, avec ses méchants Russes envahisseurs et ses gentils Ukrainiens héros de l’indépendance et de la démocratie est diffusé par la quasi totalité de nos médias. Aussi, devient-il vital de s’évader des écrans du conditionnement à la pensée unique pour se réfugier dans la réalité, et ses conséquences. Comme dit Saint Jean, “la vérité rend libre”. Ce qui se joue n’est pas l’indépendance de l’Ukraine, mais celle de l’Europe, et l’ennemi de cette indépendance des nations européennes n’est pas la Russie ! Ce sont les Etats-Unis !
Myopie qui limite l’événement à son présent le plus étroit, réflexe pavlovien stimulé par les mots privilégiés par les médias dominants, conformisme de la pensée unique qui interdit le “dérapage” d’une réflexion autonome, jugée choquante et intolérable : l'”agression” russe, l’agresseur Poutine, ce “malade”, ce “dictateur fou” qui se lance contre l’Europe, contre l’Occident, contre le monde doivent être combattus au nom de la démocratie et par tous les moyens, à l’exclusion de l’arme nucléaire… pour l’instant. Pour qui nourrit sa réflexion de quelques connaissances, le délire est dans l’accusation, non chez l’accusé. L’appel récurrent et incessant à de nouvelles sanctions et à de nouvelles fournitures d’armes toujours plus lourdes, toujours plus sophistiquées à un régime follement belliciste, souvent accusé de corruption et qui n’échappe à la main américaine que dans la provocation et l’excès, relève effectivement de la folie. A qui profite le crime ? Certainement pas à l’Europe mystifiée et manipulée !
Un peu d’histoire, d’abord ! Les deux tiers de l’Ukraine actuelle ont été russes depuis le XVIIIe siècle après avoir été libérés au sud des Turcs et à l’ouest des Polonais. La RSS d’Ukraine a été créée en 1922 par les bolchéviques et ses frontières ne correspondent pas à des limites historiques, linguistiques ni ethniques. L’Etat souverain ukrainien, après des tentatives avortées durant la révolution de 1917, et sur des territoires aux contours flous, n’existe que depuis 1991 et les élections ont, depuis, témoigné d’une forte opposition entre un ouest proeuropéen et un est prorusse. Tant que le pays demeurait un partenaire de la Russie, son indépendance n’indisposait pas Moscou. Deux “révolutions”, en 2004 et 2014, marquées par une forte pression américaine, et dont la spontanéité, de ce fait, paraît douteuse, ont transformé l’Ukraine en fer de lance de la stratégie de Washington contre la Russie. Elles ont fait surgir les oppositions entre les régions comme la Galicie, soviétisées de force lors de la seconde guerre mondiale et qui nourrissent une rancune compréhensible, et d’autres qui se sentaient pleinement russes, comme le Donbass, et surtout la Crimée, intégrée à l’Ukraine par Khrouchtchev en 1953, avec entre les deux, une zone plus partagée, sans doute séduite par la perspective d’une intégration à l’Union Européenne, et que l’opération militaire russe a davantage ancrée dans ce choix, à moins que l’acharnement belliqueux de Zelenski ne la fasse basculer à l’inverse.
La Russie de Poutine a été très patiente, un peu naïve, et hésitante ; les Etats-Unis ont au contraire, et c’est une surprise quand on songe aux sinuosités américaines en Irak ou en Afghanistan, poursuivi une stratégie cohérente : l’effondrement de l’URSS n’était qu’une étape et non un aboutissement conduisant à la coopération entre le plus grand pays du monde, et l’Etat le plus puissant de la planète. Cette dernière option a prévalu apparemment avec Eltsine, que Clinton a roulé goulûment dans la farine, et jusqu’à Poutine, qui, au début, a cru à un partenariat contre le terrorisme islamiste. Cette illusion l’avait même amené à proposer d’intégrer la Russie à l’OTAN. Mais, Washington poursuivait d’autres objectifs dessinés dans les ouvrages de Brzezinski : “l’empire du mal” vaincu et disloqué, il fallait retourner ses anciens vassaux contre ce qu’il en restait en les absorbant dans l’OTAN, et ce faisant, enfermer la Russie dans un cercle hostile et menaçant jusqu’à ce que l’absence de réaction prouvant sa faiblesse, ou au contraire une riposte militaire justifiant des sanctions, et précipitant son isolement, provoquent un éclatement de la Fédération de Russie, ce territoire immense et pourvu de richesses inouïes, insuffisamment peuplé par des peuples parfois désireux d’autonomie voire d’indépendance. Cette élimination d’un concurrent, cet affaiblissement de la proie par son prédateur, convergeaient avec d’autres desseins hostiles envers d’autres puissances. Certes, il s’agissait d’empêcher un nouvel axe Moscou-Pékin de rivaliser avec Washington, mais il fallait surtout viser l’autre grand concurrent potentiel, l’Europe : l’alliance entre l’Europe dotée d’une population nombreuse et d’une industrie compétitive, alliée à une Russie et à ses ressources naturelles gigantesques, constituait le risque le plus élevé. Les fournitures de gaz russe à l’industrie allemande sans cesse augmentées assuraient la croissance d’un rival qu’il fallait abattre à tout prix. La croisade démocratique pour sauver un peuple appelé à se sacrifier au nom d’une idéologie hypocrite masquant les intérêts géopolitiques américains est une mise en scène détestable. Il faut être aveugle lorsqu’on voit BHL une fois encore à l’oeuvre comme en Libye dans le criminel appel à l’escalade pour ne pas déceler la supercherie ! ( à suivre)